En crise politique depuis plusieurs mois, la Tunisie ne donne pas l’impression d’être sur le point d’en sortir. Elle s’y enfonce même un peu plus chaque jour. Pourquoi la sortie de crise est-elle encore hors de portée ? Probablement pour plus d’une raison, dont une en particulier : nous n’avons pas -comme recommandait de le faire le mathématicien et philosophe français Henri Poincaré qui disait qu’«Un problème bien posé est un problème à moitié résolu»- fait le bon diagnostic pour pouvoir trouver le remède adéquat.

En fait, la crise politique actuelle repose sur des demi-vérités, voire des contre-vérités, et beaucoup de non-dit, et s’en alimente. Car la lecture de la crise est devenue elle-même une arme entre les mains des deux camps qui s’affrontent : la présidence de la République et Nidaa Tounes, c’est-à-dire le parti présidentiel, d’un côté, le chef du gouvernement et ses partisans parmi les députés et au sein de la classe politique, de l’autre.

Même si les deux chefs de file, Béji Caïd Essebsi, d’un côté, et Youssef Chahed, de l’autre, évitent de s’attaquer directement et délèguent à d’autres le soin de livrer la bataille sur le plan politique et communicationnel, la guerre est aujourd’hui totale.

Première contre-vérité : la crise politique actuelle est imputable à la Constitution de 2014 et plus précisément au régime politique (semi-parlementaire) qu’elle a instauré. Affirmation archi-fausse pour au moins deux raisons. D’abord, plus de sept ans après le 14 janvier 2011, la plupart des institutions de ce régime n’ont pas encore été mises en place. Donc, on ne peut pas faire le bilan de quelque chose qui n’existe pas, ou qu’en partie.

Ensuite, c’est le président Béji Caïd Essebsi qui avait lancé le débat sur la nature du régime politique en disant haut et fort que celui prévu par la Constitution de 2014 ne convenait pas au pays –en fait, il ne lui convient pas à lui, qui n’a jamais caché qu’il entendait gouverner seul. Il a dit cela avant même d’avoir été élu et a entrepris, dès son entrée en fonction, de contourner, petit-à-petit, cette Constitution afin d’étendre ses prérogatives au détriment de celles du chef du gouvernement.

Deuxième contre-vérité : le président de la République est au-dessus de la mêlée et ne prend parti ni pour ni contre personne. Si certains ont cru au début à cette version des choses, rares sont aujourd’hui les Tunisiens qui y accordent un tant soit peu foi. Parce qu’ils ont compris que BCE se réfugie derrière cette fiction pour continuer à manœuvrer à sa guise. Autrement dit, pour tirer les marrons du feu avec la patte du chat.

Troisième contre-vérité : le gouvernement dirigé par Youssef Chahed doit s’en aller parce qu’il a échoué. L’actuel gouvernement n’a certainement pas réalisé tout ce qu’on attendait de lui, de la manière et à la cadence souhaitées. Mais il n’a pas non plus fait chou blanc sur toute la ligne. Et il ne peut pas être tenu pour seul responsable de l’échec. Tous les autres acteurs –présidence de la République, UGTT, etc.- y sont également pour quelque chose.

En fait, si la tête du chef du gouvernement est aujourd’hui demandée, c’est essentiellement parce que, comme Habib Essid il y a deux ans, il s’est rebellé et a voulu exercer pleinement les prérogatives que lui accorde la Constitution. Donc, la crise politique actuelle est avant tout l’expression d’une lutte à mort entre le chef du gouvernement et le chef de l’Etat. Tous les autres partis politiques et organisations nationales ne sont que des comparses.

Comment alors sortir de cette situation ? Certainement pas en continuant à travestir la vérité. Il faut plutôt bien poser le problème, c’est-à-dire faire le bon diagnostic, et désigner clairement la responsabilité de chacun dans la situation actuelle qui pourrit la vie des Tunisiens. Mais pour cela, il faudrait que tout un chacun admette la nécessité pour lui de se remettre en question. A défaut, et à moins d’être un béni oui oui convaincu et qui s’assume, le successeur de Youssef Chahed se trouvera tôt ou tard dans la même situation.

M.M.