Une crise des plus néfastes déclenchée sur fond de lutte contre la corruption, celle de la «décapitation» du ministère de l’Energie, comme l’a si bien décrite Kamel Bennaceur, ancien ministre de l’Industrie et l’un des meilleurs spécialistes en hydrocarbures de par le monde. Kamel Bennaceur déplore que l’on ait asséné un coup aussi dur à un département important qui commence à peine à reprendre en main un secteur stratégique pour notre pays. Un ministre et 3 directeurs révoqués d’un seul coup, il fallait le faire !
Et ce avant même que l’enquête initiée à propos du gisement “Halk El Menzel“, paraît-il en situation irrégulière avec la bénédiction de l’administration (sic), n’ait livré tous ses secrets -si secrets, il y a !
L’approche accusatoire est une culture ! Dans le pays du printemps arabe, on commence par trainer les compétences dans la boue avant de voir la justice les innocenter ! En attendant, c’est l’Etat tunisien et son honneur qui sont écorchés vifs et qui trinquent. Il fut un temps où lorsqu’un haut responsable n’assure pas sa mission comme il se doit ou suscite des doutes quant à ses compétences ou son intégrité, il est discrètement écarté de son poste et convoqué à d’autres fonctions. Le but n’est pas autant de préserver son image que de veiller à ce que l’Etat ne soit pas atteint à travers ses représentants les plus illustres. On n’exerce pas le pouvoir en lorgnant de l’œil les opposants en pacotille, populistes à souhait ! Comme si se préserver des flèches empoisonnées de l’opposition servirait à sauver la Tunisie du naufrage.
On n’exerce pas le pouvoir en lorgnant de l’œil les opposants en pacotille… Comme si se préserver des flèches empoisonnées de l’opposition servirait à sauver la Tunisie du naufrage
Le problème n’est pas autant le limogeage brusque de Khaled Kaddour, ministre de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables, et de son staff que la manière dont le chef du gouvernement a procédé. Le concerné lui-même l’a déclaré clairement sur la chaîne de télévision Nessma TV : «Le chef du gouvernement a le droit de limoger qui il veut mais dans le respect de la forme et sans semer le doute sur l’intégrité des uns et des autres avant que la lumière soit complètement faite».
Ce n’est pas la première fois que Youssef Chahed prend la décision de limoger un ministre au pied levé, une réactivité que nombre de nos compatriotes et même des observateurs étrangers ont apprécié ou même admiré. Mais quel impact sur l’Etat, son image et quelle conséquence sur les investisseurs de plus en plus frileux face à une Tunisie instable aussi bien politiquement que socialement et dont l’économie est en souffrance?
Que le chef du gouvernement et son équipe -où du reste aucun ne peut prétendre être un grand expert du secteur énergétique- aient décidé précipitamment de «larguer» ministre et directeurs généraux, s’adossant tout juste à des présomptions concernant la gestion du dossier d’exploitation du gisement pétrolier “Halk El Menzel“, et n’aient pas tenu compte des considérations citées plus haut, cela dépasse tout le monde !
Un coup dur pour une administration en souffrance !
Car le coup est très dur aussi bien pour une administration frileuse, des hauts cadres tétanisés par la peur d’être soupçonnés de corruption parce qu’ils ont activé le traitement d’un dossier ou pris une décision visant à simplifier des procédures extrêmement lourdes pour servir la cause d’un projet utile pour le pays, que pour les investisseurs qui n’oseront plus se hasarder à lancer ne serait-ce qu’un tout petit petit projet et créer des emplois à tous ces jeunes qui «meublent» les cafés et occupent les rues.
Au vu des résultats et de la situation catastrophique que vit la Tunisie, nous réalisons que rien de cela n’est arrivé et que ces campagnes s’apparentent plus à des shows qu’à autre chose
Les campagnes occasionnelles pour contrer la corruption ont-elles servi à relancer l’économie nationale ? Ont-elles permis d’améliorer le quotidien des Tunisiens qui souffrent de plus en plus de la cherté de la vie ? Ont-elles réussi à effacer de la surface de la Tunisie la contrebande et les mafias qui la gèrent ? Ont-elles redonné confiance aux investisseurs tunisiens et étrangers ? Ont-elles fait de l’Administration publique une Administration plus efficiente, plus constructive et plus performante ? C’est plus tôt tout le contraire qui est en train d’arriver !
Au vu des résultats et de la situation catastrophique que vit la Tunisie, nous réalisons que rien de cela n’est arrivé et que ces campagnes s’apparentent plus à des shows qu’à autre chose ! La peur est aujourd’hui que l’affaire Halk El Menzel ne soit qu’une tempête dans un verre d’eau ! Les temps seraient-ils venus pour que les gouvernants et les politiciens changent de cheval de bataille et remettent en question leurs approches en matière de lutte contre la corruption pour préserver les restes de l’Etat tunisien ?
Un dossier inconsistant !
Le dossier relatif au champ pétrolier “Halk El Menzel“ ne relève pas, a priori, du registre de la corruption mais plutôt d’un imbroglio juridique. C’est ce qui expliquerait la proposition de Ghazi Jribi, ministre de la Justice, lors du CMR tenu une journée avant la décapitation du ministère de l’Energie à La Kasbah, pour que l’on recoure au Tribunal administratif afin de statuer sur la question centrale à l’origine de l’imbroglio : l’exploitation du gisement s’achève en 2029 ou a pris fin en 2009, et quel est le régime juridique auquel est soumise Tunisie Topic, celui d’avant la promulgation du Code des hydrocarbures ou celui institué en 1999 avec l’arrivée sur place de l’ETAP en tant que partenaire incontournable de tous les concessionnaires dans le secteur des hydrocarbures.
Historique d’un gisement modeste
Sami Remadi, président de l’Association tunisienne pour la transparence financière, relate les faits succinctement :
– Ce gisement que le porte-parole du gouvernement s’est empressé de décrire comme étant très riche ne contient en réalité que 8,1 millions de barils pour toute la durée de son exploitation laquelle, selon Khaled Kaddour, ne peut dépasser les 4 années. En Arabie Saoudite, la production pour une seule journée est de 10,3 millions de barils. Mieux encore, explique le ministre de l’Energie démis, «La roche formant ce gisement n’est pas la meilleure qui soit, elle est assez étanche et n’offre pas l’espace nécessaire pour accueillir un volume suffisant d’hydrocarbures et permettre aux fluides de se mouvoir. Le forage se fait de manière horizontale et non verticale».
– Halk El Menzel a été découvert en 1977 par la compagnie française Elf aquitaine. OMV en possédait une partie depuis 1971, qu’elle a cédé en 1983, tout comme Tunishell laquelle en avait acquis des parts en 1977. Après avoir gravité entre au moins 5 différentes compagnies pétrolières, Halk El Menzel a atterri chez Tunisie Topic dirigée par un investisseur tunisien dont l’un des partenaires est la SFI du groupe Banque mondiale et de banques tunisiennes, partenaires institutionnels importants. Partenaires dont l’importance n’a pas été prise en compte lorsqu’on a décidé de faire de ce gisement une affaire d’Etat et lorsque le porte-parole du gouvernement s’est exprimé dans un point presse dénonçant la corruption des responsables du ministère de l’Energie comme s’il s’agissait de faits avérés.
Pourquoi l’article 48 du Code des Hydrocarbures qui stipule que la concession d’exploitation est accordée pour une durée de 30 ans n’a pas prévalu lorsque les exploitants étaient des étrangers ? Pourquoi ce gisement a été cité comme étant un projet à la recherche d’investisseurs à Tunisia 20/20 sans que personne parmi les génies entourant le chef du gouvernement ne se rende compte qu’il y avait un hic quelque part ?
Et in fine, qu’il s’agisse de 30 ou de 50 ans, la sagesse ne consistait-elle pas à prendre le temps de réflexion nécessaire pour étudier en profondeur les tenants et aboutissants dudit gisement et aviser ensuite ?
La Tunisie est considérée comme l’un des pays les plus rigoureux en matière d’octroi des permis d’exploitation des gisements d’hydrocarbures
Qu’est-ce qui pressait à ce point ? Sachant que la Tunisie est considérée comme l’un des pays les plus rigoureux en matière d’octroi des permis d’exploitation des gisements d’hydrocarbures. Depuis l’indépendance, elle a mis en place 3 régimes juridiques applicables au secteur. Un secteur qui souffre depuis des décennies malgré les incitations fiscales et les encouragements de l’Etat. Encouragements conditionnés par des participations massives de l’Etat dans toutes les exploitations des champs pétroliers ou gaziers.
Selon le régime juridique applicable depuis l’indépendance et jusqu’à 1985, la durée de validité d’une concession d’exploitation était de 50 ans. Auparavant, elle était de 99 ans. A partir de 1985 et avant même la promulgation du Code des Hydrocarbures en 1999, il y a eu réduction de la durée pour laquelle une concession d’exploitation est attribuée de 50 années à 30 années.
Une décapitation qui bloque la reprise du secteur énergétique
Les artisans de la campagne winou el pétrole ne savent peut-être pas que presque toutes les compagnies pétrolières étrangères ont quitté notre pays. Les années 2000 ont été marquées par le départ des grandes sociétés pétrolières telles que Shell, Elf, Amoco, Conoco, Phillips, Texaco, Marathon, Arco, Total et d’autres compagnies américaines.
Celles qui sont restées ont été «chassées» par le fameux article 13 de la Constitution de 2014 qui stipule que «les ressources naturelles appartiennent au peuple tunisien. L’État y exerce sa souveraineté en son nom et que les accords d’investissement relatifs à ces ressources sont soumis à la commission spéciale de l’Assemblé des représentants du peuple. Les conventions y a afférentes sont soumises à l’approbation de l’Assemblée». Un article constitutionnalisant la paralysie d’un secteur en crise géré par une législation complexe et dans lequel les investissements ne sont pas à la portée de l’Etat tant ils sont coûteux et nécessitent des équipements extrêmement sophistiqués qui n’existent pas forcément dans notre contrée.
Le ministère de l’Energie est fragilisé alors que l’on allait signer 8 accords pour autoriser les forages dans l’espoir de voir la production des hydrocarbures, en berne depuis des années, reprendre
Dans ce contexte très délicat pour notre pays, alors que les prix du baril du pétrole flambent et que les prix à la pompe sont de plus en plus élevés, était-il opportun de précipiter la chute du ministère de l’Energie ?
Le ministère de l’Energie est fragilisé alors que l’on allait signer 8 accords pour autoriser les forages dans l’espoir de voir la production des hydrocarbures, en berne depuis des années, reprendre, et alors que les projets pour la production des énergies renouvelables ont démarré pour permettre à la Tunisie de puiser dans le photovoltaïque ses besoins en électricité.
Il est fragilisé alors que l’on vient à peine de rétablir la confiance des investisseurs et de remettre les pendules à l’heure avec le FMI qui se positionne en tant que maître des lieux pour ce qui est de la compensation de l’énergie.
Il est fragilisé alors que le ministère a mis en place un plan pour assurer l’autosuffisance énergétique du pays dans les décennies à venir.
Et pire que tout, le scandale soulevé par cette affaire bloque toute velléité d’investissement de la part des nationaux et des étrangers dans ce secteur très sensible au phénomène de corruption.
Le jeu en valait-il la chandelle ?
La logique aurait voulu qu’on demande Khaled Kaddou de faire la lumière sur le dossier du gisement Halk el Menzel avec son staff
Pas vraiment ! Car un Khaled Kaddour, qui a sacrifié un salaire de 25.000 dollars, ne peut aucunement se permettre de porter atteinte à son image et sa famille -une longue lignée de syndicalistes dévoués aux causes nationales en adoptant une attitude de par trop complaisante à l’égard d’un investisseur. La logique aurait voulu qu’on lui demande de faire la lumière sur le dossier du gisement Halk el Menzel avec son staff.
Le courant ne passait peut-être pas entre le maître des lieux de La Kasbah et Khaled Kaddour qui s’est déclaré irrité par le poids du conseiller économique du chef du gouvernement dont la qualité des rapports avec les ministres laisse à désirer : «Les relations avec ce conseiller sont à la limite du supportable» ! Et ce n’est pas le Premier ministre qui se plaint de l’arrogance du Raspoutine du Premier ministère, monsieur je sais tout !
Le cafouillage que l’on a reproché au ministère de l’Energie, à savoir les rapports contradictoires dont certains disent que le gisement s’étale sur une durée de 50 ans et d’autres affirment que sa durée d’exploitation ne peut en aucun cas dépasser 30 ans, justifier la mise à mort du ministère et pour aller où ? Au ministère de l’Industrie, où le ministre n’est pas réputé pour être une compétence hors pair capable de gérer deux ministères à la fois.
Mieux encore, le dossier Halk El Menzel a déjà été traité du temps où Kamel Bennaceur était ministre de l’Industrie et vu que l’investisseur tunisien en a hérité trop tard pour pouvoir l’exploiter à temps, on a opté, après consultation juridique dans un conseil interministériel de lui octroyer à titre exceptionnel une période d’exploitation de 50 ans. Où est la continuité de l’Etat.
Les hommes d’Etat ne se préoccupent pas des critiques acerbes des opposants mais servent les intérêts de l’Etat. Quel qu’en soit les conséquences, lorsqu’on gère un Etat, il faut parfois oser décider et cela s’appelle la raison d’Etat !
Et en conclusion, ce qui est risible, c’est qu’à ce jour pas un seul litre de pétrole n’a été pompé du gisement «Halk el Menzel »!
Dans notre imaginaire populaire cela se traduit par «Des cris, des larmes et des témoins pour avoir égorgé un hérisson» (Ayta wich3houd à la dhbihet Kanfoud).
Que Dieu te vienne en aide chère Tunisie !
Amel Belhadj Ali