L’Association Mohamed Ali de la culture (ACMACO) a organisé du 27 au 29 juillet dernier sa 25ème université sur le thème «la transition démocratique en Tunisie, sept ans après : bilan et prospective». Le débat engagé, à cette occasion, a permis à une trentaine d’experts d’approfondir la réflexion sur la phase de la transition démocratique dans ses différentes dimensions : conceptuelle, politique, économique, sociale, institutionnelles.
Gros plan sur un forum qui a tenu toutes ses promesses.
Le premier panel a porté sur les spécificités de la transition démocratique en Tunisie. Le second a été consacré au bilan politique, économique, médiatique et institutionnel. Le troisième a traité des réformes et refondations à effectuer.
Intervenant sur ce sujet, Habib Guiza, président de l’Acmaco, a suggéré, en priorité absolue, ce qu’il qualifie de «réforme des réformes», celle-là même qui consiste en la refondation de l’Etat. Pour lui, «l’Etat souhaité est un Etat stratège démocratique et social. Il est invité à proposer aux acteurs, sociaux et économiques (syndicats patronaux et ouvriers), une vision de long terme pour la société, et assurer la coordination de ces acteurs autour de cette vision partagée.
Il s’agit d’élaborer un modèle de développement durable, prenant en compte la rareté des ressources naturelles et réduisant les pollutions de toutes sortes et de rompre définitivement avec le modèle libéral-rentier-prédateur. Sur le terrain, cette réforme doit cibler trois volets : le politique (partis politiques…), l’économie (modèle de développement…) et le social (société civile et syndicats…)».
Il pense que cette migration de l’Etat prédateur et rentier vers un Etat stratège, démocratique et social ne peut se faire qu’à travers trois principales réformes des de l’Etat : la fonction publique, les entreprises publiques et leur digitalisation.
Il s’agit aussi de mener un combat impitoyable contre les contre-révolutionnaires : l’héritage makhzénien et son autoritarisme, le corporatisme syndical qui morcellent le front social sans prise en compte de l’intérêt général, l’Islam politique qui fait reculer les conquêtes de liberté politique, la mondialisation financière et son modèle d’économie ultra-libérale qui conforte la prédation des élites.
Les réformes en Tunisie sont otages des enjeux politiques
Pour sa part, Habib Touhami, économiste, a indiqué que la réalisation des réformes en Tunisie est généralement très difficile en raison des divergences des intérêts des Forces en place aux intérêt bien établis, s’agissant des islamistes, des syndicats de l’enseignement et des nostalgiques des périodes autoritaires de Bourguiba et de Ben Ali.
Moralité de l’histoire : les réformes en Tunisie sont otages des enjeux politiques.
Il considère que les réformes qui sont urgentes pour l’avenir de la Tunisie ne devraient plus être des plans d’ajustements structurels qui ne soucient que des intérêts des bailleurs de fonds mais de véritables réformes structurelles et structurantes qui valorisent la production nationale et l’intégration des activités économiques du pays.
Au nombre des réformes qu’il juge déterminantes pour la pérennité du pays figurent la réforme agraire -dans un souci de sécurité alimentaire-, la réforme de l’éducation, la réforme de l’endettement, la digitalisation.
Autre réforme proposée par Ridha Mosbah, ancien ministre de l’Industrie et de l’Artisanat au temps de Ben Ali et négociateur en chef de l’ALECA pour la partie tunisienne au temps du gouvernement de Habib Essid après la révolution. Il a suggéré de mettre au point et en amont des stratégies industrielles cohérentes dans un environnement international hostile, et ce avant de s’engager dans des accords de libre-échange.
L’ancien ministre fait apparemment allusion à l’impact négatif que subit, actuellement, l’économie tunisienne par l’effet de l’inondation du marché tunisien par de produits compétitifs importés dans le cadre d’accords de libre-échange conclus par la Tunisie sans études d’impact préalables.
Les intervenants à ce forum ont noté, dans le même contexte, que les stratégies industrielles que les pays d’Asie de l’Est ont utilisées pour effectuer leurs décollages économiques ont pu l’être avant que la mondialisation et ses institutions commerciales ne verrouillent l’action de l’Etat en ces domaines. L’emprise actuelle du néo-libéralisme laisse aujourd’hui des marges de manœuvre bien plus étroites pour les Etats et l’action publique.
Le débat a également porté sur l’enjeu pour le pays de réviser son modèle de développement et de l’articuler autour de quatre axes majeurs. Il s’agit de l’aménagement du territoire -autour de la décentralisation et du développement des régions-, de la méthode d’élaboration du budget de l’Etat (option pour la gestion du budget par objectifs entre autres…), la promotion de la qualité des services publics à des niveaux acceptables, et le développement de l’économie solidaire et sociale (Tiers secteur). Sur ce dernier point, l’accent a été mis sur la dimension genre. L’ultime but étant d’améliorer le taux d’activités des femmes et la situation des femmes rurales.
Des recettes pour contourner les difficultés
Au sujet de la difficulté de mettre en œuvre des réformes en Tunisie en raison notamment du taux d’analphabétisme et d’illettrisme dans le pays (presque 45% de la population), Jean-Paul Bouchet, ancien secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), a proposé de contourner cet handicap en recourant à ce qu’il appelle des «corps intermédiaires» : syndicats citoyens dont le champ d’intervention dépasse le cadre corporatiste, les médias, les activités culturelles, le tissu de la société civile.
Globalement, les intervenants ont été unanimes pour relever que la réflexion doit maintenant se déplacer vers les acteurs capables de porter ces nouvelles réformes, et notamment vers les jeunes.
L’attention a été attirée sur l’intérêt qu’il y a pour contourner les difficultés, à exploiter la disponibilité d’un cadre international élaboré au niveau des instances de l’ONU : les Objectifs de Développement Durable (ODD). Ces mêmes objectifs qui fixent une trame de réflexion à l’horizon 2030 pour réguler la mondialisation sauvage.
Dans cette trame (17 objectifs et 167 critères de réalisation), on peut inscrire, avec ses spécificités propres, la transition de la société tunisienne.
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