L’événement en cette période d’Aid El Kebir : une vidéo montrant l’imam nahdhaoui Mohamed Hentati appelant, à gorge déployée, à la vengeance contre les membres de la Commission des libertés individuelles et l’égalité que préside Bochra Belhaj Hamida.
Empressons-nous de signaler, ici, qu’il s’agit tout simplement d’un appel au meurtre. La scène s’est passée à La Mecque lorsque l’imam accomplissait le rituel du Tawâf, un des rites du pèlerinage qui consiste à faire sept tours autour de la Kaaba dans l’objectif de «purifier l’âme».
D’emblée, on peut constater que l’imam tunisien était à cet endroit sacré non pas pour se sustenter spirituellement mais pour révéler au grand jour sa noirceur d’âme.
Tout porte à croire que ce charlatan, qui aurait été un minable indicateur au temps de Ben Ali, était à la recherche d’une sponsorisation en dollars pour son geste qui ne pouvait que plaire qu’à des riches cheikhs wahhabites.
Une créature des médias
La question est de se demander comment ce père de famille irresponsable, arrêté en 2017 pour non paiement de la pension alimentaire à ses enfants depuis 2011, a pu s’imposer dans les médias comme chef spirituel et un gourou hyper-médiatisé.
Pour mémoire, la plupart des animateurs des chaînes de télévision, y compris les chaînes publiques El Wataniya 1 et 2, se bousculent pour l’inviter sur leurs plateaux dans l’ultime but non pas de l’amener à tenir un discours conscientisant et didactique mais pour tenir, le plus souvent, des propos injurieux et défendre des thèses moyenâgeuses.
Pour preuve, sa dernière apparition a été sur la chaîne El Hiwar Ettounsi dans l’émission “ma lam youkal“ de l’animateur Hamza Belloumi. Le charlatan débattait avec un autre cheikh de l’existence ou de la non-existence du «djin» (créature surnaturelle maléfique généralement), un thème qui serait pour l’animateur de la haute priorité en cette période où la Tunisie se débat pourtant pour sa survie.
Cela pour dire que cet imposteur qui se proclame “Docteur en Théologie“ n’aurait pu s’imposer sur la scène publique sans le manque de professionnalisme de cinq ou six animateurs qui, par l’effet de leur inculture, ont évolué, depuis 2011, dans le giron du charlatanisme et du terrorisme.
C’est là un des dérapages les plus catastrophiques qu’ait connus la presse tunisienne depuis le soulèvement du 14 janvier 2011.
La règle à suivre normalement serait pour les leaders d’opinion d’avoir une haute idée de l’intérêt général du pays et de sa pérennité, et de ne pas donner la parole aux judas de la démocratie, fussent-ils des experts en théologie.
Des animateurs qui font le jeu du djihadisme terroriste
Malheureusement, en dépit des rappels à l’ordre et mises en garde des sécuritaires et des institutions de régulation (HAICA et autres), les chaînes de télévision et radios, obsédées par le buzz et l’augmentation de l’audimat, ont eu, depuis 2011, cette fâcheuse tendance à faire le lit du terrorisme et du djihadisme soit en diffusant des images et scènes qui servent plus la propagande terroriste, soit en invitant, au nom d’une objectivité professionnelle mal comprise, des cheikhs wahhabites théoriciens du djihad.
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Il faut reconnaître que les médias tunisiens ont pris beaucoup de retard pour comprendre le phénomène terroriste et ses multiples facettes. Ils doivent assumer, par l’effet de leur inculture et leur laxisme vis-à-vis de ce fléau, une grande responsabilité dans sa propagation/prolifération.
Pourtant, la littérature sur l’instrumentalisation des médias à des fins de propagande terroriste ne manque pas. Une étude menée par la chercheuse canadienne Angela Gendron de l’université Carleton (Ottawa-Canada) sur la stratégie médiatique et de propagande terroriste djihadiste mérite qu’on s’y attarde.
Selon cette étude, les objectifs des terroristes (El QAIDA, Daech) et de leurs encadreurs spirituels (cheikhs, gourous, imams…) sont au nombre de deux.
Politiques, d’abord, en ce sens où ils tendent à rétablir le califat pour unir les pays islamiques à majorité musulmane sous un même régime politique et offrir à la grande communauté musulmane une forme de gouvernement qui garantit la primauté de la religion dans les affaires sociales et d’Etat.
Pour y arriver, les djihadistes terroristes recourent à la violence armée et à la propagande religieuse, entendez par là le commerce de la religion. Leur stratégie consiste à faire le plus de tort physique et psychologique possible à l’ennemi au moyen d’actes terroristes meurtriers (cas des soldats égorgés au mont Chaambi en Tunisie).
Les seconds objectifs des terroristes sont médiatiques. A travers la couverture des médias des attentats, ils cherchent à valoriser ces actes (compassion des spectateurs avec les terroristes ou leurs parents), en tant qu’exploits et victoires remportés contre les mécréants (Taghuts et Etats laïcs).
L’accent est particulièrement mis sur la gestion des impressions dans les médias. Celle-ci consiste à intensifier et à maximiser les effets psychologiques des actes terroristes accomplis pour susciter les réactions voulues chez le public cible des terroristes, le plus souvent de pauvres gens incultes.
Ainsi, à travers la gestion des impressions, ils peuvent transformer un échec opérationnel en victoire et faire d’une simple réussite un triomphe. Ils peuvent mettre en doute les valeurs et les principes de l’adversaire.
Pris au piège, certains médias tunisiens ont fait, jusque-là, le jeu du terrorisme. Moult journalistes et animateurs d’émissions télévisées commettent la grave erreur d’inviter, au nom de la liberté de la presse et du droit de toutes les parties de s’exprimer, des cheikhs djihadistes, des terroristes de retour de Syrie, des salafistes djihadistes ou des parents de terroristes…
Nous pensons que la HAICA se doit de conscientiser les propriétaires de toutes les chaînes publiques et privées et de les sensibiliser à la gravité de ces dérapages.
Quant au Syndicat des journalistes, il pourrait engager des études et pourquoi pas une concertation nationale sur la responsabilité des journalistes et animateurs de télévision dans la propagande terroriste.