Elle avait 19 ans quand elle a fait son premier stage d'”ouvrier d’été” dans une usine de chaussures à Tunis, dans le cadre de ses études. Azza Bouzaine a aujourd’hui 32 ans et se souvient de ce “coup de foudre” pour le métier de designer de chaussures. Elle en parle avec beaucoup de passion et d’amour, dans un entretien accordé à l’agence TAP.
Diplômée en design industriel de l’Ecole supérieure des sciences et technologies du design (ESSTD), avant de suivre un master professionnel en création d’entreprises à l’IHEC (Institut des hautes études commerciales de Carthage), elle a créé son propre projet pour “fabriquer de chaussures confortables et de bonne qualité”.
Deux critères souvent non respectés, d’après la jeune designer et créatrice, rencontrée dans son local qui est à la fois une boutique et un atelier séparés par une baie vitrée. Une forte odeur de colle et de cuir se fait sentir à l’entrée de l’atelier qui regorge d’embauchoirs et de petits outils…
“J’ai passé chaque été, durant mon parcours universitaire, d’un stage à un autre, entre usines tunisiennes et fabricants étrangers, ou chez des petits artisans de la Médina de Tunis où j’ai appris beaucoup de techniques”, raconte Azza, après avoir passé des consignes à ses employés installés derrière leurs petites machines ou tables, en train de coller les chaussures, faire les finitions…
“Au cours de ces stages, j’étais choquée par l’attitude de certains fabricants locaux qui sont réticents à transmettre leur savoir-faire aux jeunes et, qui tentaient de me décourager de créer ma propre marque, contrairement à des responsables de marques étrangères comme Maître Bottier où j’ai fait un passage”.
Mon premier atelier, le garage de mes parents
En 2010, la jeune créatrice s’est installée dans le garage de ses parents et a commencé à y travailler. Durant deux ans, elle a économisé son argent de poche pour acheter le matériel nécessaire : une machine à coudre pour s’entraîner sur les patrons et des anciennes chaussures.
“J’ai commencé à démonter les chaussures pour savoir comment elles étaient confectionnées, par la suite, j’ai réussi à fabriquer des claquettes que j’ai vendues ou données gratuitement à des amis. A la suite de cela, j’ai commencé à recevoir les premières commandes”, se souvient Azza.
Au bout de ces deux ans, elle a recruté son premier employé. Aujourd’hui, Azza, chef d’atelier dans sa propre société “La Tige”, officiellement créée en 2014, a renforcé son équipe. Elle compte désormais 5 personnes qui travaillent solidairement pour pérenniser la petite société qui commence à se frayer un chemin dans l’univers de la chaussure.
La jeune tunisienne, qui conçoit des modèles de chaussures pour femmes et hommes, est désormais familiarisée avec le jargon de l’industrie de la chaussure et pourrait parler inlassablement des techniques et des moindres détails de la coupe, du traçage, de l’assemblage et du piquage, puis de la fabrication de la partie supérieure de la chaussure dite la tige, d’où vient le nom de sa marque.
Elle s’approvisionne auprès de fournisseurs tunisiens en matières premières, qu’ils importent d’Italie, de l’Inde, du Maroc et d’Egypte.
“Je n’ai pas insisté pour bénéficier des incitations financières aux TPE”
Malgré les multiples difficultés rencontrées au début de son projet, à cause de la bureaucratie, Azza est très heureuse de parvenir enfin à réaliser son rêve. Pour ne pas perdre du temps et hâter la création de son projet, elle n’a pas voulu insister pour bénéficier des mesures et avantages financiers accordés, en vertu de la loi, aux jeunes promoteurs.
“J’ai frappé aux portes de plusieurs banques et structures d’appui et j’ai compris que les procédures faisaient prendre du temps, donc je me suis contentée du soutien financier familial et j’ai acheté des machines d’occasion”, explique-t-elle.
En plus d’une vitrine en ligne sur les réseaux sociaux, elle a ouvert une boutique à La Marsa qui n’est pas restée longtemps ouverte, puisqu’elle a choisi de déplacer son atelier à La Soukra. Maintenant, elle commence à se faire des clients tunisiens fidèles et d’autres résidant à l’étranger.
Ses chaussures, elle les vend à des prix variant entre 100 et 200 dinars pour les femmes et de 150 à 250 D, pour les hommes. Elle convient que leur prix est relativement cher, mais c’est justifié par la cherté de la matière première et de la main-d’œuvre.
Je travaille dans un univers exposé à la concurrence et dont les difficultés d’approvisionnement sont multiples, affirme la jeune femme. Elle préfère s’approvisionne en peaux auprès des tanneries tunisiennes, au lieu des fournisseurs importateurs pour réduire ses coûts, mais “la qualité n’est pas toujours au rendez-vous”, regrette la jeune femme.
La formation professionnelle à revoir…
La jeune créatrice considère que le savoir-faire tunisien existe, puisque “les chaussures destinées à l’export, fabriquées en sous-traitance, sont de bonne qualité, contrairement aux produits écoulés sur le marché local qui sont d’une qualité médiocre”.
Dans le domaine de la formation, elle pointe un autre problème “qui persiste depuis les années 80, à savoir une formation axée sur la sous-traitance dans la grande industrie, au lieu de former des designers pour favoriser la création de petits projets. Je pense que la formation doit encourager la création des TPE et PME qui peuvent dynamiser l’économie tunisienne”.
La concurrence déloyale des produits chinois et turcs
Azza évoque les marques de chaussures importées notamment de la Turquie et de la Chine et qui ont causé, au cours de la période 2008/2010, la fermeture de plusieurs usines à cause de la concurrence déloyale.
Elle ne considère pas de tels produits comme étant de la concurrence, étant donné leur mauvaise qualité, indiquant que “j’ai entendu parler qu’à un certain moment des chaussures chinoises dont les semelles sont fabriquées avec des déchets même médicaux, ont été importées en Tunisie”. “Moi je cible la qualité, je fais de la personnalisation en adaptant les chaussures à la morphologie des pieds, alors que ces pays tablent sur la quantité. Mais notre vrai concurrent, c’est la friperie, car il y a des chaussures de bonne qualité, à des prix réduits”.
Pour elle, la concurrence gênante, c’est celle des marques qui trichent, en affichant des chaussures soit-disant en cuir, à moitié prix, alors que c’est du skaï de mauvaise qualité.
Malgré les craintes, d’aller très loin
La situation est aujourd’hui alarmante, selon Azza, car les prix des matières premières dont la quantité est de plus en plus réduite, augmentent, toutes les deux semaines, à cause de la conjoncture du pays et de la dépréciation du dinar.
“Dans très peu de temps, je serais même obligée d’importer directement le fils, la colle, le cuir et peut-être même les semelles…”, craint-elle
Pour l’avenir, la designer reste optimiste, elle compte agrandir son atelier mais tout en restant dans l’artisanal. Elle pense même à l’export, misant sur le design, le confort et la qualité.
Azza annonce qu’elle va sortir sa première collection de chaussures pour enfants au mois de septembre 2018. La jeune designer espère, enfin, voir émerger des marques tunisiennes similaires à la sienne, car la concurrence lui permet de se développer davantage.