«Face à l’émergence de technologies de rupture, les décideurs des sphères financières et monétaires font face à un dilemme combien cornélien : prendre le risque d’investir dans le futur ou se complaire dans le statu quo». C’est ce qu’a déclaré Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, à l’ouverture de l’Africa BlockChain* Summit, organisé le lundi 14 mai à Tunis.
Le sommet a été précédé par le plus grand Hackathon* africain sur la BlockChain, tenu du 11 au 13 mai 2018, et qui a vu concourir 16 équipes dont deux gagnantes à ex aequo.
Marouane El Abassi ne se considère, bien sûr, pas tenu au statu quo en matière d’avancées technologiques dans le domaine de la grande finance. Car, lui et son équipe ont décidé d’aller de l’avant dans la conquête des nouvelles technologies applicables sur le secteur financier et qui peuvent œuvrer aussi bien à son développement sur le continent africain que dans les échanges avec les partenaires internationaux.
«Le continent africain est indéniablement celui qui pourrait bénéficier le plus de la technologie BlockChain», a affirmé le gouverneur de la BCT qui a rappelé les challenges auxquels font face les pays arabes et africains, en premier une faible inclusion (variant entre 5% et 15% en Afrique subsaharienne) et un secteur informel très élevé (avec plus de 85% de l’emploi). En Tunisie, 58% des emplois sont dans l’informel !
Mais pire que tout, c’est le chômage ainsi que l’insuffisance des prêts bancaires essentiellement dans les pays dans lesquels l’agriculture occupe une place importante ainsi que les infrastructures vétustes ou inexistantes qui nuisent le plus au développement économique des pays africains.
D’où l’importance pour l’Afrique, comme l’a signifié Mehdi Houas, DG de Talan -partenaire technique de la BCT dans l’organisation de cette grande manifestation.
«Pour que l’Afrique puisse mieux gérer ses nombreuses ressources, il faut qu’elle s’organise. Elle a la chance de pouvoir choisir ses technologies parmi les plus disruptives parce qu’elle n’a pas à prendre compte le lourd fardeau des legacy system et peut adopter des business modèles puissants et efficaces et des technologies robustes et sûres sans payer les plâtres des expérimentations coûteuses».
Marouane El Abassi : La population africaine doublera d’ici 2050 pour atteindre les 2,5 milliards d’habitants. Une technologie telle que la BlockChain pourrait aider les pays africains à accélérer leur indépendance économique et pérenniser leur autonomie
La population africaine, rappellera Marouane El Abassi, doublera d’ici 2050 pour atteindre les 2,5 milliards d’habitants et, par conséquent, une technologie telle que la BlockChain pourrait aider les pays africains à accélérer leur indépendance économique et pérenniser leur autonomie.
«Le projet UBU (Universal Basic Unit) vise à autonomiser les Africains du sud du Sahara à faible revenu avec une monnaie numérique basée sur la technologie BlockChain… Par ailleurs, depuis 2017, les Bourses de crypto-monnaie fleurissent en Afrique subsaharienne (Afrique du Sud, Kenya, Ghana, Nigeria et Zimbabwe) où l’investissement dans le Bitcoin est devenu un bouclier face à deux problématiques majeures : l’hyperinflation et la pénurie des dollars».
Une situation qui rappelle celle que traverse aujourd’hui notre pays qui souffre d’une diminution notable de ses réserves en devises, d’où l’importance d’user des nouvelles technologies pour assurer les échanges commerciaux entre les pays africains, à savoir harmoniser les systèmes d’information des Banques centrales dans les pays africains pour réaliser les opérations d’import/export dans les monnaies locales.
Une technologie d’ores et déjà mise en place et dont les équipes ont gagné les premiers prix lors du Hackathon africain sur la BlockChain (Nous y reviendrons).
Les gouvernements doivent légiférer, imposer et faire appliquer les lois pour permettre aux entrepreneurs d’opérer à l’échelle mondiale
Toutefois, précise Marouane El Abassi, la mise en place de ces nouvelles technologies ne sera pas sans difficultés. Car les pays africains souffrent des problèmes de connectivité avec 281 millions d’internautes pour un taux d’accès d’à peine 23%. Mais il y a encore d’autres défis à relever, dont la volonté et la capacité de rompre avec les systèmes d’information existants et de légiférer pour l’implantation de cette nouvelle technologie. «Les gouvernements doivent légiférer, imposer et faire appliquer les lois pour permettre aux entrepreneurs d’opérer à l’échelle mondiale… Il faut également concevoir une réglementation adaptée comme catalyseur de l’innovation comme ce fut le cas de la Tunisie à travers l’adoption du Start-up act».
La technologie a besoin de l’Afrique, clamera haut et fort Mehdi Houas, et c’est ce qui explique l’organisation du sommet africain de la BlockChain en Tunisie par la BCT, Europlace et Talan.
«Notre ambition est de créer un futur plus inclusif, plus humain et plus vertueux qui concilie business et sagesse, économie et écologie… Nous sommes là aujourd’hui, parce que des millions d’Africains n’ont pas accès aux services bancaires et que la BlockChain peut les aider… Nous sommes là parce que des dizaines de services universels, d’état civil, de cadastre, de gestion et de facturation des services publics sont défaillants en Afrique et que cette technologie peut les refonder aux moindres coûts, et que ses solutions pourraient servir à d’autres pays».
Pavé : Le but ultime est la croissance et le développement, et cette technologie en est l’instrument
Pour le DG de Talan, l’objectif de ce sommet n’est pas autant de parler de la technologie de la BlockChain que de développement. Le but ultime est la croissance et le développement, et cette technologie en est l’instrument.
La BCT a décidé de se doter de son propre laboratoire de veille technologique en s’appuyant sur les start-up tunisiennes pour anticiper l’impact des hautes technologies sur son activité, prévenir les risques et dénicher les opportunités.
Marouane El Abassi, qui n’a pas manqué de remercier son prédécesseur Chedly El Ayari qui a été le premier à lancer le chantier de la BlockChain, a annoncé que la BCT a décidé de se doter de son propre laboratoire de veille technologique en s’appuyant sur les start-ups tunisiennes pour anticiper l’impact des hautes technologies sur son activité, prévenir les risques et dénicher les opportunités.
Il est de notre responsabilité, en tant que Banques centrales, de jouer le rôle de moteur dans cette transition technologique en l’encourageant tout en garantissant un cadre sécurisé
«Le monde aujourd’hui vit des transformations majeures. Le rythme effréné des innovations technologiques fait peser le risque d’un creusement abyssal et irrattrapable du gap du savoir entre les volontaristes qui s’approprient le changement et ceux qui tergiversent. Il est de notre responsabilité, en tant que Banques centrales, de jouer le rôle de moteur dans cette transition technologique en l’encourageant tout en garantissant un cadre sécurisé».
Cela faisait longtemps que nous n’avions pas assisté à une manifestation aussi importante et d’aussi grande envergure à Tunis. La Tunisie marque-t-elle son retour sur la place financière africaine ? Nous ne perdons rien à attendre.
Amel Belhadj Ali
*La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle (définition de Blockchain France)… Une blockchain publique peut donc être assimilée à un grand livre comptable public, anonyme et infalsifiable.
*Le hackathon, terme issu de l’anglais Hack (s’introduire dans un système) et du français marathon imaginé par les communautés de développeurs regroupés au sein du mouvement Free Open Source Software.
Le hackathon désigne le rassemblement d’informaticiens durant plusieurs jours et au minimum une nuit (souvent organisé sur un week-end) en vue de collaborer sur des sujets de programmation informatique pointus et innovants.
Chaque projet proposé doit être accepté par les participants pour être traité. Les porteurs de projets retenus donnent leurs directives à une équipe de développeurs dont l’objectif est de créer le plus rapidement possible un prototype d’application prêt à fonctionner. Un jury détermine les vainqueurs.
Malgré un délai de réalisation extrêmement court et même si la manifestation est plutôt festive et encourage l’entraide, les enjeux sont sérieux et la méthode est rigoureuse.
Les développeurs se font connaître des entrepreneurs et renforcent leurs connaissances tout en adoptant de nouvelles techniques de travail (http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Hackathon-257022.htm#RuGkE5Tz4ipaDEjj.97)