Le thème se rapportant aux origines et à l’historique de l’île de Djerba, son patrimoine matériel, immatériel et naturel, est largement abordé par Kerim Maamer dans les deux premiers chapitres de son livre “Outrages aux Lotophages”.
Les sept chapitres de cet opus de 240 pages, paru aux Editions Libres, offrent au lecteur la possibilité de surfer aisément à travers les pages sur les questions qui interpellent sa curiosité.
Proposant une approche et une réflexion assez particulière d’un natif de l’île, Karim Maamer, un chercheur et professeur-conférencier auprès des universités belges, Outrages aux Lotophages est “un livre-document”, lit-on dans la préface du livre écrite par Lotfi Jeriri, directeur du journal Aljazira.
Pour la réalisation de son livre, Kerim Maamer s’est surtout basé sur une documentation qu’il a lui même collectée auprès des experts et avec l’appui des populations locales, dont le but essentiel est de valoriser et jeter la lumière sur une île au riche patrimoine culturel et naturel, souvent mis en péril.
Il est impossible de parler de Djerba sans évoquer le passé judaïque de l’île toujours présent avec le pèlerinage annuel de milliers de juifs à travers le monde vers la vieille “synagogue de l’étrange” ou de la Ghriba qui affluent vers ce lieu cérémonial qui perpétue le prolongement de l’identité de certains autochtones de confession juive.
Sur cette île, musulmans et juifs, et autres populations dites minoritaires s’intègrent et forment un seul tissu homogène, ce que l’auteur soulève surtout que la perdition d’une communauté, comme celle des juifs, est un aspect qui avait fait surface lors de l’écriture de la nouvelle Constitution tunisienne.
Dans ce chapitre, l’auteur parle aussi de l’identité amazighe et des origines berbères des habitants de l’île, présents dans les récits d’histoire et des voyageurs sur cette partie de “l’Ifriqiya qui a constitué l’unité géographique d’une presqu’île entre la mer Méditerranée et le désert du Sahara, d’une pointe occidentale entre les peuples de Libye et de Mauritanie, qui concerne un peu plus que l’actuel territoire de la Tunisie et de l’Algérie”, lit-on à la page 79.
Le livre aborde également le patrimoine historique de l’île menacé de perdition retraçant l’originalité d’un système insulaire traduit dans ce que Maamer appelle “l’adaptation des conditions aux moyens… de ce territoire isolé, peu éloigné du continent africain, avec une mer faiblement profonde, d’une excellente nature et d’exceptionnelle richesse halieutique”.
Mais “Djerba n’est qu’un miraculeux bout de désert sur l’eau, d’une merveille qui ne tient qu’à un équilibre fragile, de l’homme et son milieu, des plantes et du sol…”, écrit l’auteur, regrettant à la fois “un héritage si précieux” qui a été “éreinté, mis à néant, en l’espace de quelques années”.
De l’histoire et l’identité culturelle de l’île, l’auteur s’est notamment dirigé à expliquer des questions liées à la sociologie, l’environnement, la gestion des ressources et le système de gouvernance longtemps adopté par les habitants de Djerba.
Des articles écrits par plusieurs auteurs figurent dans ce livre qui relate entre autres les aspects spécifiques qui ont longtemps marqué cette île du sud-est de la Tunisie. Les deux premiers chapitres sont l’œuvre de Saïd Barouni, Essayed Mazouz et Kamel Tmarzizet.
Certains noms figurent aussi dans les autres chapitres du livre dans lequel ont collaboré Wahid Ibrahim, Pierre Rabhi, Chamsdin Chourou, Abdelhamid Ghribi, Lotfi Jeriri, Jean-Marie Garnier et Magid Ghouwayel.
Partant du mot “outrage” dans le titre du livre, l’auteur cherche aussi à montrer cette souffrance infligée aux habitants aussi bien que l’île en général dont l’appellation “Lotophages” en a été longtemps liée depuis l’antiquité, comme étant “l’île des Lotophages”.
Dans le chapitre sur l’histoire de Djerba, l’auteur consacre plus de 50 pages qui renvoient aux différents épisodes ayant marqué l’histoire de l’île depuis l’antiquité jusqu’au début des conquêtes arabes et l’arabisation de l’île avec l’avènement de l’Islam.
Ecrit par Saïd Youssef Barouni, directeur d’un centre d’études chargé de sauvegarder les archives de Djerba, ce chapitre évoque surtout l’avènement de l’islam des ibadites de Djerba, un courant musulman qui ne reconnaît pas le règne des califes.
Le livre présente Djerba, une île qui a survécu à tant de guerres, d’influences et de rivalités dont l’auteur et ses collaborateurs citent avec beaucoup de précision en s’attardant sur des épisodes historiques qui étaient le point de départ dans l’installation de l’identité de l’île.
L’auteur cite aussi l’influence chrétienne sur Djerba, l’invasion Helalienne, la prise de Djerba et la période des Hafsides qui avaient difficilement imposé leur règne sur cette île isolée ayant toujours jalousement gardé son indépendance du pouvoir central en Tunisie, sous le règne des différentes dynasties musulmanes.
Cet éternel isolement est perçu comme une forme d’indépendance pour Djerba et ses habitants, ce qui a largement impacté le style de vie sur une île aux particularités démographiques, environnementales et architecturales uniques.
La plus grande particularité de Djerba est qu’elle a toujours été régie par la tradition et non selon la volonté d’un pouvoir public, bien qu’à certaines époques de l’histoire de l’île, les Djerbiens se soient ralliés, pour des fins commerciales, au pouvoir en place à Tunis.
Au fur et à mesure de la lecture, le livre offre au lecteur un large aperçu de l’histoire qui a aidé à façonner l’île, ce qui est l’ultime souci de l’auteur réprimant l’incohérence et le marasme d’un modèle socio-économique ayant négativement impacté la population, l’identité et le patrimoine de la population djerbienne.