La Commission gouvernementale chargée de la refonte du système de subvention des produits de base a proposé d’opter pour la levée progressive de la compensation. Le basculement vers la vérité des prix se fera sur trois phases: la première concernera le lait et l’huile végétale, la deuxième les pains (gros pain et baguette) et la farine pâtissière, la troisième a trait au sucre, semoule, couscous et pâtes.
C’est ce qu’a révélé Youssef Trifa, chargé de mission auprès du ministre de Commerce, dans un entretien avec l’agence TAP.
“Le choix de passer par 3 phases, dont chacune durera entre 6 et 9 mois, permettra de remédier aux défaillances en cas de besoin, et surtout d’étaler la période des hausses des prix qui seront décidées. Néanmoins, les prix resteront administrés. Autrement dit, nous opterons pour la vérité des prix, mais ceux-ci resteront fixés par l’administration”, a t-il précisé.
Le transfert monétaire pour compenser la perte du pouvoir d’achat du citoyen
Trifa a souligné qu’un transfert monétaire (TM) va être institué pour compenser la perte du pouvoir d’achat du citoyen, due au passage à la vérité du prix. Une base de données sera mise en place, regroupant l’ensemble des bénéficiaires de transferts monétaires.
L’inscription à ce service de transfert monétaire sera volontaire et sans aucune restriction pour tous les tunisiens résidents majeurs. Elle sera automatique pour les bénéficiaires du Programme National d’Aide aux Familles Nécessiteuses (PNAFN) et du Programme d’accès aux soins à tarifs réduits (AMGII).
La base de données reliera un ménage bénéficiaire à un numéro de compte bancaire/postal, afin de permettre le transfert monétaire.
“La commission a proposé deux scénarios de transfert monétaire trimestriel, soit il dépendra, uniquement, du nombre des membres du ménage, ou il dépendra du niveau socioéconomique de la famille, et ce en calculant le revenu par personne dans chaque ménage”, a indiqué le responsable, précisant que la décision finale en ce qui concerne les grands axes et l’échéancier de la mise en œuvre de cette stratégie sera prise par le gouvernement en concertation avec la société civile et les grandes organisations du pays (UTICA, UGTT…).
Plus de 2 milliards de dinars de dépenses de subvention en 2018
Pour le chargé de mission auprès du ministre de Commerce, la refonte du système de compensation est une exigence dictée par le besoin de maîtriser les dépenses de subvention des produits de base, lesquelles dépasseront, à la fin de cette année, les 2 milliards de dinars, contre 1,5 milliard de dinars en 2010.
A l’heure actuelle, les produits subventionnés par la Caisse générale de compensation (CGC) sont l’huile végétale, le lait, les dérivés du blé tendre (pain et farine pâtissière) et du blé dur (couscous, pâtes, semoule), l’orge fourragère et le papier destiné à la fabrication des cahiers et livres subventionnés, a-t-il rappelé.
Il précise que la subvention des céréales, au cours de l’année 2017, s’est élevée à près de 1,1 milliard de dinars, celle de l’huile végétale a dépassé les 250 millions de dinars (MDT), alors que la compensation du lait et des pâtes alimentaires a avoisiné respectivement les 90 MDT et les 40 MDT.
Pour ce qui est du sucre, “la CGC n’apporte qu’une subvention minime de l’ordre de 50 millimes/kg. Ce produit est importé par l’Office du commerce qui supporte des pertes annuelles pour la subvention du sucre d’environ 85 MDT. Le prix de vente en gros du sucre a été fixé à 0,855 dinar, le prix de détail à 0,970 dinar, alors que son prix réel dépasse 1 dinar”.
Le responsable explique le renchérissement de la valeur de la subvention, supportée par l’Etat, d’une année à l’autre, par l’augmentation des prix de ces produits à l’échelle internationale ainsi que de la consommation nationale, et par conséquent des quantités importées.
Cette situation intervient dans une conjoncture caractérisée par la dépréciation du dinar tunisien et alors que les prix sont quasi-gelés depuis environ dix ans, au niveau du marché national, dans le cadre de la stratégie de compensation.
Actuellement, 1 quintal (100 kg) de farine est vendu à 82 dinars, alors que le boulanger, qui fabrique les baguettes, l’achète à 4,5 dinars uniquement. C’est ainsi que la baguette est vendue à 190 millimes, alors que son prix réel s’élève à 320 millimes, explique-t-il.
Pour ce qui est du boulanger spécialisé dans le gros pain, il bénéficie d’une subvention de 15 dinars, alors qu’il achète le quintal de farine à 6 dinars, note Trifa.
De même, au moment où l’huile végétale subventionnée est vendue à 0,900 dinar en Tunisie, son prix réel s’élève à 2.380 millimes. Il est proposé dans des pays voisins à 3 dinars.
Les distorsions des prix encouragent la contrebande
Selon le chargé de mission, ces distorsions des prix encouragent, évidemment, l’utilisation non autorisée de ces produits par des professionnels, mais aussi la contrebande. A noter que 23% des produits de base subventionnés ne bénéficient pas aux ménages et 7% de la subvention profite aux familles nanties.
C’est sur la base de ce constat,qu’un conseil ministériel a approuvé, en mars 2018, la proposition relative à la création de la Commission gouvernementale chargée de présenter la stratégie de la refonte du système de subvention des produits de base. L’idée étant d’opter pour la vérité des prix en assurant des transferts monétaires aux citoyens en contrepartie.
“Cette démarche permettra de faire face à la contrebande, de réduire l’usage des produits subventionnés pour des raisons commerciales, de maîtriser le déficit commercial et d’éviter le gaspillage”, a expliqué le responsable.
D’après lui, sur un total de 7,3 millions d’unités de pain fabriquées quotidiennement, nous jetons une moyenne de 900.000 unités, ce qui représente une perte en devises, dans la mesure où le blé tendre est importé à 90% de l’étranger. En plus, les quantités des céréales subventionnées destinées à la consommation ont évolué de 17,4% au cours de la période 2010-2016, pour atteindre 23,8 millions quintaux.
Il est à noter que, historiquement, le système de compensation a été mis en place pour préserver le citoyen des hausses des prix au niveau international. “De grandes crises ont eu lieu au niveau mondial, en 2007 et 2008, années qui ont été marquées par des hausses inhabituelles au niveau du prix du blé”, a rappelé Trifa.
“Le système de compensation a été fondé, aussi, à dessein de défendre l’attractivité de la main-d’œuvre tunisienne au niveau international, surtout durant la période 70-80, avec une démarche qui se base sur le maintien de salaires attractifs pour l’investisseur, tout en préservant le pouvoir d’achat du citoyen tunisien, grâce à la compensation. La subvention a servi comme un outil de soutien à l’agriculture, car un certain nombre de produits avaient été compensés, à cette époque là, dont les engrais et les semences”, a-t-il souligné.