Les derniers arbitrages dans la loi de finances 2019 ont fait l’objet, mardi 7 août 2018, d’un conseil ministériel tenu sous la présidence de Youssef Chahed, chef du gouvernement. Aucune information, fût-elle générale, n’a filtré officiellement sur le contenu de cette nouvelle loi de finances. Le communiqué rendu public à l’issue de cette réunion fut bref et insipide.
Pourtant, les propositions faites dans le cadre de cette loi ne manquent pas d’enjeux dans la mesure où la politique budgétaire-fiscale est connue, en théorie, pour être un instrument qui permet à l’autorité publique d’orienter l’activité économique en encourageant ou en décourageant l’investissement dans tel ou tel secteur. C’est aussi un outil de redistribution des revenus par les impôts pour des raisons de stabilité et d’équité sociale.
C’est pour cette raison que le processus de confection d’une loi de finances est toujours suivi avec beaucoup d’intérêt par tous les opérateurs économiques et le reste des contribuables au triple niveau de sa conception-préparation, de son adoption par l’Assemblée nationale des représentants du peuple et de son exécution par le gouvernement.
Malheureusement, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, les lois de finances ont dévié de cette noble approche et sont devenues pour les contribuables disciplinés (entreprises opérant dans le formel …), tout comme pour les particuliers (salariés…), des opportunités pour harcèlement fiscal et paupérisation de la population.
C’est pourquoi, depuis cette date, les lois de finances inspirent plus de craintes que d’espoir. Elles sont devenues un véritable cauchemar et un sujet de préoccupation au triple stade de leur préparation, de leur adoption et de leur exécution.
C’est ainsi que les lois de finances de 2017 et de 2018 ont été particulièrement traumatisantes pour les entreprises et les contribuables, avec leurs avalanches de nouvelles taxes ayant touché presque tous les secteurs et toutes les couches de la population.
C’est d’ailleurs en réaction aux dispositions impopulaires de la loi de finances 2018 que des milliers de Tunisiens étaient descendus pour protester, parfois avec une certaine violence, dans les rues à travers plusieurs villes du pays.
Ces insurrections auraient pu dégénérer en révolte n’eût été l’intervention d’un pompier rusé, en l’occurrence le président de la République, Béji Caïd Essebsi, qui avait eu «l’intelligence» d’absorber la colère de la rue en ordonnant l’organisation de dialogue socio-politique, en l’occurrence Carthage I et II. Ce dialogue s’est avéré, quatre mois après, un subterfuge du locataire du locataire de Carthage pour gagner du temps dans la mesure où ces rencontres n’ont pas permis d’enrayer la crise que connaît le pays.
Tirer la leçon des insurrections du mois de janvier dernier
En même temps et en prévision de la nouvelle loi de finances 2019, beaucoup de parties ont, semble-t-il, tiré les enseignements de cette colère en Tunisie ; mais aussi celle des Jordaniens à cause d’une loi de finances impopulaire, insurrections ayant entraîné le limogeage du Premier ministre jordanien…
Au premier rang de ces parties, figure le chef du gouvernement Youssef Chahed lequel avait promis, le 13 juin dernier, à l’occasion de la Conférence nationale sur l’impulsion de l’emploi qu’«il n’y aura pas de taxes supplémentaires sur les entreprises en 2019».
Le relayant un mois après, le FMI a décaissé dans les délais la quatrième tranche (250 millions de dollars) du prêt accordé en mai 2016, à la Tunisie au titre du mécanisme élargi du crédit (2,9 milliards de dollars).
Mieux, le FMI, craignant apparemment la reproduction du scénario jordanien en Tunisie, aurait donné son feu vert au gouvernement tunisien pour finaliser les récentes négociations sociales avec la Centrale syndicale (UGTT) lesquelles ont abouti à des augmentations salariales dans la fonction publique et à la majoration du SMIG, des pensions de retraite et des aides sociales fournies aux familles nécessiteuses.
L’avis des experts
Au rayon des experts, la loi de finances 2019 doit être impérativement pro-relance et pro-croissance.
A cette fin, ils recommandent au gouvernement d’éviter, à tout prix, l’endettement et l’institution de nouvelles taxes pour financer les déficits jumeaux (budgétaire et courant).
Pour Fatma Marrakchi, professeure universitaire, le gouvernement gagnerait à éviter de recourir à l’endettement «car il sera coûteux en raison de la prime de risque qui sera élevée, conjuguée à un renchérissement du service de la dette généré par la dépréciation du dinar».
Pour Walid Ben Salah, expert-comptable, le gouvernement ne doit pas penser à augmenter les impôts parce la pression fiscale a atteint un taux très élevé et est devenu insupportable. D’après lui, «selon les règles appliquées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Tunisie est pratiquement à 33% de pression fiscale et sociale, un taux supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE avec des prestations publiques nettement inférieures (infrastructures, transport, santé, enseignement…).
Comme alternatives, les experts proposent au gouvernement d’œuvrer dans le cadre de la loi de finances 2019 à garantir une stabilité multiforme : stabilité politique, stabilité de la valeur de la monnaie nationale (dinar), stabilité des lois…
Il y a lieu de signaler à propos à cette instabilité législative que quelque 700 mesures fiscales ont été instituées, ces dernières années sans résultats palpables.
Par ailleurs, il est temps d’élargir l’assiette fiscale au secteur non informel, d’aller chercher l’impôt chez les fraudeurs du fisc, de taxer les forfaitaires (414.000) selon la rentabilité de l’activité et du zoning (un épicier dans un quartier chic ne doit pas payer le même impôt d’un autre évoluant dans une zone rurale), de mettre fin au cash (argent liquide) et d’instaurer un système de paiement qui permette la traçabilité des transactions en monnaie locale (chèques, cartes bancaires…) et appliquer la loi contre les contrevenants.
Les experts estiment qu’en dépit de la précarité de la situation qui prévaut dans le pays, la loi de finances se doit de comporter des mesures devant limiter la compensation à ceux qui en ont besoin et dégager des ressources conséquentes pour financer des secteurs stratégiques : infrastructure, transport, santé, éduction, économie numérique, économie sociale et solidaire, économie verte, énergies renouvelables….
Ce sont là globalement des idées pour aider le gouvernement à faire l’économie des erreurs du passé et à engager le pays dans une ère de croissance et de reprise économique.