“La dépréciation du dinar vis-à-vis des principales devises (euro et dollar américain) n’a pas servi, jusqu’à présent, les exportations tunisiennes. Bien au contraire, cela a engendré une inflation importée des prix des produits de consommation”, a affirmé Elyes Asmi, directeur central de la statistique de la conjoncture à l’INS, dans un entretien accordé à l’agence TAP.
Asmi a rappelé que près de 60% de nos échanges commerciaux s’effectuent en euro et 40% en dollar, alors que le marché des changes a connu une accélération du rythme de dépréciation du dinar. En effet, du 1er janvier au 18 septembre 2018, le dinar a perdu 13,37% face au dollar américain, et de 11,20% face à l’euro.
“Notre objectif est d’augmenter le volume de nos exportations avec de meilleurs prix, mais jusqu’à maintenant, nous ne constatons qu’une hausse en valeur des exportations (+20%), due à la dévaluation du dinar, alors que nous enregistrons une décélération des quantités exportées, au cours des 8 premiers mois de l’année 2018, soit une augmentation de 3,4% seulement, contre 5,5% en 2017”, a-t-il analysé.
“D’un autre côté, nous observons que la dépréciation du dinar a pénalisé les quantités importées. Selon les statistiques enregistrées durant les 8 premiers mois de l’année 2018, les quantités importées ont marqué une hausse moins importante que celle de l’année précédente, évoluant de seulement de 1,7%, contre 3% en 2017”, a-t-il avancé.
Amplification du déficit commercial mensuel
Selon Asmi, durant les deux dernières années, le déficit commercial mensuel s’est amplifié, passant de 700 millions de dinars (MDT) en 2015, à 1,100 milliard de dinars actuellement, en raison de l’entrée de la Tunisie dans un “partenariat privilégié” avec l’UE, avec une ouverture quasi-totale de son économie sur l’extérieur, la signature d’accords bilatéraux avec des puissances économiques, comme la Chine et la Turquie, la survenance de changements climatiques exceptionnels (sécheresse) qui ont affecté la production nationale agricole (céréales) et la paralysie du secteur du phosphate.
Pour ces raisons, les produits importés, au cours des huit premiers mois de l’année 2018, ont concerné, principalement, les céréales (1,4 milliard de dinars), le sucre (479,2 MDT), l’énergie et lubrifiants (5,4 milliards de dinars), les mines, phosphates et dérivés (221,4 MDT), le textile-habillement et cuirs (3,8 milliards de dinars), le transport (2,5 milliards de dinars), ainsi que les industries mécaniques et électriques et autres industries (13,4 milliards de dinars).
Le déficit commercial avec la Chine, la Turquie et la Russie
En valeur, le déficit commercial de la Tunisie a atteint plus de 12 milliards de dinars, durant les huit premiers mois de l’année 2018, contre 10 milliards de dinars au cours de la même période en 2017. Ce déficit provient essentiellement d’un déséquilibre au niveau des échanges commerciaux de la Tunisie enregistré avec la Chine (-3,5 milliards de dinars), la Turquie (-1,42 milliard de dinars) et la Russie (-824,6 MDT).
D’après le responsable à l’INS, la Tunisie serait automatiquement déficitaire avec ces pays, étant donné que la Turquie a une grande industrie alors que la Chine est un géant de la production et de l’exportation, avec lesquelles nous ne pouvons pas rivaliser. Même notre capacité de production et d’exportation est faible par rapport aux besoins de ces marchés, notamment la Chine.
A cet égard, Asmi juge que les efforts déployés par les autorités pour réduire les importations de la Turquie (institution de barrières à l’importation) restent insuffisants, car la demande au plan national est élevée et le Tunisien demeure un grand consommateur.
“Les exportations turques de textile sur le marché international égalent, à elles seules, le total des exportations tunisiennes, donc il est important de mener de bonnes négociations avec ce partenaire, pour pouvoir commercialiser davantage de produits tunisiens sur le marché turc et minimiser par conséquent notre déficit. Il s’agit aussi d’assurer le suivi de l’impact et du degré d’efficacité des taxations instituées à l’importation des produits turcs”.
Tendance haussière du déficit enregistré avec la Turquie et la Chine
“Auparavant, nous ne parlions pas d’un déficit énorme avec ces deux pays, mais aujourd’hui, le déficit s’est creusé tant avec la Turquie (de 598,037 MDT en 2010, à environ 1,5 milliard de dinars actuellement), qu’avec la Chine (le déficit a bondi de 1,8 milliard de dinars en 2010, à près 3,5 milliards de dinars en 2018).
Selon les statistiques de l’INS, les importations tunisiennes de la Turquie et de la Chine sont constituées d’équipements et matières premières nécessaires à la production et à l’investissement, dont notamment les chaudières réacteurs et engins mécaniques, les autos cycles et les tracteurs….
Toutefois, ces importations ont concerné aussi des biens de consommation très divers et bien souvent superflus, tels que les matières plastiques et ouvrages (273,698 MDT), jouets, jeux et articles de sport (61,9 MDT), chaussures (29,9 MDT), graisses, huiles et cires (22,3 MDT), autres articles confectionnés et friperie (19 MDT), tabacs (17,3 MDT), sel, soufre, chaux, ciment (13 MDT), huiles essentielles, produits de parfumerie (11,5 MDT), poissons, crustacés et les mollusques (9,4 MDT), fruits, agrumes et melons (8,1 MDT), ainsi que les préparations de légumes et fruits (5,5 MDT), viandes et abats comestibles (2,4 MDT).
Certes nous ne pouvons pas interdire, du jour au lendemain, l’importation des biens de consommation, pour minimiser le déficit, vu l’ouverture de l’économie tunisienne, mais nous pouvons maîtriser l’importation de certains biens qui ne sont pas nécessaires à l’investissement, telles que les voitures de tourisme qui pèsent lourd sur la balance commerciale (1,14 milliard de dinars enregistrée durant les 8 premiers mois 2018).
Il s’agit également d’agir sur l’importation de certains produits de consommation qui ne sont pas de première nécessité (biscuits, chocolats…), ou qui ont leur similaire en Tunisie, d’autant plus que ces produits ne sont pas meilleurs que les produits nationaux”, a-t-il souligné.
Selon Asmi, la problématique du déficit commercial réside dans la stratégie d’exportation, limitée à l’huile d’olive, aux dattes, et éventuellement au textile … et à notre faible capacité de production, qui ne permet pas de répondre aux besoins de nos partenaires. Le potentiel d’exportation de la Tunisie demeure limité, surtout que le pays a perdu, ces dernières années, des opportunités d’exportation et d’investissement (projet de l’énergie solaire, implantations de certaines entreprises…), qui ont préféré le Maroc.
Il appelle à agir, à produire davantage pour exporter plus et à reprendre l’activité du phosphate, un secteur qui reste paralysé, et dont le rendement demeure aléatoire, à cause des agitations sociales qui bloquent le processus de production.