Le décret gouvernemental du 7 août 2018 portant fixation du nombre des membres du Conseil national du dialogue social, espace pluraliste en matière de consultation, de discussion et d’expression sur les questions importantes relatives à la politique économique et sociale du pays, serait illégal, anticonstitutionnel et non conforme aux conventions internationales. En d’autres termes, ce décret consacrerait le monopole de représentation au bénéfice de l’UGTT, de l’UTICA et de l’UTAP, ce qui constitue un recul par rapport à toutes les expériences de structures de dialogue social, y compris celles qui prévalaient sous l’ancien régime, à l’instar du Conseil économique et social.
C’est du moins ce qu’estime la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT).
Dans une déclaration signée par son secrétaire général, Habib Guiza, et rendue publique, la CGTT condamne ce décret en ce sens où il constitue une violation flagrante des valeurs enchâssées dans la Constitution de 2014, y compris les principes de la liberté syndicale et du pluralisme syndical. La CGTT demande sa révision et insiste sur le besoin de traiter tous les syndicats équitablement sans injustice ou discrimination par les autorités administratives.
La CGTT considère qu’en dépit du nombre important de représentants au sein du Conseil (105 membres), les dispositions de ce décret, particulièrement celles de son article 2, favorisent une logique de représentation exclusive au détriment de la logique de la représentation proportionnelle en limitant la représentation des travailleurs à : «35 membres représentants de l’organisation de travailleurs la plus représentative (UGTT)», «30 membres représentants de l’organisation la plus représentative d’employeurs dans le secteur non agricole (UTICA)», et «5 membres représentants de l’organisation la plus représentative d’employeurs dans le secteur agricole (UTAP)».
Violation de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2017…
Et, ce qui conduit nécessairement à limiter le droit de représentation syndicale à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), à l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) et à l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), et aboutit, en conséquence, à l’exclusion de toutes les autres organisations professionnelles représentatives des travailleurs et des employeurs, auxquelles, il devient interdit ou quasiment impossible d’exercer une représentation quelconque, perpétuant ainsi un système conduit par le ministre des Affaires sociales lui-même, et fondé sur le monopole syndical et la discrimination à l’égard des autres organisations syndicales; autant de pratiques abusives et restrictives qui permettent au gouvernement d’exercer sa discrétion incorrectement dans les activités des organisations représentatives des employeurs et travailleurs, malgré la reconnaissance officielle par la Constitution et la législation du pluralisme syndical.
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La CGTT exprime son rejet catégorique de ce décret gouvernemental dans la mesure où il a été promulgué sans la consultation de l’ensemble des syndicats et vient contredire les dispositions de la loi du 24 juillet 2017 portant création du Conseil national du dialogue social, dont l’article 8 fait prévaloir expressément la logique du pluralisme syndical.
Selon cette loi, l’assemblée générale du Conseil se compose « … d’un nombre égal de représentants du gouvernement, de représentants des organisations les plus représentatives des travailleurs et de représentants des organisations les plus représentatives des employeurs dans les secteurs agricole et non agricole», ce qui renvoie logiquement et juridiquement à l’existence d’une pluralité d’organisations les plus représentatives, étant précisé que tout conseil national en ce domaine doit nécessairement se fonder sur l’ouverture de la consultation avec les représentants des employeurs et des travailleurs et non sur sa restriction ou sur la fermeture des portes du dialogue social à certains acteurs sociaux.
Un décret non conforme à la Constitution et aux conventions internationales
La CGTT «exprime son profond regret quant à la persistance du ministère des Affaires sociales à adopter la même approche fondée sur la restriction et l’exclusion dans les divers pas jusque-là accomplis, marqués par une atteinte continue au pluralisme syndical et à la justice de représentation des travailleurs et des employeurs, et ce depuis la signature du nouveau contrat social le 14 janvier 2013, à l’Assemblée nationale constituante (ANC), jusqu’aux diverses consultations ayant précédé l’adoption de la loi du 24 juillet 2017 et qui sont restées confinées aux deux organisations nationales dominantes, à savoir l’UGTT et l’UTICA, et en violation flagrante du pluralisme syndical comme partie intégrante de l’idéal démocratique, ainsi que des exigences de la Constitution et des conventions de l’Organisation internationale du travail relatives aux libertés syndicales, ratifiées par la Tunisie, y compris notamment la Convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et la Convention n°98 sur le droit d’organisation et de négociation collective.
Elle souligne la nécessité pour le gouvernement de s’acquitter pleinement de ses obligations internationales, telles que rappelées dans les recommandations adressées par le Comité sur la liberté syndicale dans son rapport n° 378 du 11 juin 2016, et par la Commission de vérification des pouvoirs de l’Organisation internationale du travail, dans son rapport du 7 Juin 2018, demandant au gouvernement d’instaurer, en concertation avec les partenaires sociaux, des critères de représentation syndicale clairs et préétablis et de conduire un dialogue social inclusif en s’efforçant d’élargir son champ de consultation à toutes les organisations concernées du paysage syndical et patronal tunisien afin de prendre en considération les divers points de vue.
Quant à nous, nous pensons objectivement que ce décret du 7 août 2018 est un net recul par rapport à toutes les expériences de structures de dialogue social, y compris celles qui prévalaient sous l’ancien régime, à l’instar du Conseil économique et social, qui constituait un espace pluraliste relativement plus ouvert en matière de consultation, de discussion et d’expression sur les questions importantes du pays.
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