«Le parti du mouvement Ennahdha (…) a dépassé pratiquement toutes les justifications qui font que certains le considèrent comme faisant partie de ce qu’on appelle “l’Islam politique“ et que cette appellation très répandue ne reflète pas le contenu du projet d’avenir qu’il porte. Ennahdha considère que son action s’insère au sein d’un Ijtihad (jurisprudence) visant à créer un vaste courant de “musulmans démocrates“ refusant l’opposition entre les valeurs de l’Islam et celle de la modernité».
C’est ainsi que le dixième congrès du parti islamiste annonçait, le 25 mai 2016, dans sa déclaration finale l’arrivée d’un Mouvement Ennahdha newlook sur le plan idéologique, se définissant comme une formation civique et démocratique ayant un background islamique, mais séparant désormais l’action politique de la prédication.
Depuis, poursuivant une démarche entamée avant même le 10ème congrès du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi a multiplié les gestes et les déclarations visant à accréditer ce virage idéologique et politique. Comme lorsque le leader islamiste –gestes symboliques- se déleste de son titre de «Cheikh» pour celui d’«Oustedh» (professeur) ou se met à porter la cravate, ou, quand, dans une interview accordée à l’hebdomadaire «Jeune Afrique», il refuse la criminalisation de l’homosexualité. Y voyant «quelque chose de naturel», le président d’Ennahdha affirme «qu’il n’est pas question d’interférer dans les désirs et comportements des gens, et que chacun est libre de ses choix et convictions».
Islamiser la société en sourdine
S’il n’a pas été totalement vain, cet effort du chef d’Ennahdha n’a pas convaincu grand monde. Les plus indulgents parmi les Tunisiens estiment que c’est là un début timide de changement qui demande confirmation. Les autres pensaient et pensent toujours que ce nouveau discours relève du double langage destiné à endormir la méfiance du camp d’en face pour continuer à islamiser la société en sous-main.
Deux ans et demi plus tard, les événements apportent aujourd’hui, à tort ou à raison, de l’eau au moulin de cette seconde frange de la société. Après d’autres prises de position, celle prise dimanche 26 août 2018 par Majlis Choura, le Parlement du mouvement Ennahdha, au sujet de l’héritage marque une très nette et forte rechute idéologique et politique du parti islamiste.
L’instance suprême entre deux congrès y déclare avoir «décidé» de rester fidèle au régime d’héritage tel que «figurant dans les textes ne supportant pas d’interprétation du Coran et de la Chariaa et dans le Code du statut personnel». Cette prise de position a beaucoup dérangé, y compris dans le camp nahdhaoui. Du moins, d’après ce qu’en pense Noureddine Khatrouchi.
Ennahdha ôte l’habit «civil» et renfile le religieux
Certes, cet analyste politique de l’hebdomadaire Arrai Alaam (organe officieux du mouvement Ennahdha) soutient cette déclaration sur le fond, après que, selon lui, «il s’est avéré pour l’observateur intérieur et extérieur que la véracité et la perspicacité de la position estimant que la demande d’égalité dans l’héritage en particulier ne constitue pas un besoin national mais une demande élitiste». Mais cela ne l’empêche pas d’estimer que le mouvement Ennahdha s’est trompé doublement.
D’abord, sur le timing, puisque, selon Noureddine Khatrouchi, le parti islamiste aurait pu attendre que cette affaire arrive à l’ARP pour dire ce qu’il en pense.
Ensuite –surtout ?- «en convoquant le lexique religieux et jurisprudentiel pour exprimer sa position». Autrement dit, en en ôtant l’habit «civil» pour remettre le religieux. Ce qui accrédite –définitivement ?- l’idée du double langage et, surtout, que la transformation idéologique annoncée lors du 10ème congrès n’est au mieux que le vœu pieux d’une minorité parmi les dirigeants d’Ennahdha et non du parti dans son ensemble.
M.M.