“La STEG est prête à faire face à la pointe de la demande, au cours de l’été 2018 “, a indiqué Moncef Harrabi, PDG de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG), dans une interview accordée à l’agence TAP.
des factures impayées, d’un montant de 970 millions de dinars
Ingénieur de formation, Harrabi, qui exerce, depuis 30 ans, dans le domaine de la production et du transport de l’électricité et des énergies renouvelables, a évoqué les projets futurs qui seront lancés par la Tunisie, dans le domaine énergétique et électrique, et a aussi, expliqué, les problèmes et difficultés par lesquels passe la Société, qui traîne des factures impayées, d’un montant de 970 millions de dinars (MD).
Est-ce que le prix de l’électricité va être augmenté ?
La décision de l’augmentation du prix de l’électricité, ne relève pas de la STEG, mais du Ministère de l’Energie, des Mines et des Energies Renouvelables. C’est une décision qui se prend lors de l’élaboration de la Loi de finances, soit initiale ou complémentaire, et ce, par le gouvernement en concertation avec le ministère de tutelle.
Mais, au vu de la hausse excessive du prix du baril de pétrole à l’échelle internationale, lequel avoisine, actuellement, les 80 dollars (environ 205 dinars), nous n’écartons pas la possibilité de l’augmentation du prix de l’électricité, dont la subvention coûte énormément, au budget de l’Etat.
Il est à noter que cette flambée du prix du baril, coûte considérablement, à la STEG, étant donné que chaque dollar supplémentaire qui s’ajoute au prix du baril, nous fait perdre environ, 42 millions de dinars (MD). De même, toute dépréciation de 100 millimes du dinar tunisien, nous fait perdre 150 MD.
Dans ce contexte, nous invitons tous les intervenants économiques, les établissements publics, les administrations… et les simples citoyens, à contribuer à l’effort national de maîtrise de l’énergie, en rationalisant leur consommation d’énergie et en adoptant un comportement d’efficacité énergétique.
Que recommandez-vous, pour ancrer la maîtrise de l’énergie et l’efficacité énergétique, dans le comportement du tunisien?
Il faut, tout d’abord, préciser que la Tunisie figure parmi les pays qui ont réussi à assurer une électrification presque globale, de tout le territoire du pays (99,99%). La capacité nationale de production électrique s’élève à plus de 5 000 MW, mais c’est une capacité qui varie suivant les conditions climatiques, puisqu’elle régresse avec l’augmentation de la température.
Pour ce qui est de notre consommation nationale d’électricité, elle varie d’une saison à une autre et d’une période à une autre, mais elle est marquée par deux pics journaliers, le matin et le soir. En hiver, la pointe est durant la soirée, alors que durant la saison estivale, la pointe est à midi.
Pour ce qui est de notre consommation nationale d’électricité, elle varie d’une saison à une autre et d’une période à une autre, mais elle est marquée par trois pics annuels, celui de l’hiver durant la soirée, et de deux pics durant la saison estivale (la soirée et durant la journée).
Le pic de consommation le plus important est généralement enregistré, durant l’été, de 11h00 à 15h00. En 2017, nous avons enregistré un pic record, le 9 août, vers 13h00, avec une consommation de 4 025 MW, contre 3 400 MW en 2016, ce qui représente une hausse de 18%. La moyenne annuelle de consommation par ménage, étant estimée à 1 760 KW.
Pour cette année, nous prévoyons une hausse plus importante au niveau du pic de la consommation électrique, pour atteindre environ 4200 MW. Une hausse confortée par les nouveaux branchements au réseau de la STEG (plus de 120 mille branchements supplémentaires chaque année) et le lancement, tous les ans, de nouveaux projets et de nouvelles sociétés industrielles, dont l’activité dépend de l’usage de l’électricité (boulangeries, cafés…), outre l’amélioration du niveau de vie des citoyens, qui se reflète par l’acquisition d’équipements électroménagers et notamment les climatiseurs.
Avec cette hausse de la demande, nous nous retrouverons dans une situation délicate, puisque la demande serait presque l’équivalent de notre production électrique nationale, et ainsi, nous n’aurons pas de marge de manœuvre en cas de besoin.
Ainsi, nous sommes en train de nous préparer, à travers des actions purement techniques, ainsi que d’une stratégie de communication, pour parvenir à passer cette saison un peu délicate, en toute sécurité.
Dans ce cadre, nous allons lancé une campagne de communication pour sensibiliser les citoyens à la nécessité de rationaliser leur consommation d’énergie, en adoptant un comportement responsable.
Quels sont les principaux axes de cette campagne de communication ?
Le principal pivot de notre campagne s’articule autour de la rationalisation de l’usage des climatiseurs, étant donné que la climatisation accapare près de 50% de la consommation électrique nationale durant la pointe estivale.
Dès lors, nous allons œuvrer à sensibiliser le consommateur à la nécessité de s’assurer, lors de l’acquisition du climatiseur, qu’il colle parfaitement à ses besoins réels, et qu’il ne soit pas énergivore, en consultant l’étiquette énergétique. Par ailleurs, le consommateur doit régler le climatiseur à un degré tempéré (26 degrés), étant donné que chaque degré plus bas, engendre de 6 à 12% de surconsommation. Il faut également, qu’il évite d’ouvrir les portes et les fenêtres lorsque le climatiseur est en marche.
Pour ce faire, nous allons mobiliser plusieurs moyens de sensibilisation dont la diffusion de spots télévisés, l’envoi de SMS, une campagne d’affichage. Mais nous envisageons aussi, de pénaliser les gros consommateurs d’électricité, notamment de haute et moyenne tensions, surtout pour la consommation abusive durant les heures de pointe.
Notre plan de communication cible également, les industriels de haute tension, dont notamment les cimenteries, en les invitant à réduire volontairement, leur consommation électrique, tout au long des deux mois de juillet et d’août, du 11h00 jusqu’à 15h00. En contrepartie, ils bénéficieront d’incitations financières.
De même, nous avons élaboré un programme de concertation avec les auto-producteurs d’électricité (cogénération), en les incitant à produire davantage d’électricité durant les heures de pointe, en juillet et août, et à l’injecter dans le réseau de la STEG. Cet excès d’électricité sera acheté par la STEG à des prix plus élevés, à savoir le triple, voire le quintuple des prix habituels.
Côté techniques, nous avons mené, en parallèle, des actions de maintenance et de réhabilitation de l’ensemble de nos centrales électriques en Tunisie, dans les différentes régions du pays, pour augmenter leur capacité de production électrique. Nous avons engagé, aussi, des actions de contrôle des réseaux électriques haute tension pour détecter les faiblesses et œuvrer à y remédier.
Au niveau de la distribution, nous avons opté pour le renforcement du réseau de distribution, notamment de moyenne tension, afin d’améliorer la qualité des prestations. De même, l’ensemble des districts se sont engagés à procéder à l’assainissement des réseaux de distribution.
On dénombre une vingtaine d’industriels de haute tension, essentiellement, des cimenteries, lesquels produisent de l’électricité destinée à satisfaire leurs propres besoins ainsi qu’un nombre important d’industriels de moyenne tension, assurant une capacité électrique moyenne variant entre 60 et 70 MW.
Nous avons coordonné, également, avec la SONEDE et le ministère de l’Agriculture, afin d’éviter toute coupure de l’électricité, alimentant les stations de pompage et par conséquent de l’eau dans certaines zones rurales, étant donné que les stations de pompage dans ces régions fonctionnent moyennant l’énergie électrique.
Qu’avez-vous prévu pour faire face à un surplus de besoin en électricité, durant la saison estivale ?
Afin de faire face à un éventuel besoin en énergie électrique, nous avons été autorisés (conseil ministériel tenu en février 2018) à louer des groupes mobiles de production d’électricité d’une capacité de 120 MW. Nous avons lancé un appel d’offres en la matière, mais nous n’avons reçu aucune soumission.
Dès lors, nous avons pris la décision, avec notre homologue algérien de revoir à la hausse, le seuil d’échange avec l’Algérie, entre 150 MW et 200 MW, en cas de besoin.
Quels sont les projets futurs de production d’électricité en cours de réalisation en Tunisie ?
La Tunisie s’est engagée depuis des années à renforcer sa capacité de production d’électricité, à travers la mise en place d’une multitude de projets de production de l’énergie conventionnelle et de l’énergie renouvelable, à dessein de parvenir à assurer l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité, en 2019, et à mettre en place des réserves nécessaires à l’exploitation, à partir de 2022.
Pour ce faire, nous projetons d’installer, d’ici 2023, une capacité supplémentaire d’énergie conventionnelle de l’ordre de 2000 MW, et d’énergie renouvelable, à hauteur de 1300 MW, ce qui portera la capacité nationale à environ 8300 MW.
Plusieurs projets ont été engagés, dans ce cadre, dont le dernier né est la nouvelle station d'”El Bibane”, à Zarzis ( producteur privé), dotée d’une capacité de production de 30 MW/h. Cette station est devenue fonctionnelle, il y a à peine, quelques jours.
En parallèle, nous nous sommes engagés dans d’autres projets, qui sont en cours de lancement, dont les deux fameuses stations de Radès et de Mornaguia, d’une capacité respective de 450 MW et 600 MW.
Ces deux projets ont été programmés depuis la période d’avant la révolution, mais ils ont été bloqués et tardent encore, à démarrer, à cause du problème de la lenteur du processus de cession des marchés publics. A l’heure actuelle, les travaux de la centrale de Radès ont déjà démarré, et nous venons de signer le contrat pour la réalisation de la station de Mornaguia.
Nous estimons parvenir, avant l’été 2019, à installer une capacité de production électrique supplémentaire de l’ordre de 500 MW, avec la mise en fonctionnement des premières turbines de ces deux centrales. Ces deux projets fonctionneront en mode pleine capacité, avant l’été 2020.
Par ailleurs, nous nous préparons au lancement des travaux des deux centrales de Sekhira 1 et Sekhira 2, dont la capacité de chacune est estimée à 570 MW, et qui seront opérationnelles respectivement à partir de 2021 et 2023.
En outre, nous allons lancer des projets d’énergie renouvelable, se basant essentiellement, sur l’énergie éolienne et photovoltaïque. En fait, la STEG mettra en place un ensemble de centrales d’énergie photovoltaïque (à Sidi Bouzid, Kasserine, Médenine, Sfax, Kébili et Tataouine) d’une capacité globale de 300 MW. L’appel d’offres pour ces projets sera lancé incessamment, alors qu’on prévoit que les centrales seront fonctionnelles en 2020, ou au plus tard en 2021.
De même, nous projetons la réalisation, d’ici 2021, d’une centrale éolienne à Kébili, d’une capacité de 80 MW. Cette production s’ajoutera à la capacité éolienne déjà installée (245 MW), dans les deux sites de Haouaria et de Bizerte.
Deux autres projets seront lancés par le secteur privé d’une capacité de 500 MW d’énergie éolienne et de 500 MW, produits par l’énergie photovoltaïque, dans le cadre de concession. Le ministère de l’Energie vient de lancer l’appel d’offres de pré-qualification y afférent.
Dès lors, nous prévoyons de parvenir, d’ici 2023, à l’installation de 2000 MW supplémentaire à partir de l’énergie conventionnelle et de 1300 MW, de l’énergie renouvelable.
A cela s’ajoute le projet d’interconnexion électrique avec l’Italie. Ce dernier, doté d’une capacité de 600 MW, a été inscrit, en novembre 2017, sur la liste des projets d’intérêt commun de l’Union Européenne. Ainsi, il est candidat pour recevoir un don de 300 millions d’euros (soit environ 900 millions de dinars), ce qui représente presque la moitié de son coût d’investissement.
Une fois opérationnel, ce projet permettra de résoudre le problème de coupure d’électricité, surtout durant la saison estivale, dans la mesure où il constituera une source additionnelle d’approvisionnement énergétique en électricité.
Par ailleurs, nous avons lancé une étude avancée pour la construction, au niveau du barrage de l’Oued El Maleh (entre Béja et Jendouba), d’une station de pompage turbinage pour le stockage de l’électricité d’une capacité de 400 MW. Cette station, qui sera prête d’ici 2025, permettra la production et le stockage de l’énergie à des fins diverses.
A cela s’ajoute, le projet Smart Grid, qui sera adopté, dans sa phase pilote, dans le gouvernorat de Sfax, moyennant un investissement de 250 MD, qui sera réservé, essentiellement, à la mise en place de compteurs intelligents. L’objectif de ce projet est de donner la possibilité au consommateur d’optimiser et de rationaliser sa consommation électrique, en suivant en temps réel sa facture.
Comment jugez-vous la situation financière de la STEG ?
La STEG souffre de grandes difficultés financières, dont une proportion importante est due aux factures non payées, par ses clients qui s’élevent à environ 970 MD. 40% de ces dettes reviennent aux entreprises publiques, offices, ministères et municipalités, alors que 60% des factures non payées, relèvent du secteur privé.
La STEG souffre, aussi, de pertes d’énergie, lesquelles représentent environ 18% de sa production. Une partie de ces pertes est d’ordre technique, mais la grande part est engendrée par le phénomène de la fraude d’électricité. Il s’agit là d’un crime qui doit être puni par la Loi.
Il faut préciser que la STEG a enregistré une quinzaine d’accidents mortels, parmi les citoyens, à cause du branchement illégal au réseau de la Société.
Au sujet des deux filiales de la STEG ?
La STEG International services, est aujourd’hui présente dans 23 pays africains. Notre filiale se présente comme un véritable modèle de réussite, qui œuvre à améliorer les services de développement, de distribution et de transport de l’électricité, à travers le continent africain.
De même, la STEG Energies renouvelables, créée en 2009, pour concrétiser le Plan Solaire Tunisie, offre l’encadrement, l’assistance et l’appui technique à l’ensemble des investisseurs tunisiens et étrangers exerçant dans le secteur énergétique. Elle sera encore plus active dans le processus de concrétisation de l’ensemble de projets prévus.
Interview réalisée par Semia Boukhatem