La diplomatie tunisienne qui s’est complu pendant des années dans le rôle de défenderesse de l’image d’un président beaucoup plus que celle du pays, change aujourd’hui d’orientation au vu des contextes nationaux et internationaux.
Le ministre des Affaires étrangères milite sur les fronts de la diplomatie économique et sécuritaire. Depuis qu’il a pris en charge le département des A.E, il a investi la totalité de son temps à repositionner la Tunisie sur l’échiquier diplomatique mondial en axant tous ses efforts à défendre le site économique Tunisie et énumérer ses avantages pour tous les partenaires de notre pays.
Entretien.
La visite que vous avez effectuée, il y a quelques semaines, à Washington est révélatrice quant aux relations entre la Tunisie et les Etats-Unis. Vous avez rencontré des congressmen des deux camps, républicains et démocrates, vous avez eu également des entretiens avec votre homologue, qu’en est-il ressorti ?
J’ai été à Washington sur invitation de mon homologue américain le Secrétaire d’Etat, Mike Pompeo. Je figure parmi les premiers ministres des Affaires Etrangères arabes à être invité dans la capitale politique américaine. J’y ai donc rencontré M. Pompeo et nous avons eu un excellent entretien. Nous avons évoqué les relations entre les Etats-Unis et la Tunisie en soulignant l’importance ainsi que la profondeur historique des rapports entre les deux pays. Par-delà les partis politiques et les différentes administrations US, la Tunisie a toujours eu d’excellents rapports avec ce grand pays. Nous sommes des alliés importants. Nous partageons des valeurs communes, mais aussi nous luttons ensemble contre un ennemi commun, le terrorisme et il existe une coopération substantielle entre les deux pays dans ce domaine. Nous avons parlé de l’importance de la coopération économiques et d’initiatives communes pour sensibiliser les grandes entreprises américaines pour qu’elles investissent dans notre pays et profiter de sa position géographique en tant que plateforme entre l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient. Je me suis d’ailleurs rendu, lors de cette mission au siège du groupe Boeing, où Je me suis entretenu avec les deux vices présidents de la compagnie aéronautique. Ils viendront prospecter en Tunisie, et pourquoi pas Boeing ne gagnerait-il pas à être le fleuron de la coopération industrielle entre les deux pays à El Mghira avec Airbus. L’objectif est d’intéresser encore plus les grandes marques américaines afin qu’elles choisissent la Tunisie et j’espere que d’autres suivront. Pour nous tunisiens, notre rôle ne doit pas se limiter à l’chat d’avions ou la fabrication des pièces de rechanges, Boeing pourrait beaucoup nous apporter sur le plan du transfert de la technologie et en matière d’expertise industrielle. C’est une entreprise multidisciplinaire et ses dirigeants ont exprimé leur volonté d’explorer sérieusement la possibilité de faire de la Tunisie leur plateforme pour l’Afrique. Espérons que cela se concrétise au plus tôt.
Vous avez également évoqué le volet sécuritaire ?
Le volet sécuritaire a bien évidement été au menu de nos entretiens. Nous avons à ce propos évoqué le dossier libyen et l’importance voir l’urgence de contribuer à un règlement politique à la crise libyenne. Les USA peuvent beaucoup apporter au processus politique dans ce pays, ils n’ont pas de passé colonial, c’est un pays qui a une politique planétaire, et qui pourrait soutenir les différentes parties prenantes libyennes dans leur démarche pour trouver une solution politique à leur crise. Nous tenons à ce que la Libye revienne à son rôle de partenaire fort de la Tunisie.
Est-ce que la Libye revêt pour les States autant d’importance pour qu’ils s’y intéressent ?
Le Libye n’est pas un pays périphérique. C’est un pays central, et ce qui s’y passe a un impact direct sur la méditerranée et l’Afrique subsaharienne. Il y a le risque migratoire et le terrorisme qui pourraient s’accroître si la stabilité ne revient pas à ce pays. Il est important pour l’occident d’aider la Libye à sortir de l’héritage de 2011.
Sur ce plan il y a un intérêt et une volonté de plancher davantage sur la crise libyenne et surtout d’appuyer les efforts de la Tunisie pour soutenir les libyens à organiser leurs élections, et adopter un processus électoral leur permettant de choisir leurs gouvernants (Le parlement, le Président etc.), pour stabiliser le pays et sécuriser toute la région.
Vous n’avez pas parlé de la teneur de vos discussions avec les membres du Congrès ?
Evidemment, j’ai rencontré des membres du congrès, qu’il s’agisse de la chambre des Représentants ou du Sénat. J’ai eu des entretiens avec le président de la commission des Affaires étrangères accompagné de quelques membres de la commission, le Président de la commission d’appropriation qui chapote l’aide au développement, les membres de Tunisia Caucus et le président de la commission du Partenariat pour la démocratie. Chez tous ces honorables députés, j’ai trouvé un écho favorable pour ce qui est du maintien de l’aide à la Tunisie et surtout le maintien du volume de l’aide au développement que fournissent les Etats-Unis à notre pays.
Le Congrès a été toujours un allié fondamental (essentiel) pour la Tunisie dans les négociations pour fixer le volume de cette aide et j’ai trouvé tout l’appui nécessaire auprès de ces sénateurs et ces congressmen. Le volume de l’aide est en train d’augmenter pour les années 2018/2019.
Avez-vous évoqué avec votre homologue américain les bourses d’études accordées par les States à nos jeunes et l’accroissement du nombre d’inscription pour les étudiants tunisiens ?
Absolument ! La jeunesse est au cœur de la diplomatie tunisienne, pas seulement aux USA mais avec l’Europe aussi. Depuis la visite effectuée en 2016 par le Président de la République au parlement européen, nous avons fait du thème de la jeunesse un thème central dans nos programmes de coopération avec nos partenaires. Ceci, d’abord pour aider nos jeunes diplômés et universitaires à la recherche d’emploi, à se perfectionner et ensuite pour ouvrir de nouveaux horizons aux jeunes qui veulent accéder aux universités européennes et américaines. Nous voulons leurs permettre d’accéder- et c’est l’un des thèmes que j’ai évoqué dans mes entretiens au Congrès et aussi avec l’administration Us- aux centres de recherches. Nous sommes en train de développer toute une Stratégie allant dans ce sens avec le Canada. Un plan de coopération pour améliorer leur formation est envisagé en faveur de nos jeunes sur place et aussi en faveur des migrants potentiels détenteurs de diplômes universitaires pour accéder à l’emploi. Comment les aider ? (200 à 300 milles jeunes diplômés à la recherche d’emplois) Il faut penser à leurs ouvrir de nouveaux horizons dans le cadre de la coopération internationale pour les aider à s’épanouir et leur assurer un avenir meilleur. Avec l’Europe et grâce au programme Erasmus, nous avons reçu une aide de 100 millions d’euro dans le cadre d’un programme consacré aux jeunes Tunisiens. J’ai signé un accord à Rome, avec le ministre des affaires étrangères italien pour permettre à nos jeunes non seulement de poursuivre des études académiques mais aussi d’accéder aux formations professionnelles. En matière de coopération culturelle, l’Italie peut nous être d’une grande aide. Valoriser le patrimoine culturel tunisien en partenariat avec un pays aussi riche culturellement que l’Italie et en impliquant le maximum de partenaires pourrait être très bénéfique pour notre pays.
Pour revenir aux USA, l’un des points importants discutés est celui de la jeunesse. Mais j’ai évidemment eu un entretien au Pentagone pour examiner le niveau de la coopération sécuritaire entre nos deux pays et la coopération avec notre ministère de la Défense. Il s’agit de la lutte contre le terrorisme, de formation au renseignement, de contrôle des frontières contre les infiltrations terroristes, et là les usa jouent un rôle essentiel pour nous aider surtout sur tous ces axes. Notre coopération avec les Etats-Unis dans ce domaine est un succès.
Il s’agit de terrorisme, de formation au renseignement, de contrôle des frontières contre les infiltrations terroristes, et là les USA jouent un rôle fondamental pour nous aider surtout sur les axes formation et monitoring
La diplomatie économique pourrait-elle œuvrer pour un renouveau de l’économie nationale ?
Vu le contexte de notre pays, la diplomatie joue un rôle central et déterminant parce qu’elle touche à tout. Elle est dans la recherche des ressources financières pour répondre aux besoins du gouvernement au niveau des aides à l’international et des crédits également. Notre objectif et de créer les opportunités pour promouvoir l’image de la Tunisie et la marqueter comme il se doit. Aujourd’hui, il y a une reprise du tourisme parce qu’il y a eu des efforts déployés par nos diplomates à l’étranger pour convaincre les autorités des pays d’accréditation à revoir leurs conseils aux voyageurs. Partout en Europe, aux Etats Unis, au Canada, nos représentations diplomatiques font un travail formidable, et si les tours opérateurs reprennent la destination Tunisie, c’est entre autres grâce au travail de la diplomatie.
Notre objectif et de créer les opportunités pour développer l’image de la Tunisie et la marqueter comme il se doit
Vous vous êtes déplacé en Asie et en Afrique, quelles sont les principaux thèmes discutés ?
D’abord chaque visite a sa propre spécificité. J’ai été à Pékin où j’ai signé les accords sur la Route de la Soie. La Tunisie étant un partenaire important de la chine, nous voudrions que ce pays ami, nous aide à développer notre infrastructure, et soutienne l’économie nationale. La Chine dispose des moyens nécessaires pour s’engager dans de grands projets d’infrastructures. Je voudrais rappeler à ce propos que c’est grâce au soutien chinois que nous avons pu aménager nombre de centres de jeunes, à El Menzah, Ben Arous et Sfax.
A Sfax, la Chine a également financé la construction d’un hôpital et très prochainement la
construction d’une Académie diplomatique. Nous voulons diversifier notre coopération avec la Chine, sur le plan bilatéral, mais également pour ce qui est des grands projets.
Je voudrais rappeler à ce propos que c’est grâce à des dons chinois que nous avons pu aménager nombre de centres de jeunes, à El Menzah, Ben Arous et Sfax. A Sfax, la Chine a également financé la construction d’un hôpital. Nous voulons diversifier notre coopération avec ce pays, sur le plan bilatéral, mais également pour ce qui est des grands projets.
Vous savez aussi que la Chine préfère le gré à gré dans tout ce qui se rapporte aux grands projets, ce qui n’est pas au goût de nos constituants.
Nous en avons discuté, mais il s’agit là, d’une affaire tuniso-tunisienne. Il nous revient à nous de revoir notre législation pour que des pays comme la Chine, la Corée, le Japon ou les Etats-Unis, ne dépendent pas du système national des appels d’offres. Ces grands pays préfèrent les marchés de gré à gré. Il faut trouver une solution législative pour qu’ils participent à l’essor économique que nous voulons et dont nous avons besoin.
Bien évidemment, ils doivent se soumettre à certaines conditions mais il va falloir aussi leur trouver des solutions adéquates dans la transparence totale pour les projets spécifiques. La présidence du gouvernement est sensible quant à cette question et d’ici peu, nous prévoyons de trouver les solutions adéquates pour permettre à ces pays-là de participer aux mégaprojets.
Le Canada et les pays africains ont également fait partie de vos périples
J’ai visité le Canada, une première depuis des années et ma visite a été vraiment formidable. J’ai rencontré les membres du gouvernement et j’ai pris part à un échange fructueux lors d’une séance au Parlement.
Le Canada étant aujourd’hui le président du G7 est un pays important au sein de la francophonie, nous avons discuté avec nos homologues de la manière dont la Tunisie pourrait se greffer sur l’agenda du Canada pendant son investiture en tant que président du G7. Les thèmes qui nous intéressent à savoir, l’égalité, le développement de la technologie de pointe et la jeunesse, sont d’ailleurs retenus par la présidence du Canada du G7. Nos discussions ont porté sur l’engagement du Canada pour associer la Tunisie dans ses projets du G7 pour les mois à venir.
Le Canada est aussi l’un des piliers de l’OIF et nous organisons le sommet de la francophonie en 2020. Ce pays ami, rappelez-vous, a été le sponsor du forum économique 20/20 dans notre pays et on a tout fait pour qu’il soit là avec le Qatar et la France en tant que sponsor de cette conférence.
On vous a reproché une position considérée comme équivoque dans la discorde qui a opposé le Canada à l’Arabie Saoudite ?
Ceux qui s’étonnent de nos positions auraient pu se renseigner à leur propos et nous demander des explications. La position de la Tunisie est très équilibrée. Le Canada est un pays ami, l’Arabie saoudite est un pays frère, avec lequel nous avons les meilleures relations du monde. Nous avons rappelé notre attachement au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays, une constante de la diplomatie tunisienne. Tout le monde est d’accord et même le Canada l’est ! Nous avons aussi dit que la Tunisie entretient d’excellents rapports avec l’Arabie saoudite et le Canada aussi et qu’elle souhaite aux deux pays d’arriver à surmonter leurs différends.
Au Canada nous avons une grande communauté et avec ce pays ami, nous entretenons des relations historiques importantes, mais nous souhaitons quand même que dans l’intérêt du Canada et celui de l’Arabie saoudite que personne n’interfère dans les affaires des autres. Nous aussi, nous ne l’accepterons pas.
Vous avez signé beaucoup d’accords dont l’incidence peut être bénéfique sur l’économie, reste que la Tunisie a beaucoup perdu de son superbe à cause de l’instabilité sociale et du recul de la productivité, comment y remédier d’après vous ?
Rien que l’entrée de la Tunisie à la COMESA, va ouvrir des horizons formidables de point de vue économique à notre pays. Il s’agit d’une population de quelques 500 millions d’habitants et d’un grand marché de 750 milliards$. Maintenant, il va falloir que les Tunisiens se mettent au travail pour pouvoir profiter de tous ces accords. La diplomatie ouvre les portes mais ne peut pas se substituer aux acteurs économiques. Nous avons signé l’accord de libre-échange pour toute l’Afrique : l’Accord panafricain de libre-échange. J’ai été au Rwanda à Kigali pour le signer au mois de juin, outre la COMESA, nous sommes un membre observateur de la CEDAO. Le but est de préparer le socle d’une Tunisie « plateforme économique tournante » dans la région. Quand je vais aux Etats-Unis, au Canada, en Chine et au Japon c’est pour dire à nos amis : la Tunisie a des rapports juridiques privilégiés avec nos amis africains, et cela leurs offre le cadre approprié pour qu’ils en profitent. Maintenant, il appartient aux acteurs économiques (publics et privés) d’agir pour prendre la relève et profiter de ces cadres juridiques et de ces opportunités que nous sommes en train de leur offrir, consolider leur présence dans ces pays et assumer leur mission à leur tour.
En attendant, nous travaillons dur pour un partenariat entre notre pays et le MERCOSUR. J’ai reçu mon collègue brésilien, il y a quelques semaines, et nous voulons développer nos relations dans le cadre de la coopération Sud/Sud. Nous avons déjà mis en place une commission mixte, il y a une année. Le ministre brésilien est lui-même venu me voir au mois de juillet et nous nous sommes entendus pour développer quelques créneaux de coopération entre nos deux pays. Le Brésil est une puissance économique, l’Argentine aussi, dont le ministre des affaires Etrangères a effectué une visite officielle le mois d’avril en Tunisie. Nous approchons tous les pays du monde pour une perspective de coopération, maintenant il appartient aux acteurs économiques d’assurer leur rôle et au gouvernement de faciliter les échanges avec nos interlocuteurs étrangers.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali