Dans les coulisses du théâtre des régions à la Cité de la Culture, certains matinaux sont déjà sur place alors que sur scène, les musiciens professionnels et chanteurs pas comme les autres, finalisent les dernières touches d’un show inédit.
Après des répétitions qui ont eu lieu à la prison de Borj Erroumi à Bizerte, 15 détenus ayant des talents artistiques sont venus donner un spectacle parés de leurs plus beaux costumes.
Le monde carcéral et la douleur qu’il puisse engendrer chez le détenu est traduit dans des chansons interprétées, ce 2 octobre par ces détenus dans un spectacle matinal, dirigé par l’artiste Tahar Grissa.
Il fait partie des activités artistiques et culturelles destinés aux détenus tunisiens et constitue une expérience pionnière dans le cadre des 5èmes Journées musicales de Carthage (JMC), qui se tiennent du 29 septembre au 6 octobre 2018.
Des actions similaires prévues par cette troupe de détenus, après un premier spectacle out-door donné au dernier festival international de Bizerte. Elles visent à sortir les détenus de leur quotidien entre les murs et qui pour la plupart purgent des peines lourdes qui vont jusqu’à la perpétuité.
Les chansons interprétées convergent dans le répertoire classique du chant tunisien, pour des chanteurs comme Hedi Jouini, Slah Mosbah et autres, qui exprime le vécu de gens malmenés par la vie. Les détenus se voient donner l’occasion d’exprimer leur chagrin et leur soif pour une vie digne, quelque soit le crime pour lequel ils ont été emprisonnés.
Des hommes, jeunes et moins jeunes pour la plupart, ont chanté la douleur d’être privé de sa liberté, sur le visage se dessinent toute la dureté d’un monde difficile à gérer, notamment sur le plan émotionnel.
Le show a pris fin sur le son de l’hymne national tunisien. Il est certes difficile de voir une larme dans les yeux de personnes fragiles dont la vie semble leur avoir tout pris.
L’un des détenus n’a pu se contenir sous les longues ovations après chaque prestation donnée. Il avait les larmes qui coulaient sur ses joues en interprétant l’une des chansons.
Le temps d’une heure, toute la douleur de ce monde s’est manifestée sur scène dans une initiative du club de la prison avec le soutien de l’Association Bizerte Cinéma qui a, depuis des mois, veillé à l’encadrement des détenus.
Achraf Chargui, directeur des JMC, a lui-même rejoint la scène pour jouer au luth avec la troupe, révélant son sens artistique exceptionnel et sa sensibilité à s’imprégner de ce laps temps. Pour ce jeune directeur et artiste à la fois, “la musique ne connaît pas de murs”.
Ces détenus sont des artistes doués qui mériterait soutien et encouragement”, un avis qui consacre sa conviction que “la musique n’a ni couleur, ni orientation quelconque”.
Chargui place la musique dans sa vocation première d’un outil qui “alimente nos âmes.. à travers laquelle sont transmis des messages multiples, d’amour et d’humanisme”. Il a évoqué “un événement de taille à travers ces détenus partant du fait qu’ils obéissent tous aux mêmes critères énoncées dans la compétition des JMC”, ajoute-t-il.
Il salue “une opération pas du tout évidente” qui a pu se concrétiser grâce à l’engagement de la Direction Générale des Prisons et de la Rééducation (DGPR), l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et toutes les parties ayant permis à ce projet de voir le jour, dont le ministère de la Défense nationale et les ambassades du Canada et d’Autriche en Tunisie.
Les JMC aspirent à élargir cette expérience vers d’autres institutions pénitentiaires à travers la république, avec le soutien du ministère de la Défense, et même la tenue d’un festival national destiné à cette frange de la société.
Dans une autre déclaration à la TAP, Gabriele Reiter, directrice du bureau de l’Organisation mondiale Contre la Torture (OMCT) en Tunisie, a fait le point sur le premier pas vers une coopération élargie afin que le détenu “s’initie au monde artistique et s’ouvre sur le monde extérieur, à travers la musique ou toute autre forme de création”.
“Les détenus appartiennent à différents profils et sont sélectionnés par la DGPR pour leurs talents”, a souligné la responsable à l’OMCT, mettant l’accent sur l’objectif de telle action humaine “qui vise à sensibiliser le public, à révéler leurs talents et les partager en dehors des murs carcéraux pour une meilleure connexion entre le monde carcéral et celui dans lequel nous vivons”.
Dans cet événement susceptible de contribuer au bien-être des détenus, elle évoque “un grand moment pour toutes les personnes dans les coulisses avant leur montée sur scène”.
Ce nouveau partenariat tripartite intervient après une coopération instaurée aux JCC (Journées Cinématographiques de Carthage), 4 ans auparavant, où le festival a accédé aux prisons, en invitant des réalisateurs et des acteurs aux projections-débats avec les détenus.
Le représentant de la DGPC promet le renouvellement de la coopération lors des prochaines JCC, “un travail qui va de paire avec un effort quotidien dans la rééducation des détenus, compte tenu du rôle de la culture dans l’acquisition d’une bonne conduite, l’ouverture d’esprit et l’intégration”.