Des observateurs de la crise multiforme qui vit actuellement la Tunisie soupçonnent le Fonds monétaire international (FMI) d’avoir donné le feu vert au gouvernement de Youssef Chahed de finaliser les récentes négociations sociales avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), lesquelles négociations ont abouti à des augmentations salariales dans la fonction publique et à la majoration du SMIG, des pensions de retraite et des aides sociales fournies aux familles nécessiteuses.
Pour ces observateurs, dont Ahmed Néjib Chebbi, président d’honneur du parti Al Joumhouri, le FMI aurait tiré la leçon des explosions sociales qui ont eu lieu en Jordanie et anticipé sur d’éventuels mouvements sociaux qui pourraient se produire en Tunisie à la rentrée.
Pour sa part, Abid Briki, syndicaliste, ancien ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance et coordinateur du «Mouvement Tunisie en avant», voit dans ce feu vert du FMI un appui politique au chef du gouvernement, Youssef Chahed.
S’exprimant, lundi 23 juillet, sur les ondes de la radio privée Jawhara FM, Abid Briki a ajouté qu’à travers cette perche de salut tendue par le FMI, en contrepartie d’importantes concessions, la centrale syndicale serait plus ou moins neutralisée, et cesserait de harceler le chef de gouvernement et de demander son départ.
Objectivement parlant et abstraction faite de toutes ces lectures, cet éventuel feu vert du FMI avec ces conséquences de majorations heureuses tombe à point nommé, plus précisément à une période de l’année au cours de laquelle le Tunisien, qu’il soit salarié ou non, est confronté à la concomitance de cinq pointes de consommation : le mois de Ramadhan, la fête de l’Aïd Esseghir, les vacances estivales, la fête de l’Aïd Elkebir et la rentrée scolaire et universitaire.
Ce feu vert aura pour mérite d’atténuer la tension sociale qui sévit dans le pays, mais surtout de consacrer une nette évolution de la mentalité des dirigeants du Fonds monétaire qui commencent enfin à prêter attention aux préoccupations basiques des indignés parmi les démunis et personnes vulnérables lesquels subissent de plein fouet les conséquences de l’incompétence de leurs dirigeants.
Quelques indices sur le feu vert du FMI
Trois indices montrent que le FMI est allé délibérément dans cette voie pour sauver le chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed, et pour épargner à la Tunisie des risques d’une éventuelle déstabilisation.
Le premier consiste en la célérité avec laquelle le Fonds a décaissé la quatrième tranche du programme du prêt accordé à la Tunisie dans le cadre de son programme économique, appuyé par un accord quadriennal au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) approuvé en mai 2016, soit environ 250 millions de dollars. Pour les précédents décaissements, le FMI avait traîné la patte au point de pousser le gouvernement tunisien à recourir à la planche à billets (qu’il a toujours nié, cela dit en passant).
Le deuxième indice est une conséquence du premier. C’est que les versements du FMI ne sont pas importants au niveau du montant, mais ils ont pour avantage d’avoir un effet multiplicateur sur les autres bailleurs de fonds. Ces derniers attendent, jusqu’à la dernière minute, la décision de ces décaissement avant de fournir à leur tour à la Tunisie les fonds demandés. C’est ce qui s’est passé avec le versement de cette quatrième tranche.
Ainsi, au cours de cette même période, la Banque mondiale a signé 4 conventions de financement avec la Tunisie pour un montant de 980 millions de dollars.
Pour sa part, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a mis à la disposition du pays une ligne de crédit d’un montant de 55 millions d’euros en faveur des très petites, petites et moyennes entreprises tunisiennes.
La Banque africaine de développement (BAD) a accordé un crédit à la Tunisie d’un montant de 350 millions de dinars (MDT).
Il en est de même du Fonds monétaire arabe (FMA) pour un appui budgétaire de plus de 300 MDT.
Le 11 juillet 2018, la Banque allemande pour le développement (KfW) a signé un accord de prêt avec le gouvernement tunisien d’un montant de 100 millions d’euros visant à «appuyer des réformes dans le secteur bancaire et financier pour améliorer l’accès au financement des entreprises et plus généralement de développer l’investissement dans le secteur privé».
Ces montants ont permis de renflouer un tant soit peu les réserves en devises du pays (gain d’une semaine) et d’aider le gouvernement à rembourser son service de la dette.
Mieux, ce 4ème décaissement du FMI a coïncidé, «comme par hasard», avec une réunion inédite en Tunisie d’une délégation de 8 bailleurs fonds conduite par le commissaire européen à la Politique européenne de voisinage et aux Négociations d’élargissement, Johannes Hahn.
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Ces institutions financières et de développement ont décidé d’accorder à la Tunisie 5,5 milliards d’euros (environ 17 milliards de dinars), dont 2,5 milliards d’euros (7,7 milliards de dinars) programmés pour l’année 2018/2019 qui seront octroyés sous forme de dons et de prêts.
Ces institutions financières sont: l’Agence française de développement (AFD), la Banque africaine de développement (BAD), la Banque européenne d’investissement (BEI), la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD), la Banque mondiale (BM), le Fonds monétaire international (FMI), la KFW et la Société financière internationale (SFI).
Moralité de l’histoire : le versement de cette 4ème tranche a permis au gouvernement tunisien de mobiliser d’importants fonds frais devant l’aider à faire face à d’importantes difficultés dont la détérioration du pouvoir d’achat du Tunisien, d’où l’enjeu des majorations salariales convenues.
Aucun signe d’opposition du FMI
Le troisième indice qui prouve que le FMI aurait donné son accord pour ses augmentations salariales est perceptible à travers les déclarations faites par les dirigeants du Fonds. A aucun moment ces derniers n’ont manifesté une quelconque opposition ou réserve à l’endroit de ses augmentations salariales. Bien au contraire, ils n’ont pas tari d’éloges à l’endroit de la Tunisie.
Ainsi, Bjoern Rother, chef de mission du FMI pour la Tunisie, a déclaré, au cours d’une conférence de presse, qu’il reste «optimiste pour l’avenir économique de la Tunisie» et qu’il l’est encore plus aujourd’hui, avant d’ajouter : «la mauvaise période est passée et la croissance est de retour, il s’agit maintenant de la positionner sur une trajectoire plus forte afin qu’elle puisse répondre aux attentes particulièrement d’emplois dans le pays».
Le relayant quelques jours après, le directeur du Département Moyen-Orient et Asie centrale au Fonds monétaire international, Jihad Azour, a déclaré, dans une interview accordée à l’agence TAP, que «la Tunisie a enregistré une amélioration progressive, sur le plan des finances publiques qui, bien qu’insuffisante, a permis de faire régresser le déficit budgétaire considéré comme la première source d’endettement».
Il a poursuivi en indiquant que «d’autres indicateurs bien que limités restent positifs, à l’instar des indicateurs sectoriels et de l’exportation, lesquels doivent être renforcés. Cependant, nous devons être vigilants, à propos de deux points essentiels, à savoir la hausse du prix de pétrole et son impact négatif sur les équilibres financiers globaux et la balance des opérations courantes, d’une part, et la nécessité de poursuivre le processus de réforme, pour réaliser les objectifs escomptés, d’autre part».
En somme, que ce feu vert du FMI ait été donné ou pas, l’essentiel est que la tension sociale s’atténue et que la crise politique trouve une issue acceptable pour la stabilité du pays.