Au moment où l’écrasante majorité des Tunisiens et Tunisiennes s’inquiète de l’avenir du pays et des menaces sérieuses qui pèsent sur la stabilité du pays, les Nahdhaouis sont les seuls à jubiler, ces derniers jours, et à arborer de larges sourires de joie et de satisfaction, et ce en cette période de crise multiforme qui risque, pour peu qu’elle perdure, de gommer les quelques progrès accomplis jusque-là.
Et pour cause. Ils viennent de remporter, au double plan géostratégique et national, des victoires significatives sur la voie de la consécration de leur grand projet bédouin, l’instauration du 6ème califat et son corollaire l’application de la Chariâa.
Au plan géostratégique, leur parrain, le «sultan» Recep Tayyip Erdogan, vient d’être plébiscité, suite à la présidentielle de juin dernier, presque «président à vie», basculant la Turquie dans une nouvelle ère avec un système présidentiel exécutif remplaçant l’ancien système parlementaire.
Lors de la cérémonie d’investiture à laquelle la Tunisie n’était pas représentée officiellement, seuls Rached Ghannouchi et son gendre Rafik Abdessalam étaient de la partie côté tunisien. Erdogan les a invités personnellement. Ce qui dit long sur les liens organiques entre les deux partis islamistes, le parti Ennahdha et le Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan.
Selon des informations concordantes rapportées par divers médias, Erdogan aurait «convié, au cours du dîner au palais présidentiel offert à ses illustres hôtes, son ami Ghannouchi pour faire partie de ce club fermé des 22 chefs d’Etat présents».
Ennahdha sur la voie de l’AKP turc et du FIS algérien ?
Au plan national, Ennahdha a récemment remporté les municipales de 2018 en s’offrant 130 municipalités sur un total de 350. Les Nahdhaouis sont talonnés par les Indépendants avec 120 mairies, arrive très loin Nidaa Tounès avec seulement 76 mairies.
Point d’orgue de cette victoire, Ennahdha est à la tête de trois grandes villes symboliques : Tunis, Sfax et Bizerte. Cette conquête des mairies rappelle à un détail près la conquête du pouvoir par Erdogan en Turquie.
C’est également la même démarche qu’avait suivi le parti algérien, le Front islamique du salut (FIS). Pour mémoire, lors des élections locales de 1990, premières élections libres en Algérie, remportant 853 communes sur 1.539 et 32 wilayas (provinces) sur 48.
Cela pour dire que la conquête du pouvoir par le local est devenue une tradition des partis islamistes.
Ennahdha instrumentalise ses alliés laïcs
Au-delà de ces acquis, Ennahdha, toujours manœuvrière, a géré, en sa faveur, le bras de fer qui oppose les deux chefs de l’exécutif, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, et son chef de gouvernement, Yousef Chahed.
Ennahdha, après avoir utilisé Béji Caïd Essebsi, dans la cadre de son alliance avec Nidaa Tounès pour améliorer son image à l’international en tant que “parti islamiste démocratique pacifique“, vient de tourner le dos à ce dernier pour soutenir contre lui le chef du gouvernement.
En contrepartie de ce soutien, elle a commencé par exiger de son nouvel allié le limogeage de son ennemi numéro un, Lotfi Brahem, ministre de l’Intérieur, pour une raison simple. Sans le soutien de l’administration -ici le secrétariat d’Etat chargé du développement local qui relève du ministère de l’Intérieur-, la victoire d’Ennahdha aux municipales peut se retourner contre ce parti si jamais les promesses formulées lors de la campagne électorale ne sont pas tenues. D’où tout l’enjeu du limogeage et les tractations en cours pour la nomination d’un nouveau ministre de l’Intérieur qui devrait être en principe du goût d’Ennahdha.
Moralité de l’histoire : le parti Ennahdha va soutirer de Youssef Chahed d’autres concessions pour justifier son soutien avant de le lâcher, en principe d’ici la fin de l’année en cours, estiment des analyses concordantes.
L’ultime but pour Ennahdha est d’identifier un nouvel allié laïc plus crédible que les deux précédents (BCE et Chahed) aux fins de remporter les échéances électorales de 2019 et de s’assurer qu’il continuera à co-gouverner après 2019.
A ce propos, Ennahdha aurait déjà commencé par mobiliser ses troupes en prévision de cette échéance. Ainsi, lors de sa réunion tenue le 20 juillet 2018, le bureau exécutif du parti Ennahdha a examiné les moyens de former et d’initier les nouveaux conseillers municipaux nahdhaouis aux techniques de communication et d’encadrement des électeurs.