Les spéculations sur le site de l’aéroport de Tunis-Carthage et son transfert à 30 Km de la capitale refont surface avec de nouvelles révélations. Des experts de la Banque mondiale sont sortis de leurs réserves pour mettre au courant, informellement, certains journalistes de l’étonnement de l’institution de Bretton Woods de voir le ministre du Transport, Radhouane Ayara, relayer son prédécesseur Anis Ghedira et s’entêter à vouloir transférer l’aéroport de Tunis-Carthage en dehors de Tunis.
Pour mémoire, Radhouane Ayara avait déclaré, au mois de mars dernier, qu’un appel d’offres sera lancé cette année, pour sélectionner l’entreprise qui construira le nouvel aéroport.
Ces experts, qui ont requis l’anonymat, estiment que d’un point de vue économique, cette option n’est pas sérieuse à une période où l’économie tunisienne passe par une crise aiguë, et dans la mesure où des alternatives existent pour faire face aux pressions que pourrait connaître l’aéroport de Tunis-Carthage.
Parmi ces alternatives, ils citent la proximité de l’aéroport Enfidha (60 km de Tunis) qui pourrait résorber une partie de tout excédent du trafic. Pour eux, cette option a toutes les chances d’aboutir pour peu qu’on modernise la ligne ferroviaire Tunis-Enfidha et achète de nouveaux trains plus rapides. Le coût d’une telle infrastructure serait de loin moins élevé que celui que nécessitera la construction d’un nouvel aéroport (850 millions de dollars, soit l’équivalent de 2 milliards de dinars).
Incohérences de l’Etat tunisien
Un tel scénario (modernisation de la ligne ferroviaire Tunis-Enfidha) a été défendu par l’actuelle secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport, Sarra Rejeb, quand elle était PDG de Tunisair. Interpellée sur ce sujet par un média de la place, elle avait indiqué que “la Tunisie a intérêt à développer une vision globale de tous les modes de transports et à créer, à titre indicatif, des lignes ferroviaires rapides avec les zones touristiques (Enfidha, Tabarka, Monastir). C’est pourquoi, je considère qu’il serait plus judicieux et plus rentable pour le pays de développer le ferroviaire en complément de la logistique aéroportuaire que de construire un autre aéroport d’autant plus que nous sommes en surcapacité en matière d’aéroports. Car de nos jours, les distances ne se mesurent pas en nombre de kilomètres mais en nombre de minutes”.
Pour revenir aux experts de la Banque mondiale, ces derniers ont relevé également une certaine incohérence dans la gestion de ce dossier. D’un côté, le ministère du Transport projette de transférer l’aéroport en dehors de Tunis, et, d’un autre, l’Etat budgétise un montant de 70 MDT pour l’extension de l’aéroport et pour l’amélioration de la desserte du site (construction en cours d’un échangeur à proximité). Cette deuxième extension, tout comme la première qui a eu dans les années 90, sont prévues par le plan de développement de l’aéroport depuis son inauguration en 1972.
Même le FMI déconseille la Tunisie
Cette réaction des experts de la Banque mondiale n’est pas la seule ; elle intervient après celle d’experts du FMI.
Lors d’un séjour de travail, en juillet 2017 à Tunis, une des équipes du Fonds monétaire international a été interpellée sur ce dossier et avait déclaré que “ce serait une tentative maladroite de relancer l’économie par le biais de grands projets d’infrastructure… Un aéroport c’est extrêmement risqué en période d’austérité au regard de son coût élevé et son faible effet redistributif et sur l’emploi”. Et l’équipe du Fonds d’ajouter :”si l’Etat veut investir pourquoi ne pas commencer par la santé et l’éducation, ou alors dans les zones défavorisées, ce qui aurait un meilleur effet sur l’égalité des chances”.
Abstraction faite de cette prise de position des bailleurs de fonds, d’autres analystes ont relevé d’autres incohérences au sein du ministère du Transport. Ainsi, au moment où l’actuel ministre du Transport fait flèche de tout bois pour accélérer le transfert de l’aéroport, le PDG du groupe Tunisair, Ilyès Mnakbi, excité par le succès des vols long-courrier transatlantiques, Tunis-Montréal, et d’ici la fin de l’année Tunis-New York, s’emploie à encourager des promoteurs locaux à construire, dans l’enceinte du site de l’aéroport, des hôtels sous-douane devant héberger les voyageurs en transit.
Moralité de l’histoire : tout indique que le dossier de l’aéroport de Tunis-Carthage est géré par plusieurs parties et on ne sait pas qui croire…
Des Turcs et des Qataris seraient intéressés par le site
Il serait intéressant de se demander sur les parties qui poussent vers ce transfert. L’Agence France Presse (AFP) a évoqué à un certain moment d’hommes d’affaires turcs et qataris qui seraient intéressés par le site de l’aéroport lequel s’étend sur 900 hectares d’excellente qualité foncière.
Pour mémoire, une étude commanditée, pour un coût de 2 millions de dinars, par le ministère du Transport pour estimer les besoins de la Tunisie à l’horizon 2040 en matière d’infrastructure de transport, a dégagé trois scénarios pour l’aéroport de Tunis-Carthage.
Le premier consiste en l’extension et l’aménagement de l’aéroport pour un coût global avoisinant les 2 milliards de dinars (estimations faites avant la chute du dinar depuis avril 2017). Objectif : porter la capacité d’accueil de l’aéroport à 9 millions de voyageurs par an contre 7 millions actuellement.
Le deuxième scénario prévoit la construction d’un nouvel aéroport qui viendrait s’ajouter à celui de Tunis-Carthage.
Quant au troisième scénario, il porte sur la réalisation d’un nouvel aéroport qui viendrait remplacer l’actuel aéroport de Tunis-Carthage. Le nouvel aéroport serait opérationnel dans 10 ans et se situerait à 30 km du centre de la capitale. Trois sites seraient identifiés: Utique (gouvernorat de Bizerte), Borj Touil (gouvernorat de l’Ariana) et Bouhnach (gouvernorat de la Manouba).