La libération de la femme tunisienne a toujours été dévoyée par les obscurantistes, qui la présentaient comme une fantaisie des modernistes, un élan de légèreté et de frivolité sociale. Sous cette manœuvre, bien malveillante, se cache un complot -un vrai- contre la liberté.
Naguère on disait que la femme est l’avenir de l’homme. Mais c’était une complainte de poète, un transport sentimental affectueux. La réalité peut parfois dépasser l’imagination.
Nous allons nous livrer à un exercice mémoriel à l’occasion de la célébration, le 13 août 2018, un jour pas comme les autres, pour soutenir l’authenticité de notre propos. Nous vous invitons à un voyage à travers le temps en évoquant l’itinéraire de femmes célèbres de Tunisie (Tawhida, Rahia, Fatma, Jalila, Khawla…).
Je m’incline devant ce trait de coquetterie de notre histoire. Divers historiens ont fait le portrait des “Glorieuses“ de Tunisie, dont Saida Manoubia et Aziza Othmana, ainsi que Habiba M’Sika. Leur ont succédé, à la faveur du courant réformiste ainsi que du mouvement de libération des “identités remarquables“.
Comment ne pas citer Tawhida Ben Cheikh, docteur en médecine, gynécologue exceptionnelle. Quand on lui rappelait qu’elle est la “première“ médecin arabe, elle haussait les épaules, avec une certaine indifférence. Et ce qu’elle déclarait est fort édifiant. Elle soutient avoir eu un coup de chance de bénéficier de la sollicitude familiale : «J’ai étudié et j’ai réussi. Un point c’est tout».
Et Ben Cheikh d’ajouter : «En cinquante ans de pratique de la médecine, je n’ai jamais tué un nourrisson ni une femme qui accouche». Record mondial, dirions-nous.
Radhia Haddad a eu le mérite de fonder l’Union national de la femme tunisienne (UNFT), c’est-à-dire cette Task force pour piloter l’émancipation de la femme tunisienne. Elle devait se rendre dans les contrées de la Tunisie profonde. Souvent elle était accueillie par des cortèges masculins hostiles. Elle leur tint un discours libérateur, et c’est d’eux-mêmes que les machistes capitulèrent et vinrent chercher leurs épouses. On connaît la suite.
Au travers d’un congrès du PSD, Radhia Haddad, en direct à la télévision nationale et en présence de tous ses membres du bureau politique, disciplinés et muets, elle s’opposera à la nomination de deux membres désignés par Bourguiba en remplacement de deux membres élus par le congrès.
Elle lui indiquera les limites de son pouvoir tel que définis par les statuts du parti. Mais Bourguiba avait coutume de paraphrase Louis XIV en soutenant «L’Etat, c’est moi», enjambant toute limite de pouvoir. Trois fois de suite, elle lui asséna «Vous n’avez pas le droit».
Nous en venons à Fatma Chamakh, philosophe, illustre enseignante universitaire, qui a consacré sa thèse d’Etat, soutenue et obtenue avec les félicitations du Jury à la Sorbonne sur Baruch Spinoza.
Les philosophes femmes au début du XXème, dans le monde, se comptaient sur les doigts d’une main. Fatma chamakh, en ces temps discriminants, a forcé l’entrée, par le haut, de ce club si hermétique.
Venons-en à Jalila Baccar, auteure, actrice, metteure en scène. Femme de théâtre remarquable, elle a formé avec Fadhel Jaibi un couple fantastique comparable à celui, mythique, d’Elsa Triolet et Louis Aragon. Par son talent, elle a contribué à porter la création artistique tunisienne sur les scènes les plus célèbres dont le Théâtre de l’Odéon, dans la ville des Lumières.
Khawla Rachdi, jeune étudiante de 20 ans, s’attaqua à la barbarie et arrêta l’intrus daechien qui voulait planter le drapeau noir, celui des ténèbres, dans l’univers de la liberté de l’esprit, l’université. La scène a eu lieu en février 2012 au campus de La Manouba et son discours était tout de discernement : «La Tunisie est à tous. Tu peux ranger ta bannière à côté du drapeau national, je n’y vois, pour ma part, aucun inconvénient. Mais je t’empêcherai de retirer le drapeau tunisien». Et l’illuminé, endoctriné, a fondu devant la force de l’argument et a obtempéré.
On peut dompter les forces du mal par la lumière du savoir. Sublime !
…Et les autres
Et nous en arrivons aux autres, les anonymes, celles que l’on transporte par pick-up sur les champs, sans souci de sécurité ni de respect et qui y laissent parfois leur vie mais jamais leur dignité. Après nous avoir allaités, les voilà qui s’échinent à nous nourrir, sans réclamer de reconnaissance jusqu’à celle de leurs droits les plus élémentaires de “Force de travail“.
Elles nous donnent la vie et s’obstinent, corps et âmes, à lutter contre la vie chère. C’est en partie du fait de leur bas salaire que le panier de la ménagère peut être garni. Leurs négriers en font un lumpen prolétariat, pour grossir leur marge de profit et maintenir un schéma social faussement prospère reposant sur leur servitude. Leur gospel ne nous parvient pas. Mais ces DAMES ne se lamentent pas, car elles ne sont pas résignées. Elles s’acharnent au travail, parce que la dignité de la femme se mesure à son apport à l’édification et à l’équilibre de la société. Et, leur sueur laborieuse inonde nos sillons faisant germer en nous un appel irrépressible de liberté.
La gloire de ce 13 août 2018
En ce jour, un jour pas comme les autres, la Tunisie tient en mains le rapport de la COLIBE et les clés de sa liberté. Elle peut faire le saut dans l’univers de l’égalité. Jusqu’ici, le monde s’est laissé bercer par les errements du matérialisme. Il nous a fait croire qu’en étant au service de la seule cause ouvrière on affranchirait la société. C’était un leurre et l’histoire du Bloc soviétique l’a bien démontré.
…la Tunisie tient en mains le rapport de la COLIBE et les clés de sa liberté. Elle peut faire le saut dans l’univers de l’égalité
La solution était ailleurs, et la transition démocratique, en Tunisie, vient le rappeler avec une pertinence irrésistible. Le point de levier qui pourra terrasser tous les archaïsmes sociaux et tous les anachronismes de la société politique, c’est bien la question de la libération de la femme. Les deux modèles de sociétés qui s’opposent en Tunisie, à l’heure actuelle, viennent de mettre à jour ce véritable enjeu, comme étant l’unique défi.
Au nom de la foi, décréter l’immobilisme social est une tentative d’enfermement communautariste.
Que peut valoir la transition démocratique, si elle ne finit pas par valider le crédo de la liberté ? L’édifice institutionnel de l’Etat de droit ne peut, à lui seul, donner sa pleine immunité à la démocratie. Que peut valoir la liberté chérie, si elle ne repose pas sur l’égalité entre les deux genres ? Au nom de la foi, décréter l’immobilisme social est une tentative d’enfermement communautariste. Ce serait une tentative -spontanée ou programmée ?- de naufrage de l’Islam.
Or, avec le rapport de la COLIBE, Béji Caïd Essebsi (BCE) vient dynamiter cette initiative malveillante. N’a-t-il pas pris le pari, l’été 2011, de soutenir, à l’adresse du G8, que l’islam est compatible avec la démocratie ? N’est-ce pas qu’il vient de tenir le pari grâce au rapport de la COLIBE ? Celui-ci, tôt ou tard, finira par devenir notre Charte nationale, n’en déplaise aux esprits chagrins. De la sorte, la Tunisie aura fini de rendre le plus bel hommage à Radia, Tawhida, Fatma, Jalila, Khawla et les autres, les élevant au rang d’icones de la liberté. Et, de la démocratie.
Et ce cheminement vertueux nous serait venu par notre seul génie national. Qu’est-ce que vous dites de ça ? Et, on peut à juste titre se dire que pour un défi, c’est un bon défi.