Kamel Ayadi, président du Haut comité de contrôle administratif et financier (HCCAF) et son équipe ont présenté, le 26 avril dernier à Tunis, une étude spécifique relatives à trois dépassements sur un total de dix relevés dans la fonction publique.
En voici l’essentiel.
Cette étude a couvert une cinquantaine de structures publiques. Kamel Ayadi a tenu à préciser dès le départ que s’il y a une focalisation sur certains départements, c’est tout simplement en raison de la disponibilité de beaucoup de rapports sur eux et en raison du nombre élevé de leur effectif.
Les principaux dysfonctionnements évoqués dans cette étude concernent l’octroi par convenance des certificats médicaux, l’abus des heures supplémentaires et de la mise en disponibilité.
Mais le mérite de cette étude est d’avoir proposé des solutions pour remédier à ces dysfonctionnements très coûteux pour le contribuable.
La présentation de cette étude intervient après celle faite, le 11 avril 2018, du 24ème rapport annuel du HCCAF pour l’exercice (2016-2017). Ce rapport avait créé le buzz pour avoir recensé une dizaine de dépassements touchant trois volets : la gestion des ressources humaines, la passation des marchés publics et la gestion des véhicules administratifs.
L’étude, qui s’est basée sur les rapports de contrôle élaborés par les inspecteurs et contrôleurs de l’Etat, ne s’est intéressée qu’à un seul volet, celui des dépassements liés aux resssources humaines.
En 2017, les heures supplémentaires ont coûté au contribuable 95 MDT
S’agissant des heures supplémentaires, l’étude a relevé des abus dans l’octroi des heures supplémentaires, particulièrement au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Le choix de ce département est dicté par la disponibilité d’un grand nombre de rapports sur cette question.
Concrètement, l’étude relève que beaucoup d’enseignants ont bénéficié illégalement d’heures supplémentaires. Elle évoque la tendance paradoxale des enseignants à ne pas remplacer les heures de cours lorsqu’ils s’absentent et à tenir, par contre, à bénéficier en toute légalité des heures supplémantaires qu’ils exercent.
Pour pallier ce dysfonctionnement, l’étude recommande de veiller à l’exécution effective du travail demandé lors de ces heures supplémentaires et d’étudier la possibilité de remplacer les heures supplémentaires par des jours de congé de repos.
Car, le coût des heures supplémentaires octroyées illégalement est estimé à 95 MDT en 2017 dont 62,5 MDT de primes accordées aux fonctionnaires du ministère de l’Education, contre 4 MDT en 2013.
Pis, relève l’étude, la valeur des heures supplémentaires accordées à tort ou à raison aux enseignants s’est multipliée par 15, au cours des quatre dernières années.
Une centaine de médécins ont donné 24.631 faux certificats médicaux
La deuxième problématique soulevée par cette étude porte sur l’octroi par complaisance de certificats médicaux durant la période 2014-2016. Les abus les plus visibles sont signalés au ministère de l’Education dont l’effectif représente les deux tiers de la fonction, plus de 160.000 fonctionnaires.
En effet, 104 médecins ont accordé aux enseignants 24.631 certificats médicaux de «complaisance». Mention spéciale pour un médecin qui a prescrit, à lui seul, 1.183 «faux» certificats médicaux.
Au total, 27.900 jours de repos ont été accordés, soit l’équivalent de 930 mois de travail payés au ministère de l’Education, et 14.100 jours de repos, soit 470 mois de travail payés au ministère de la Santé.
En valeur, selon un échantillon du rapport de contrôle effectué auprès du ministère de l’Education, au cours de l’année scolaire 2015-2016, le nombre de jours de travail perdus pour cause de congés de maladies est estimé à 74.000 jours, tandis que le total des salaires rémunérés sans travail effectif, au titre des congés de maladie, est estimé à 2,463 millions de dinars (pour un salaire mensuel moyen de 1.000 dinars).
Au rayon des solutions, l’étude préconise une plus grande responsabilisation des médecins de contrôle des départements ministériels, la suppression de congés de longue maladie pour des maladies qui n’existent plus, telle que la tuberculose, et l’introduction de nouvelles maladies chroniques (dialyse, diabète …).
La mise en disponibilité, une pratique illégale qui coûte au contribuable 24 MDT
Troisième dysfonctionnement relevé par l’étude, l’abus dont est fait de la mise en disponibilité. La procédure serait illégale par essence. Pour preuve, cette pratique n’est mentionnée dans aucun statut régissant les personnels du secteur public. Quelque 641 fonctionnaires bénéficient ainsi «illégalement» de cette mise en disponibilité pour une période allant de un à 22 ans. Sur ce total, jugé, selon les participants à cette conférence de presse, “ne pas correspondre au chiffre réel qui serait plus élevé“, 279 sont signalés au ministère de l’Education.
Les conclusions de cette étude se basent sur les rapports annuels de la Cour des comptes (2004-2016) et ceux établis par le Contrôle général des finances (2009-2018).
Au chapitre des solutions, l’étude invite les structures d’inspection et de contrôle de l’Etat à porter, lors de leurs inspections, un intérêt particulier à cette pratique illégale, à assurer le suivi des personnes mises en disponibilité et à réfléchir à sa réglementation en raison de son coût exorbitant.
Le coût salarial des mises en disponibilité, dont le HCCAF avait pourtant suggéré la suppression en 2012, est évalué à 24 MDT dont 8 MDT au titre de mises en disponibilité signalées à l’OMNP (Office de la marine marchande et des ports).
Promulguer des textes dissuasifs
Cela pour dire au final et pour reprendre cette remarque de Kamel Ayadi : “Avec ces énormes pertes pour le contribuable, le coût de la mauvaise gouvernance s’est avéré de loin plus élevé que celui de la corruption”.
L’heure est de sévir et surtout de légiférer et de promulguer des textes dissuasifs, l’ultime but étant de mettre fin à ces abus scandaleux.
Maintenant, il faut espérer que le HCCAF continue sur cette lancée et que des moyens conséquents soient toujours mis à sa disposition pour effectuer de telles études.
Le HCCAF devrait également effectuer des études spécifiques sur le reste des dépassements, particulièrement ceux qui concernent la passation des marchés publics et la gestion des véhicules administratifs.