Dans une récente étude présentée au chef du gouvernement, le Centre d’analyses économiques (CAE), think tank que préside Afif Chelbi, ancien ministre, met en garde contre une désindustrialisation de la Tunisie par l’effet du rôle nocif que jouent les monétaristes et les lobbys des importateurs.
Cette étude suggère une cinquantaine de propositions pour une relance économique articulée autour de deux axes : la croissance et l’emploi d’un côté, l’inclusion sociale et régionale de l’autre. Ces propositions sont réparties sur une dizaine de thèmes.
Il s’agit de la levée des entraves pour l’amélioration du climat des affaires, de la révision de la loi de l’investissement, et d’un moratoire fiscal consistant notamment en un alignement vers le bas de l’impôt sur les sociétés onshore et offshore.
Les autres propositions consistent en l’institution de mesures en faveur de l’entrepreneuriat (maisons de l’entreprise, promotion du microcrédit) et du capital investissement, du financement de la PME (bonification d’intérêts et ratio d’activités prioritaires).
La même étude recommande, au plan de l’aménagement du territoire et pour un changement du paradigme du développement régional, dix pôles urbains régionaux ; au niveau de la protection sociale, des réformes en urgence des caisses de sécurité sociale, et, au niveau de la politique monétaire, des quicks wins réglementaires pour soutenir la parité du dinar. L’étude propose également la promotion du digital et des énergies renouvelables.
Par-delà ces propositions, le CAE se préoccupe dans cette étude des risques de désindustrialisation que peut connaître le pays. Pour lui, les indices sont au nombre de trois.
Indices de la désindustrialisation
Le premier est perceptible à travers la baisse continue de l’investissement, ce qui explique par exemple la stagnation du secteur des industries mécaniques et électriques (IME). «Un secteur comme celui des IME, réputé pour être le bijou de l’industrie tunisienne tant il exporte plus que deux fois le textile, note-t-il, commence à connaître, au 2ème trimestre 2018, un fléchissement. La règle étant quand on n’investit pas on s’arrête».
Vient ensuite l’ouverture non maîtrisée des importations lesquelles dopent l’économie parallèle. Et enfin, la quasi suppression des incitations aux secteurs productifs en vertu de la loi de 2016 sur l’investissement.
Les auteurs de l’étude sont persuadés que, ensemble, ces trois facteurs font qu’un véritable danger de désindustrialisation menace la Tunisie aujourd’hui.
Quelques chiffres traduisent cette détérioration du système productif tunisien : depuis 7 ans (de 2011 à 2017), les exportations tunisiennes vers l’Union européenne (UE) stagnent autour de 9 milliards d’euros, avec une certaine reprise au 1er trimestre 2018, tandis que le Maroc passait de 7 à 15 milliards d’euros.
Cette contre performance explique le recul incroyable de la Tunisie dans les classements internationaux de compétitivité tel que celui de Davos dans lequel notre pays -classé 95ème sur 140 pays listés en 2017 alors qu’il était classé 32ème en 2011- enregistre un recul inédit de 60 places.
Autres indices attestant du déclin industriel que connaît la Tunisie: la baisse du nombre des entreprises opérant dans le secteur du cuir et de la chaussure lequel est passé de 450 à 250, la perte de 40.000 emplois dans le textile (qui employait 210.000 personnes avant 2011).
A l’origine, deux lobbies
Pour le CAE, ce déclin est généré par deux problèmes, l’un est d’ordre idéologique tandis que le second est lié à l’émergence d’une nouvelle mafia d’importateurs.
Concernant le volet idéologique, il serait dû, selon le CAE, à une mauvaise compréhension du libéralisme par des monétaristes dont le FMI et le ministère tunisien des Finances.
Le second facteur réside dans l’émergence, après 2011, d’une nouvelle mafia. Cette dernière opère le plus souvent dans l’informel et a des lobbies au sein du Parlement et de l’administration.
Pour y remédier, l’étude propose la révision de la loi de l’investissement qui institue la neutralité de la fiscalité et la ré-institution des incitations fiscales et financières au profit du secteur productif.
Le CAE y voit un signal fort adressé aux opérateurs économiques, car ce qui se joue, avec une telle décision, c’est la sauvegarde et le développement du système productif du pays, voire la véritable richesse de la Tunisie. Celle-là même qui est perceptible à travers l’existence de milliers d’entreprises productives de niveau international et des centaines de milliers de compétences qu’elles recèlent.