En dépit de la grisaille politique, de la précarité économique extrême et des incertitudes qui prévalent dans le pays, des lueurs d’espoir se manifestent, de temps en temps, et nous remontent, un tant soit peu, le moral.
Parmi les événements réconfortants figure en bonne place l’élection de deux maires indépendants à la tête de deux grandes villes du Grand Tunis. Il s’agit de l’ancien constituant Fadhel Moussa qui vient d’être élu président du tout nouveau Conseil municipal de l’Ariana, et du médecin Slim Meherzi, élu maire de La Marsa.
Têtes de listes «Al Afdhel» à l’Ariana et «La Marsa change… avec nous tous», les deux nouveaux maires avaient coiffé, lors des récentes municipales (6 mai 2018), les listes des partis Nidaa Tounès et Ennahdha, qui étaient pourtant puissamment implantés dans ces deux villes.
Pour mémoire, le président d’honneur de Nidaa Tounès, Béji Caïd Essebsi, avant de s’installer au Palais de Carthage, habitait La Soukra (périphérie-ouest de La Marsa), tandis que Rached Ghannouchi réside, depuis son retour au pays en 2011, à Ryadh El Andalous (périphérie nord de l’Ariana).
Vaincre le tandem Nidaa Tounès-Ennahdha n’est plus impossible
Cela pour dire que pour un exploit, c’en est vraiment un. En dépit du fait que les cabinets de sondage ne l’aient pas vu venir, du moins lors des premiers résultats des municipales, cette percée spectaculaire des listes indépendantes qui ont remporté le tiers des sièges, viennent prouver que la suprématie sur le terrain des machines électorales du duo Nidaa Tounès-Ennahdha n’est plus une fatalité et qu’on peut le vaincre sur son propre terrain pour peu que les projets de société proposés répondent aux véritables attentes des citadins.
Ainsi, contrairement aux programmes surdimensionnés des mafias politico-financière et politico-religieuse des partis au pouvoir, perçus de plus en plus comme les maîtres des «passe-droits» et du «deux poids, deux mesures», ceux des listes indépendantes avaient proposé, lors de la campagne, des projets de proximité facilement réalisables et collant au quotidien des gens.
A titre indicatif, la liste citoyenne indépendante de Slim Meherzi à La Marsa avait promis dans son programme de concentrer son énergie sur la mise en place de centres d’artisanat et de petits métiers dans plusieurs quartiers, d’un centre de conseil et d’accompagnement à la création d’emploi et d’une plateforme virtuelle pour mettre en contact entrepreneurs locaux et jeunes diplômés.
La même liste avait également promis d’aménager des espaces verts dans tous les quartiers de la ville, de réviser le plan de la circulation et de publier un guide de référence de la ville (question de mieux s’y retrouver).
Après sa victoire, Slim Meherzi a été édifiant à ce sujet. Il a déclaré à la presse : «Nous avons été élus pour gérer le quotidien des gens, faisons-le bien pour commencer. On sera vite exposé à un bilan».
Les indépendants sont ambitieux
Abstraction faite de la victoire légitime de ces deux maires indépendants, il faut reconnaître que l’émergence d’une élite politique «outsider» émanant de la frange la plus engagée de la société civile constitue un tournant politique pacifique majeur dans le pays. Elle anticipe sur la création d’un mouvement politique nationaliste qui pourrait chambouler le paysage politique dans le pays et accélérer la fin de cette coalition contrenature entre un Nidaa Tounès -qui devait en principe protéger un Etat civil- et Ennahdha -parti religieux se réclamant de l’islam politique. Car ce désaveu pour les partis au pouvoir pourrait s’aggraver lors des élections générales, prévues en principe, pour 2019.
D’ailleurs, les deux nouveaux maires indépendants précités en sont conscients. Dans des déclarations faites en public, ils transcendent le local pour parler de projets de coordination entre les indépendants du pays et la tenue régulière «d’Etats généraux», du moins comme le propose Slim Meherzi. Fadhel Moussa va jusqu’à parler de restructuration du paysage politique par le local, laquelle restructuration pourrait déboucher, selon ses termes, sur «un grand mouvement citoyen».