Le Centre des Archives nationales ne cesse de remettre les pendules de l’histoire à l’heure dans un pays où l’amnésie quant aux réalisations des autres est presque devenue un trait de caractère ; les nouveaux arrivants sur la scène sociopolitique et médiatiques n’ont eu de cesse que de dénigrer leurs prédécesseurs comme s’ils étaient les détenteurs de la science infuse.
Et pourtant, il suffit de parcourir l’histoire de la Tunisie pour savoir qu’elle a été jalonnée de grandes réalisations et de grands maîtres dans les arts de la guerre, de la politique, de la sociologie, de l’agronomie et du mysticisme.
Raillant cet état des choses, Wahid Brahim, un des ténors du tourisme tunisien, a posté ce commentaire : «Juste pour rire… jaune. Que pouvons-nous attendre d’un peuple pour qui Hannibal est une chaîne de télévision ; Magon et Saint-Augustin des marques de vin ; Ibn Khaldoun, une rue où prolifèrent les fast-foods ; Moncef Bey, un souk d’électroménagers et de Klebs ; Sidi Abdallah Gueche, un bordel officiel ; Sidi Bou Mendil, un marché de chinoiseries ; De Gaulle, un dédale d’étals anarchiques ; Barcelone, un terminus indescriptible de trains et de bus ; Pasteur, une place près du Belvédère …? On peut en attendre le meilleur comme le pire.
Que pouvons-nous attendre d’un peuple pour qui Hannibal est une chaîne de télévision ; Magon et Saint-Augustin des marques de vin ; Ibn Khaldoun, une rue où prolifèrent les fast-foods ; Moncef Bey, un souk d’électroménagers et de Klebs
Le pire, nous sommes en plein dedans et le rôle des médias n’est pas des moindres dans l’instauration de cet état de désespoir et de désenchantement auprès des différents pans de la population tunisienne.
Le devoir de mémoire est un réflexe que nous ne possédons pas dans notre pays. Et pourtant, on définit la mémoire collective comme étant «l’ensemble des faits du passé qui peuvent avoir pour effet de structurer l’identité d’un groupe. Elle façonne l’identité et l’inscription dans l’histoire des individus concernés. La mémoire a besoin de l’histoire car elle repose sur des faits établis, sinon il s’agirait de rumeurs plutôt que de mémoire. Cette mémoire est construite et partagée par un groupe, une société, une nation, un pays ou un groupe de pays. Les êtres humains “se rappellent“ et “oublient“ de façon collective». D’où l’importance de rappeler les moments importants de leur histoire et la manière dont elle a été relatée aussi bien par les médias que par les mémorialistes.
L’année dernière, le Centre national des Archives a organisé une exposition sur la presse tunisienne pendant l’occupation française, une presse pertinente où l’humour et le satyre le disputaient à la profondeur analytique et le courage des idées et écrits.
Cette année, du 21 au 23 juin, c’est au tour de la presse postindépendance d’être mise en lumière. Une presse qui a eu ses moments de gloire même si brimée par les régimes Bourguiba et Ben Ali et pas pour les mêmes raisons.
Ainsi, les visiteurs auront l’occasion de découvrir à travers cette exposition, des journaux à la Galerie de l’Information sise à l’Avenue Habib Bourguiba.
Soit une couverture de la période allant de 1956 jusqu’à 2011 et grâce à laquelle nous pouvons revivre des événements, telle la tentative de putsch de Moncef Matri et Co en 1962, l’apparition de médias indépendants et s’opposant aux régimes en place tels «Al Ra3i», «Al Mostkbal» et jusqu’au lancement des journaux «Al Chourouk», «Al Anwar», «Al Bayen» -le journal de l’UTICA qui avait revêtu une dimension pédagogique visant à éclairer le public sur le rôle de l’entrepreneuriat dans le développement socioéconomique du pays.
Les années 70 se sont également distinguées par la promulgation du premier texte organisant le secteur des médias, à savoir le Code de la presse paru en 1975.
Après le coup d’Etat sécuritaire avorté de 1987 perpétrée par les frères musulmans et la prise du pouvoir par Zine El Abidine Ben Ali justifié par l’état de santé du fondateur de la Tunisie, le président Habib Bourguiba, le nouveau parvenu à Carthage a voulu donner l’image d’un président ouvert. Il a toléré l’existence de journaux de partis opposants tels «Al Mawkef» du PDP, Al Fajr dEnnahdha, «Al Tariq al Jadid», «Al Watan», «Al Oufouk», «Al Hadath», «Al Moharrir», Tunios Hebdio, Le Phare, Le Maghreb et d’autres.
Après le soulèvement de 2011, de nouveaux supports médiatiques ont vu le jour mais n’ont pas pu égaler la qualité des écrits de leurs prédécesseurs. Alors que le pays était en pleine mutation, ils avaient pour la plupart persisté dans leur logique d’opposition structurelle et nombreuses ont été les fois où ils ont parfaitement illustré le degré de haine et de vindicte, très fréquemment à tort, envers les compétences qui ont servi l’Etat.
Ces journaux n’ont pas résisté aux pressions financières et à l’apparition d’une presse électronique résultante du développement des nouvelles technologies et de l’apparition de nouveaux supports médiatiques plus réactifs aux événements et plus accessibles.
L’exposition de la presse nationale à la Galerie de l’Information mérite réellement le détour, rien que pour que ceux qui pensent qu’ils sont les porte-étendards de la presse libre en Tunisie, ils vont découvrir que d’autres ont milité et ont combattu pour imposer des médias indépendants, pousser les lignes de la censure bravant toutes les tentatives d’intimidation du régime Ben Ali.
Amel Belhadj Ali