C’est à la faveur d’un voyage d’études en Chine qu’une délégation tunisienne, regroupant des agents de voyages et des hôteliers, a rencontré des homologues chinois et assisté au Salon «ITB Shanghai 2018» qui enregistre pour sa deuxième édition la participation de plus de 700 exposants venus de 80 pays.
Soutenue par la GIZ (la Coopération allemande) et portée par l’administration et la profession, l’opération a permis de mieux appréhender un marché qui confirme son intérêt pour la destination Tunisie mais démontre des prémices de dérapage dues au bradage des prix, à l’irrégularité des services et à l’incompréhensions des attentes et de la culture des clients.
Intense et construit autour de plusieurs rendez-vous avec des mastodontes comme C Trip ou des tours opérateurs historiques opérant en Chine, comme Thomas Cook, le programme du voyage d’études a permis de rencontrer des opérateurs chinois qui voient en la destination un gros porteur pour leur profitabilité. Reste que le rapport en construction entre prestataires et clients doit se faire avec vigilance.
Reportage de Pékin à Shanghai de Amel DJAIT
En Chine, la Tunisie est à la mode ! Et ce ne sont pas les rendez-vous de la large dizaine de professionnels tunisiens, représentant la FTH, la FTAV et la FI2T, avec des opérateurs chinois comme Haoqia ou Qyer durant ce voyage d’études, qui diront le contraire.
Ici, il y a de l’intérêt pour la Tunisie, beaucoup d’intérêt, pas de mauvaise perception et encore moins de préjugés sur le terrorisme ou le tourisme de masse. Même la question sur la sécurité se pose comme elle se poserait pour toutes les autres destinations du monde.
Habitués à opérer sur les marchés traditionnels essentiellement européens, les professionnels tunisiens s’adaptent vite. Il faut avouer que l’exercice est intéressant. En Chine, il faut construire des messages clairs, soigner l’étiquette durant les rendez-vous et taire autant les handicaps que les atouts les plus communs de la destination. Inutile de parler de 1.200 km de côtes et d’une offre balnéaire qui a fait ses preuves! L’intérêt du marché est ailleurs, dans la culture, les expériences et les découvertes.
«Business Oriented» les rendez-vous à Pékin ou à Shanghai se ressemblent tous. Depuis que la Tunisie a levé les restrictions de voyages aux Chinois, la demande sur la destination explose. Plus importante hausse en nombre d’entrées de touristes aux frontières tunisiennes entre 2016 et 2017, l’année en cours confirme la tendance. A ce jour, +60% sont enregistrés en termes d’arrivées.
Loin de l’euphorie, l’ambassadeur de Tunisie à Pékin, Dhiaa Khaled, reste pragmatique : «Nous sommes en train d’atteindre le maximum de la courbe ascendante. La prochaine étape ne se fera pas sans l’aérien ! Ceci dit, il faut garder en tête que le touriste chinois est un investisseur potentiel. Beaucoup de ceux qui se rendent en Tunisie sont intéressés par certains de nos produits, d’autres par l’achat d’immobilier…».
Ce qui les déstabilise, c’est le «turn over» des gouvernements tunisiens depuis la révolution. Mais à cet argument, l’ambassadeur reste imparable. Tous les engagements pris par la Tunisie sont respectés. La continuité est assurée !
Reste que le côté relationnel est important! Ici, on fait certes des «deals» avec des entreprises, mais on donne sa confiance à des personnes qui deviennent en quelque sorte la seule et vraie boussole dans le pays. Entre la Chine et la Tunisie, les différences culturelles ne se mesurent pas en termes de distance kilométrique mais plutôt en termes de quasi ignorance de l’histoire de l’autre. A ce jour, seuls quelques 450 Tunisiens déclarés vivent en Chine. Le volume des échanges dans la balance commerciale reste encore anecdotique.
Le voyage d’études a aussi permis de remettre en cause certaines idées reçues des professionnels tunisiens sur le marché chinois et ses attentes. En fait, comme dans tous les marchés, il y a autant de demandes que de besoins, budgets et de centres d’intérêt.
Pour preuve, un opérateur chinois spécialisé dans le FIT annonce disposer de budgets de plus de 25.000 dollars US pour des clients très exigeants et une durée de 10 à 12 jours sur deux destinations. Pour répondre, les professionnels tunisiens ne se laissent pas impressionner. Certains ont trouvé la recette. Traiter l’individuel chinois comme du MICE. Ne reculer devant rien et proposer le mieux et le plus exclusif du pays pour parvenir à répondre aux besoins d’une clientèle fortement courtisée par toutes les destinations du monde et non des moindres, Dubaï, Paris, Casablanca, Londres… Il n’y a pas de recette miracle, il faut de l’audace et s’assurer du suivi derrière.
Pour bien comprendre les enjeux, diverses batailles se livrent en même temps, et le compétiteur majeur en face de la Tunisie reste le Maroc qui, rapidement, atteint plus de 100.000 clients chinois en moins de deux ans depuis l’instauration du «visa free», sauf que cette progression fulgurante a dans son sillage miné le terrain du développement pour la Chine.
Pour le directeur des opérations de Thomas Cook Shanghai, cette hausse est impressionnante et ne fait pas que du bien à la destination. Comprenez par cela que les Chinois n’aiment pas se retrouver qu’entre Chinois, que les mentalités des guides sur place ont changé. Il explique : «Dans nos voyages, nous interdisons le shopping et refusons les commissions incroyables sur nos clients. Du coup, cela les rend moins intéressants. La guerre se fait aujourd’hui au niveau du prix et nous refusons cela. Nous voulons de l’échange, de la qualité, du service, du respect… et pas que de la profitabilité».
La Maroc a cartonné mais commence à être victime de son succès trop rapide. Cette guerre, la Tunisie la connaît parfaitement et l’a déjà vécue sur les marchés européens où, quand la confiance se rompt et le cercle vertueux de la confiance se brise, il devient difficile de remonter la pente. C’est pourquoi certains opérateurs chinois ont compris que la Tunisie offrait une fenêtre de tir particulière en raison de sa proximité avec l’Italie ou Malte. 45 minutes de vol pour Rome ou 30 minutes pour la Sicile, voilà où nous voulons frapper, résume le Product manager de Haoqia, un TO en ligne qui n’attend que des offres de prix pour voir la Tunisie décoller au bout de 6 mois. Ici, les délais sont cours, la correspondance se fait par WeChat, et surtout pas par mail -trop lent et impossible à cause des décalages horaires.
Le monde entier sait que la prochaine décennie du tourisme ne se fera pas sans la Chine. Un récent rapport de la Commission européenne du voyage a révélé que le nombre des touristes sur les premiers mois de 2018 ont augmenté de 254% sur la Serbie, de 153% sur le Monténégro et de 46% et 30% sur respectivement la Croatie et la Pologne. Les parts de marché font rêver les destinations, et les Tunisiens en mission pour ce voyage d’études savent parfaitement qu’ils doivent répondre vite, ne pas brader et ne pas se tromper.
Les Chinois sont durs en affaire ! Ils veulent payer à 6 mois de délais, veulent du staff parlant chinois et peuvent rapidement encenser ou laisser tomber une destination. Ce luxe, les opérateurs tunisiens ne peuvent se le permettre.