En quittant BCE, Ennahdha se désolidarise du chantier de la transition. Ce faisant, elle se met en infidélité démocratique. Le mouvement nahdhaoui se trouve par conséquent démuni, face au peuple, sans projet politique à l’avenir. Il ne lui reste plus que sa base électorale que BokBok, porte-voix de la sagesse populaire, a chiffré au tiers du tiers des votants, c’est-à-dire une portion électorale résiduelle. Sale coup!

Sur le plateau d’El Hiwar Ettounsi, lors de son interview de ce lundi 24 courant, BCE a remis de l’ordre dans les idées de la scène politique. Et la classe politique, tous bords confondus, devra s’y ranger. Sa consigne était claire : gérer la crise.

L’instant est plus que jamais politique

Cette crise n’est pas fortuite. Elle est montée de toutes pièces. En réalité, il n’y a pas de crise mais une illusion, entretenue par du persiflage, de la gesticulation et de la vocifération. Et le microcosme* politicien actuel s’y adonne à fond.

BCE a démasqué cette manipulation en dévoilant au bon peuple de Tunisie quelle était sa finalité. Il s’agit ni plus ni moins que de donner la primauté au chantier économique.

Le truc est simple. Cela tient en deux mots : monter en épingle l’exaspération des économiquement faibles, étouffés par l’érosion du pouvoir d’achat, et affirmer que la feuille de route du pays est le sauvetage de l’économie. BCE rapporte que les experts, y compris ceux du chef du gouvernement, disent qu’il faut rester optimiste et que le contretemps économique peut être corrigé sur une période de deux à cinq ans, en suivant un programme de réformes.

La conclusion des instigateurs de cette crise serait donc d’installer la réforme économique au cœur du débat du futur scrutin présidentiel. Et l’actuelle coalition parlementaire permet d’accréditer ce “subterfuge“ politique.

Dans ce sillage, si Youssef Chahed en ferait sa priorité, BCE le prévient qu’il ferait fausse route. Dans cette hypothèse, il servirait de cheval de Troie pour torpiller la véritable priorité portée par l’onde de choc du 14 janvier.

La priorité historique est de poursuivre le chantier démocratique et parvenir à faire dire au texte de la Constitution qu’il garantit les libertés individuelles et qu’il valide l’égalité entre hommes et femmes, ce qu’il occulte dans sa version actuelle, outre qu’il bloque le libre jeu de la vie démocratique du fait des artifices du parlementarisme.

Voilà, la messe est dite.

Le chef de l’Etat a donc crevé l’abcès. Il rassure le peuple en lui disant que la situation est tout à fait récupérable et le prévient de ne pas se laisser abuser. Le peuple ne doit pas se leurrer en cédant aux sirènes de l’alarmisme. Il faut rester optimiste et ne pas baisser les armes. La mère des batailles démocratiques nous attend. Il nous faut gagner le combat pour les libertés individuelles et l’égalité entre les deux genres.

N’aurait-il fait que ça lors de son mandat, que ça lui garantirait la sortie par la grande porte. BCE ferraille en ce moment à tout va, contre les ennemis de la liberté et ceux qui, par naïveté, croient bon pour la Tunisie de se rallier à eux. Eh bien non, ça ne se passera pas comme ça. BCE vient stopper cette machination anti-patriotique et prend le peuple à témoin. Il sera le rempart pour qu’on n’étouffe pas le chantier des libertés.

En direct à la télévision, il a flingué cette conspiration contre l’achèvement du chantier démocratique. Ainsi que ses instigateurs.

L’essentiel et l’important

La pensée bourguibienne, qui a été la flamme de l’Etat de l’indépendance, est encore vivace et c’est elle qui guide l’œuvre de BCE, à la tête de l’Etat tunisien.

La crise politique avait une finalité : cacher le refus d’Ennahdha de cautionner le rapport de la COLIBE qui scelle définitivement, une fois pour toutes et devant l’histoire, contre vents et marées, envers et contre tous, que l’islam est compatible avec la démocratie.

La défaillance d’Ennahdha, qui quitte le navire, la met en naufrage démocratique. Auparavant, elle s’est résignée à mettre un faux nez en faisant croire qu’elle adhère aux principes des libertés et de la démocratie. BCE vient de lui retirer ce faux nez et tant pis si elle se met au ban de l’achèvement démocratique, BCE fera le chemin sans elle. Le peuple sera son allié.

Demain si Ennahdha lui fera défaut au vote parlementaire, il pourra faire adopter le rapport de la COLIBE, par référendum. C’est cela le pragmatisme dans sa version la plus noble. Ne jamais rester l’esclave ni d’un allié ni d’une idée. Les alliés de circonstance, une fois qu’on les a démasqués, on peut les jeter, en pâture au désaveu populaire. Pareil pour les fausses idées.

La réforme économique est une chose technique et les experts peuvent la mener à bon port. En revanche, la rédaction d’un texte constitutionnel n’est pas une fin en soi. Et au besoin, quand il s’avère incompatible avec la volonté populaire, il faut le changer. BCE a crevé l’abcès. Quid de la suite ? Mais cela est une simple affaire de cuisine parlementaire.

Youssef Chahed doit se forger un CV d’homme d’Etat et doit faire le tri dans ses troupes. La partie est jouable. Son maintien est un élément de stabilité, il est par conséquent incontournable. BCE lui ouvre un grand boulevard. A lui de prendre ses responsabilités

Ennahdha : Une crise de leadership à venir ?

Rached Ghannouchi est en faillite politique. Sa ligne a été désastreuse pour le parti. Longtemps il a fait croire à ses troupes qu’il roulerait BCE dans la farine. Or c’est l’inverse qui semble se produire. BCE, tel un magicien, a sorti le rapport de la COLIBE de son chapeau. Ou Rached Ghannouchi adhère aux conclusions du rapport, et là le parti aura perdu ses repères et n’aura plus de raison d’exister. Ou le parti se désolidarise de BCE et des conclusions de la COLIBE, et c’est ce qu’il a fait, et du point de vue de la marche du pays, il n’aura plus de raison d’exister.

La précipitation de Lotfi Zitoun, qui s’agrippe au référentiel turc, a achevé le parti aux yeux de l’opinion. Ennahdha, en faisait l’éloge du modèle turc, apparaît comme le parti de l’étranger.

Triste fin pour un parcours de tricherie. Ghannouchi sera en mauvaise posture. Ali Laaraydh pourra-t-il le remplacer ? Difficile, car BCE vient de conforter la position du syndicat sur la scène nationale. Or, Ali Laaraydh, ministre de l’Intérieur du gouvernement Jebali, n’est pas parvenu à protéger les festivités du soixantenaire du décès de Farhat Hached. S’il prenait la présidence du parti, les frictions avec l’UGTT pourraient refaire surface.

Qui d’autre ? Noureddine B’Hiri ? Mais là encore il est permis d’en douter. Majliss Choura a voté pour B’Hiri en 2013 et celui-ci est arrivé loin devant Ali Laaraydh et finalement le président intérimaire, Moncef Marzouki, a appelé Ali Laaraydh à la primature. Ce camouflet doit entacher sa stature politique.

Le parti sera secoué, et une crise de leadership semble se profiler pour le parti Ennahdha. Dure, dure, la politique quand on ne joue pas franc jeu.

BCE ne sera pas candidat en 2019

Tout porte à croire que BCE ne sera pas candidat en 2019. Après tout, il a balisé le chemin. Tout se jouera sur la réécriture (en quelque sorte) de la Constitution. Et, il a inauguré la renaissance du bloc patriotique. Le candidat de ce bloc n’aura pas de résistance de la part du courant islamiste car BCE vient de l’isoler.

En réalité, le décompte est simple. Nidaa Tounes, Ettayar des Abbou et même Harak de Mazouki, quoique avec des réserves pour ce dernier, sont pour le rapport de la COLIBE. Ennahdha et Hizb Ettahrir sont seuls à être contre. Dans ces conditions, il n’y a pas photo. La partition électorale semble écrite de main de maître. Il reste à la mettre en musique.

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*Raymond Barre, Premier ministre de VGE, avait ridiculisé les milieux politiciens parisiens en les traitent de microcosme, qui se perdaient en conjectures politiques au lieu d’alimenter le débat par des idées neuves