Zied Brini est un franco-tunisien installé en Irlande. Il travaille en tant que chef de projet au sein de la start up irlandaise Consensys, spécialisée dans la crypto-monnaie via la technologie blockchain Ethereum.
Avec ses coéquipiers venus spécialement de Dublin, ils ont été les co-vainqueurs avec l’équipe de la BCT du plus grand Hackathon africain sur la BlockChain tenu du 11 au 13 mai 2018 à Tunis.
En quoi cette nouvelle technologie pourrait assurer un meilleur management et une gouvernance plus efficiente de la politique monétaire dans notre pays ?
Réponses dans l’entretien ci-après.
WMC : En quoi consiste exactement la technologie BlockChain ?
Zied Brini : Aujourd’hui, le système financier international ne se parle pas. Il est très difficile d’échanger de l’information, chaque banque, chaque institution financière dispose de son propre système d’information. Et très souvent non seulement ces systèmes sont incompatibles, mais aussi ils souffrent de problèmes tels la qualité ou l’intégrité des données.
La technologie du BlockChain a la capacité de débloquer ces problèmes et de rendre l’information plus facile à partager et plus accessible. Elle permet d’harmoniser les systèmes et de partager l’information, et là, nous parlons de business to business. Mais il y a aussi le B to C (business to consumer), et grâce à cette technologie, l’accès au service financier sera plus facile pour les populations qui ne le peuvent pas actuellement. Il leur sera très facile de s’enregistrer en ligne, d’ouvrir un compte bancaire, etc.
Est-ce que le fait d’harmoniser tous ces systèmes à l’international, avec la suprématie technologique des grandes puissances, n’est pas risqué pour des pays comme le nôtre, surtout s’agissant de l’information financière ?
Vous posez ici un point pertinent, mais il s’agit de savoir si le problème est la technologie ou l’usage qu’on en fait. Et je pense que le vrai challenge pour les Etats, les gouvernements et les grandes institutions, c’est de faire en sorte de déployer la technologie de manière intelligente en se protégeant.
L’use-case que notre équipe a présenté à l’occasion du Décathlon est complètement aligné avec la politique monétaire de la BCT. Il ne s’agissait pas de changer la réglementation sur place, ce que nous avons proposé ce sont des solutions qui lui permettent de garder sa souveraineté. Pareil du reste pour les autres Banques centrales africaines.
Avez-vous mis en place des verrous nécessaires à la protection des données des banques en question ?
Tout à fait, la Blockchain est une technologie basée sur les cryptions et la cryptographie ; de nature, c’est une technologie qui protège l’information, elle est publique parce que nous pouvons voir la signature digitale mais elle est aussi anonyme puisqu’on n’y voit pas les noms des personnes qui procèdent aux transactions financières et aux opérations monétaires.
Le plus important est l’usage que nous faisons de cette technologie.
Des fois nous regardons des films et nous imaginons que c’est de la science-fiction mais très souvent, ils nous projettent dans des futurs assez proches. Ainsi, nous en avons beaucoup vu où grâce au hacking, on peut accéder aux informations les plus importantes des Etats, on peut usurper des identités, violer des vies privées, et on peut même mettre en faillite tout un système. Comment se prémunir ?
C’est trop vaste comme thématique, je suis encore en train d’apprendre tout ce qui est aspect sécurité sur la Blockchain, ce n’est pas nécessairement ma spécialité. Ce que je retiens de cette technologie est la grande capacité de partager l’information à travers des milliers de nœuds, ce qui fait que, dans la réalité, il est difficile d’attaquer le système car il y a une séries de verrous qu’il est difficile de débloquer.
La nature décentralisée de la Blockchain fait qu’il est quasiment impossible de la hacker.
Le problème n’est pas la technologie elle-même comme je vous l’ai précédemment souligné. Prenez l’exemple de quelqu’un qui achète un bitcoin en ligne, eh bien si son mot de passe n’est pas très fort, il peut se faire pirater. Il s’agit là d’informer et d’éduquer pour que les usagers mettent régulièrement à jour leurs ordinateurs, utilisent des mots de passe compliqués, utiliser l’authentification à deux facteurs, recevoir un message texte sur le téléphone pour confirmer l’accès aux applications, changer son mot de passe tous les 90 jours, en fait, c’est plus l’imprudence et le manque de vigilance de l’utilisateur qui génèrent le hacking.
Vous avez été le co-vainqueur avec l’équipe de la BCT du Hackathon. En quoi consiste votre projet ?
Notre entreprise Consensys est spécialisée dans le protocole Ethereum de Blockchain, et avec trois de mes collègues, un Irlandais, un Espagnol et un Français, nous avons présenté un projet grâce auquel on peut faciliter les transactions de pays africains à pays africains.
Lire aussi: Tunis se projette dans le futur en organisant le premier Sommet africain de la BlockChain
Ce que nous avons identifié comme problème est que lorsque nous avons des monnaies non convertibles, il faut passer par des points de références.
Ces points sont l’euro et le dollar américain. Notre proposition est assez simple : il s’agit de supprimer ces monnaies de référence au milieu de la transaction et de faire en sorte que des dinars tunisiens soient échangés avec pour contrepartie, à titre d’exemple, des dirhams marocains en créant une monnaie virtuelle par pays. Le dinar tunisien serait équivalent à un dinar tunisien électronique, et pareil pour toutes les monnaies africaines. Les échanges se feront à taux de change réel en instantané et les Banques centrales pourront échanger ces taux entre elles sans passer par des produits dérivés.
Quels bénéfices pourront en tirer les pays concernés ?
Notre idée est de déterminer l’intermédiaire qui doit être enlevé. Lorsque nous parlons de Blockchain, nous parlons de décentralisation, et lorsque nous parlons de décentralisation, nous parlons d’éliminer l’intermédiation. Pour nous ce n’est pas la Banque centrale qui est l’intermédiaire mais la devise. Si ces nouvelles procédures sont mises en place, nous permettrons aux pays qui ont des problèmes de devises de préserver leurs réserves et nous faciliterons les échanges commerciaux entre eux.
A chaque fois que l’on touche aux monnaies d’échanges usuelles à l’international, on se trouve face à un défi de taille, celui de puissances économiques mondiales qui veillent à ce que leurs devises restent les seules à assurer les opérations commerciales à l’échelle mondiale. Avez-vous pris en compte les risques géoéconomiques en présentant votre projet ?
En ce qui nous concerne, nous offrons des solutions technologiques, le reste dépend des Etats eux-mêmes. Déployer ce concept à l’échelle des pays est tributaire de décisions et de volonté politiques. Nous avons déjà commencé à collaborer avec nos collègues de la BCT de point de vue technique. Il y a un moyen de développer un bon partenariat Irlande/Tunisie. L’Irlande possède un potentiel insoupçonné de point de vue technologique.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
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