Une rencontre avec les médias s’est récemment tenue à Tunis à l’occasion du séminaire sur l’élimination du plomb dans la peinture en Tunisie, sous l’initiative du programme financé par l’UE SwitchMed, et à l’issue de laquelle un plaidoyer a été engagé par la société civile pour la substitution du plomb dans la peinture industrielle en Tunisie. Cet événement avait pour but d’amener les professionnels et les décideurs à s’engager volontairement à switcher vers une consommation et une production propre.
Pourquoi switcher ?
«Ce programme pilote a été lancé à partir des études de cas réalisés sur les produits toxiques, dont le plomb, ingrédient utilisé pour rehausser la couleur de la peinture», a indiqué Kimberley de Miguel, project Manager à Scprac, Centre d’activités régionales pour la production propre, l’un des six centres d’activités régionales (CAR) du Plan d’action pour la Méditerranée (PAM).
Des études ont montré que différents dangers découlent de l’utilisation de cette substance toxique. Sara Brosché, science advisor and campaign manager à International POPs Elimination Network (IPEN), a souligné que le plomb altère, d’une part, le développement mental des enfants, et inclut, d’autre part, un risque pour les adultes d’être affectés par des maladies cardiaques.
Rachid Nafti, coordinateur projet MedTest/SwitchMed, a mis en relief les bonnes pratiques du projet pilote lancé en Tunisie. L’application de ce programme montre que la transition vers une peinture sans plomb est bénéfique aussi bien pour les entreprises opérant dans ce secteur que pour les consommateurs.
Concrètement, rien qu’en changeant l’utilisation de peinture liquide par une peinture poudre, la perte de la matière et la consommation de l’énergie ont diminué de respectivement 8% et 40%. Le temps de séchage de la peinture et de nettoyage de la cabine a été également réduit.
En plus, grâce à la substitution du procédé de phosphatation par conversion nano céramique, les coûts d’énergie ont chuté de 30 à 50%, et d’épuration de 20 à 40%.
Les professionnels plaident pour une réglementation
Bien que des acteurs internationaux et de la société civile déploient une louable énergie pour éliminer le plomb de la peinture, l’engagement de l’Etat tunisien reste insuffisant. Ceci se traduit déjà par la non-réglementation du secteur.
Intervenant lors du séminaire, Abdelmajid Elkosantini, président de la Chambre syndicale des producteurs de peintures industrielles, affiliée à l’UTICA, accuse le manque de réglementation comme la principale entrave à la substitution du plomb dans la peinture tunisienne.
La prise de conscience et les actions sont engagées chez les fabricants organisés, précise-t-il. “A cause de la non-réglementation, les fabricants non organisés utilisent encore des produits toxiques, et qui sont présents sur le marché local. Et ceci ne peut être freiné qu’avec des textes de loi. Au niveau de l’UTICA, nous faisons le nécessaire, nous mobilisons et sensibilisons nos membres autour de cette cause, mais nous n’avons pas de pouvoir pour contraindre les autres fabricants à switcher”, ajoute Abdelmajid Elkosantini.
Il déplore par ailleurs le manque d’encadrement dans plusieurs entreprises, qui ne sont pas encore conscientes de tous les enjeux et n’ont pas de vision à long terme.
Que se passe-t-il du côté de l’Etat ?
Signe d’un engagement de la part du gouvernement, l’ouverture officielle de la rencontre a été assurée par Slim Feriani, ministre de l’Industrie et des PME. Il a indiqué que notre pays s’est inscrit à l’Alliance mondiale pour l’élimination des peintures au plomb dans le but de promouvoir un arrêt progressif de la fabrication et de la commercialisation de peintures contenant du plomb.
Il a rappelé que les actions menées se résument en trois points. D’abord, la mise en place de cadres réglementaires adaptés, et ce afin de mettre un terme à la fabrication, l’importation, l’exportation, la vente et l’utilisation de peintures au plomb et de produits recouverts de peinture au plomb. Ensuite, la sensibilisation des fabricants, des consommateurs, des travailleurs, des syndicats et des professionnels de la santé, pour qu’ils prennent conscience de la toxicité du plomb dans les peintures et de la disponibilité de produits de remplacement techniquement supérieurs et plus sûrs. Enfin, le renforcement des activités de recherche et développement, afin de trouver des solutions technologiques innovantes pour substituer le plomb par d’autres produits non nocifs et écologiques.
Slim Feriani rappellera que l’industrie de la peinture en Tunisie fait partie du secteur de la chimie qui compte 575 entreprises, soit plus de 10% du tissu industriel tunisien, dont 139 sont totalement exportatrices. Le secteur offre une capacité d’emplois de 53.000 personnes, soit 10% du total des emplois industriels ; en 2017, le secteur a exporté pour une valeur de 2,3 milliards de dinars.
Le ministère de l’Industrie et des Petites et moyennes entreprises gère un programme appelé “Programme national de la recherche et de l’innovation“ (PNRI). En 2012, ledit programme a financé un projet de recherche collaborative pour la substitution des peintures, laques et vernis à base de solvants organiques nocifs, par des peintures et vernis à base d’eau. «Cette solution est commercialisée et fabriquée en Europe et présente un coût relativement bas. Maîtriser cette technologie permettrait sans aucun doute de développer le produit pour une utilisation massive en Tunisie», explique le ministre.
Le programme a contribué jusqu’à maintenant au financement de 46 projets de recherche dans le cadre de ce mécanisme traitant plusieurs thématiques qui répondent à des défis écologiques et environnementaux. Certains ont été clôturés avec des résultats prometteurs assortis de brevets et de prototypes industriels exploités.
Le représentant et conseiller du ministre des Affaires locales et de l’Environnement a déclaré que l’élimination du plomb de la peinture contribuera à la réalisation de la cible 3.9 de l’Objectif de Développement Durable (ODD) qui prévoit de diminuer le nombre de décès et de maladie dus à des substances chimiques dangereuses.
Un projet pilote est également en cours de mise en œuvre dont l’objectif est de promouvoir un arrêt progressif de la fabrication et de la commercialisation des peintures contenant du plomb. Un guide technique destiné aux industriels a été élaboré.
La Tunisie a opté pour une démarche concertée visant à aboutir à un cadre réglementaire contraignant l’utilisation du plomb. Cette action entrera dans la politique nationale en matière de gestion des produits chimiques et des déchets dangereux.
En marge du séminaire, la représentante du ministère de la Santé (Agence d’évaluation des risques) a déclaré aux médias qu’une enquête mandatée par l’Association de l’éducation environnementale pour les futures générations “AEEFG“ est en cours d’élaboration pour évaluer la qualité de la peinture à usage domestique, mise sur le marché tunisien, analyser le plomb et ses composés volatiles. Les résultats seront dévoilés dans un mois. Affaire à suivre.