«Le levier du transfert entre les différents pays africains et du Moyen-Orient», c’est le thème du plus grand Hackathon africain sur la Blockchain, tenu les 11, 12 et 13 mai 2018 à Tunis, et qui a vu concourir 16 équipes dont deux gagnantes à ex-æquo, la tunisienne (BCT) et l’irlandaise (Consensys).
La technologie Blockchain offre une solution naturelle au problème de transfert d’actifs entre deux agents sans tiers de confiance.
Safa Ben Othmen, ingénieur développeur et chef de service à la DGSI de la BCT, et Mohamed Amin Oragini, ingénieur en informatique, vainqueurs du Hackathon, nous l’expliquent dans l’entretien ci-après.
WMC : Vous êtes co-vainqueurs avec une équipe irlandaise du Hackhaton, quel a été votre apport ?
Safa Ben Othmen : L’avantage que nous avons en tant que cadres de la BCT et ce qui nous a permis d’occuper le haut du pavé dans ce concours international du Hackathon, c’est le plus que nous avons ajouté par rapport aux autres équipes.
Nous avons essayé d’examiner toutes les facettes des transferts. Nous avons commencé par les virements et toutes leurs composantes, les transferts Swift, mais nous nous sommes rendu compte que toutes les équipes travaillaient sur le même sujet. Alors, nous nous sommes donc orientés vers la mise en place d’une monnaie virtuelle que nous avons baptisée «ACU» (African Currency Unit) en référence à l’écu mis en place dans les années 70 avant l’arrivée de l’euro.
Nous avons voulu mettre l’accent sur la dimension réelle de cette idée : elle est applicable et réalisable dans nos régions. Nous avons essayé de créer différents smart contrats entre les différents intervenants et adhérents au système Blockchain et qui sont généralement les banques de la place dans chaque pays; l’autorité de référence étant la Banque centrale dans chaque pays.
Nous avons ensuite fait le lien avec les autorités internationales, comme Interpol et autres, pour pouvoir disposer des blacklistées qui n’ont ni le droit d’émettre ni de recevoir des transferts.
Nous avons également pris en considération les transferts illicites et les opérations interdites que peuvent effectuer certains pays.
Nous sommes ensuite passés à un autre niveau de contrôle après le smart contrat. Ce deuxième contrôle concerne la transaction elle-même. Nous avons essayé d’apporter des réponses à la question suivante : est-ce que l’attribution de la transaction se fait dans le respect des réglementations des pays concernés et y autorisée ou pas ?
Donc, il faut prendre en compte les conventions internationales mais également la législation locale. Le smart contrat contient toutes les informations y compris les réglementations internationales et nationales comprenant les directives et les conventions dans le respect des différences entre différents pays.
A parti du moment où les acteurs des transferts respectent les conditions édictées par le smart contrat, leurs transactions passent.
Le deuxième volet que nous avons abordé est le cash. Une personne qui part en voyage et qui transporte des devises est de ce qui fait le plus peur parce que les virements interbancaires sont contrôlés, sont comptabilisés et nous pouvons les tracer mais pas le cash que transportent des particuliers.
Pourquoi est-ce si important pour vous ?
C’est pour surveiller tout ce qui est financements illicites, finances parallèles, financement du terrorisme, blanchiment d’argent et marché noir de la monnaie. Qui peut intervenir à ce niveau ? Ce sont les services douaniers de chaque pays. Quand une personne part en voyage, elle fait sa déclaration douanière, ce qui nous permet de connaître le montant de l’argent qu’elle transporte et sa destination. Dès le moment où l’agent de douane intègre les informations la concernant, une alerte va vers ses homologues dans le pays d’accueil. Au bout de 48 h, grâce au smart contrat nous pouvons savoir si cette personne a réellement séjourné dans le pays d’accueil ou pas. A l’entrée dans le pays de résidence, cette même personne doit faire une déclaration du montant des devises qu’elle a gardées.
Supposez qu’une personne ait des parents dans un pays, qu’elle a pu faire du shopping, parce qu’ils lui ont donné de l’argent et a récupéré des devises lors des opérations de détaxe, serait-elle pénalisée pour cela ?
Non bien sûr car les opérations de détaxe elles-mêmes permettent une traçabilité. Entendons-nous bien, notre but n’est pas de priver les gens de disposer de leur argent mais de pouvoir cerner la circulation des devises dans le pays et lutter contre le développement du marché noir. Ils ont des délais de 7 à 15 jours pour procéder aux déclarations imposées par la loi sinon il y a des alertes qui informent les services concernés qui peuvent prendre les mesures légales qui s’imposent à l’encontre des contrevenants.
Votre projet peut-il être implémenté rapidement ?
Bien sûr ! Et techniquement, nous n’avons pas besoin de beaucoup de temps pour l’implémenter. C’est la partie réglementaire qui demande du temps. La partie que nous avons pu développer et qui nous a fait gagner le Hackhaton est le développement des transferts, des virements et leur traçabilité, ce qui est d’ores et déjà applicable dans les pays du Maghreb arabe. Avec les pays africains et ceux du Moyen-Orient, il va falloir attendre que l’on légifère.
Mohamed Amin Oragini : L’idée est qu’au-delà des opérations de transferts des devises, il y a le problème de la pauvreté de nos ressources en devises. Donc pour nous il était important de faire en sorte que les monnaies locales soient converties en Token et cotées en tant que telles pour que les échanges commerciaux entre pays africains se fassent en Token et pas en $ ou en euros.
Ces pays peuvent s’entendre sur les délais de paiement hebdomadaires ou mensuels, et entre eux il y a une compensation, le but est de réduire les hémorragies en devises et diminuer la pression sur les réserves et le nombre des transactions, car 60% de nos transferts se font via des virements Swift, ce qui coûte énormément cher.
Grâce au processus de la compensation pour laquelle nous avons mis en place un rating en prenant en compte la crédibilité et la stabilité des pays ainsi que leur solvabilité, chaque pays règle ses opérateurs dans la monnaie locale et rapidement.
En Libye à titre d’exemple, nous sommes revenus aux paiements en dinars tunisiens et vice versa pour les Libyens en Tunisie.
Et pour ce qui est du blanchiment d’argent ?
Bien sûr, si nous nous rendons compte qu’un individu a procédé à des transactions importantes et injustifiées, si lui-même est suspecté d’actes illicites ou interdit d’opérer des opérations monétaires, une alerte est automatiquement déclenchée et les services concernés dans les Banques centrales sont avertis.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
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