Si les responsables des deux pays semblent commencer à trouver un terrain d’entente au sujet des moyens de contenir les flux migratoires pour favoriser la «bonne» migration et combattre la «mauvaise», les populations ciblées n’adhèrent pas encore à ce qu’on leur propose.
S’il fallait une preuve de la complexité de la question de la migration, Olivier Poivre d’Arvor l’a bien apportée lors de l’ouverture de la deuxième édition du Forum Mobilités et Diasporas, organisé (en mai 2018) pour la deuxième année consécutive par l’Office de l’immigration et de l’intégration (OFII). En quelques minutes, l’ambassadeur de France en Tunisie a résumé la difficulté de l’exercice –dont le Forum Mobilités et Diasporas devient l’un des lieux privilégiés- consistant à rechercher une stratégie permettant de faire de la migration quelque chose de «mutuellement profitable».
Prudent, Olivier Poivre d’Arvor commence par reconnaître et souligner l’apport positif des migrants et de la migration à la France et à l’Europe d’une façon plus générale –représentée ce jour-là également par Andreas Reinicke, ambassadeur d’Allemagne en Tunisie. «Avec Andreas, nous parlons de ce que représente la migration pour nos pays. C’est une contribution considérable dans la transformation de nos sociétés. En quarante ans, la société française a été transformée dans le bon sens du terme».
Près de 1.300 ingénieurs tunisiens sont partis en France avec des CDI
Cette contribution est d’abord d’ordre économique. C’est dans ceux du Sud que les pays de l’Union européenne viennent recruter pour combler leur déficit dans certaines catégories professionnelles pointues. En 2017, 1.475 de ces têtes bien faites tunisiennes –dont 1.283 ingénieurs- sont partis en France avec des Contrats à Durée Indéterminée (CDI).
Au total, 16.430 Tunisiens ont été admis, en 2017, à séjourner longuement sur le territoire français. Cela représentait 10% des travailleurs étrangers extra-communautaires, 12% des flux familiaux et 8% des étudiants, indique-t-on à l’OFII.
Mais l’homme de lettres qu’est l’ambassadeur de France est aussi sensible à l’apport culturel de la migration. «Malgré les foyers extrêmes, cette diversité culturelle est précieuse. S’il y avait eu des visas à l’époque, est-ce que Chagal, d’origine russe, serait Français?», s’interroge-t-il.
Mais, finit par admettre le diplomate français, la migration «il y a mille manières d’en parler».
Polémique lorsque la difficulté d’obtenir des visas remonte à la surface. Dans ce domaine, l’ambassade fait de son mieux, défend l’ambassadeur : 90% des 180.000 demandes présentées en 2017 ont été satisfaites. Dramatique aussi, car «dans la conscience universelle, on ne pense pas à la migration organisée, mais aux drames» que provoquent les flux clandestins.
Gestion concertée des flux migratoires
L’immigration pose, donc, problème aujourd’hui. «C’est pour nous un sujet de préoccupation. Il faut travailler de plus en plus et le mettre sur la table», recommande l’ambassadeur. Et c’est aujourd’hui le Forum Mobilités et Diasporas. Il a été lancé en 2017 par l’OFII, en charge du côté français, en vertu de l’accord bilatéral de 2008 sur la gestion concertée des flux migratoires, dans son volet “Développement solidaire”, de la gestion de la migration de retour, après avoir eu à administrer la migration de travail puis la migration familiale.
La première édition en 2017 «a démontré l’importance de la migration, avec près de 700.000 Tunisiens en France et quelques dizaines de milliers de Français en Tunisie», observe l’ambassadeur.
La seconde a eu pour but «d’identifier» ses acteurs en Tunisie et de formuler, avec la partie tunisienne, «une stratégie pour la mobilité professionnelle» en vue d’assurer la réinsertion des Tunisiens de retour et la contribution de la diaspora au développement de la Tunisie.
Le but étant de faire «un pari sur les aspects mutuellement profitables des migrations entre pays de départ, de transit, de séjour, d’installation ou de retour, en termes de contribution au développement, de production économique, d’échanges humains, de richesse culturelle et de stratégie d’influence, et «sensibiliser l’opinion publique à la complexité des questions migratoires, aider les individus qui le souhaitent à s’engager dans des parcours migratoires maîtrisés, limiter les drames et la souffrance de la migration irrégulière».
510 Tunisiens ont bénéficié du mécanisme d’aide au retour
La France veut «lutter contre la face sombre de l’immigration et cultiver ses aspects positifs», résume Stéphane Darmas, directeur du bureau de représentation de l’OFII à Tunis.
Les deux parties, française et tunisienne, commencent-elles à trouver un terrain d’entente ? C’est ce qu’on est tenté de croire à l’écoute de Fehd Trimech. Ce directeur du cabinet du secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires sociales chargé de l’Immigration et des Tunisiens à l’étranger, Adel Jarboui, -qui se considère un peu comme un modèle de la migration réussie –«j’ai été étudiant, puis je suis rentré et je m’occupe aujourd’hui de la question migratoire», aime-t-il souligner- voudrait que la migration ne soit «pas un destin, mais une étape de la vie».
Le chef de cabinet de Adel Jarboui est convaincu qu’«il y a des solutions à toutes les questions lorsqu’elles sont posées de manière claire». Mais cela ne garantit pas forcément leur mise en œuvre rapide. Ainsi, malgré la mise en place d’un mécanisme supposé le favoriser, le retour en Tunisie ayant émigré en France reste très en deçà des espérances des uns et des autres. Depuis la mise en place en 2011 de ce mécanisme d’aide au retour et à la réinsertion économique et sociale, seulement 510 Tunisiens ont en ont bénéficié. Un «chiffre insuffisant au regard du nombre de personnes qui pourraient en avoir besoin pour rentrer la tête haute, avec un projet de vie», estime-t-on à l’OFII.
MM