Une ambiance surréaliste règne depuis peu sur la scène politique tunisienne. Inenvisageable et inenvisagé jusqu’à il y a trois jours, appelé de leurs vœux par certains et craint par d’autres, un scénario est en train de se préciser. C’est celui à la fois d’un maintien de Youssef Chahed à La Kasbah contre la volonté du président de la République, de son fils et directeur exécutif de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, et de ce qui reste, à leurs côtés, du parti présidentiel, et d’une redistribution des cartes au sein de la coalition gouvernementale qui en modifierait profondément la composition.
Ce double scénario du pire, un cauchemar même –aux yeux des Caïd Essebsi-, est devenu possible depuis samedi 8 septembre 2018. Ce jour-là, huit députés (Ahmed Saïdi, Issam Matoussi, Zohra Driss, Moncef Sellami, Lamia Dridi, Mohamed Rachdi, Maroua Bouazz et Jalel Ghedira) ont démissionné du bloc parlementaire de Nidaa Tounes. Enième opération du genre, celle-ci ne ressemble toutefois pas aux précédentes.
Est-ce le coup de grâce ?
Si les précédentes défections ont affaibli petit-à-petit Nidaa Tounes –lui faisant notamment perdre sa place de premier bloc parlementaire à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), au profit du mouvement Ennahdha-, celle du groupe des 8 risque de lui porter le coup de grâce. En rejoignant, comme ils ont affirmé en avoir l’intention, «La Coalition nationale», le nouveau groupe parlementaire récemment créé. Et qui, du coup, va voir le nombre de ses députés passer de 33 à 41. Un chiffre qui, dans l’absolu, peut ne pas dire grand-chose, mais qui, additionné à celui des députés d’Ennahdha, peut donner naissance à une nouvelle majorité parlementaire.
Composé du parti islamiste, de «La Coalition nationale» -et, peut-être, d’autres encore. Et, par conséquent, sans Nidaa Tounes.
Ennahdha… l’incontournable ?
Ce séisme politique est-il possible ? A priori, oui. Selon de sources concordantes, le parti islamiste et le nouveau groupe parlementaires ne seraient pas opposés à l’idée de travailler ensemble. Ce qui veut dire qu’on va au-devant d’un véritable séisme. Qui va bouleverser l’échiquier parlementaire, donc politique. Et se traduire, d’abord, par la concrétisation du premier objectif de cette nouvelle coalition qui est en train de prendre forme : garantir la stabilité du gouvernement, c’est-à-dire permettre au gouvernement mené par Youssef Chahed de rester en poste, malgré les coups et les pressions du président Béji Caïd Essebsi, du directeur exécutif de Nidaa Tounes et de l’UGTT.
BCE peut-il s’en sortir ?
L’émergence de cette nouvelle donne parlementaire et politique va ensuite permettre d’adopter une bonne partie des nombreux projets de lois bloqués à l’ARP -92, selon le chef du gouvernement- et, surtout, d’achever la mise en place des institutions constitutionnelles.
Certes, tout peut encore changer, puisque la nouvelle coalition ne dispose que d’une courte majorité -109 voix- à l’Assemblée. Elle est surtout hétéroclite, donc fragile, et, éventuellement, relativement facile à déstabiliser. Mais à ce stade, tout demeure possible : aussi bien le renforcement de cette coalition, grâce à l’adhésion de nouveaux députés dissidents de Nidaa Tounes, annoncée par Zohra Driss, que la reprise en main de la situation par le président Béji Caïd Essebsi. Toutefois, la mauvaise nouvelle pour le chef de l’Etat, fondateur et, de fait, le véritable maître du parti présidentiel, il n’est pas sûr que le «débranchage» politique de son fils, qu’il refuse à ce jour d’accepter, suffise pour lui permettre de redresser la barre.