Le projet de loi des finances (PLF) pour l’exercice 2019 a été adopté le 10 octobre 2018 par le conseil des ministres et soumis à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Habib Karaouli, PDG de CAP Bank (Capital African Partners Bank), livre sa lecture de ce projet qui “reconduit les pêchés habituels”.
Tout d’abord, Habib Karaouli estime que le projet de loi de finances 2019 est une loi “rectificative”, en ce sens qu’elle rectifie les dérapages de celles de 2017 et de 2018. La limitation de nouvelles mesures fiscales en est l’illustration.
Il souligne également qu’il s’agit d’une “loi de réconciliation et d’apaisement avec les opérateurs économiques et les ménages à travers une série de mesures qui touchent à la fois à l’investissement, l’entreprise, la couverture sociale…”.
Toutefois, il regrette que “cette loi de finances reconduise les pêchés habituels, en se fixant des objectifs déraisonnablement optimistes, notamment en matière de réduction des déficits”. Car, dit-il, “vouloir réduire le déficit budgétaire, l’endettement et l’inflation tout en favorisant l’investissement et la croissance, c’est théoriquement impossible… Cette contradiction révèle une incohérence dans l’approche retenue pour concevoir ce projet”.
Pour étayer ses dires, le PDG de CAP Bank cite plusieurs exemples.
- Vouloir lutter contre le cash et proposer d’asseoir une taxe de 1% sur les transactions en liquide qui dépasseraient 5000 dinars, cela revient à taxer une infraction en la tolérant contre paiement. Ceci peut avoir un effet contre productif”.
- Vouloir rationaliser les importations en les limitant à l’essentiel et encourager ce qu’on qualifie à tort de voiture populaire au lieu de favoriser une politique de transport public est également contradictoire et envoie des signaux négatifs.
Toujours selon son analyse, Karaouli indique que “le PLF 2019 est également une loi de transition d’une période à une autre avec des effets d’annonce notamment en matière de fiscalité. Ces effets ne verront le jour qu’à l’horizon 2021. Même si c’est salutaire de ne pas trop charger cette loi de nouvelles mesures fiscales, j’aurais aimé trouver dans cette loi, une révision des catégories d’imposition appliquée aux sociétés pour les rendre plus simples, plus lisibles et convergentes”.
“Se limiter à deux catégories d’imposition, 15 et 20%, me semble tout à fait envisageable et répond aux contraintes que je viens d’énoncer. Or, le PLF propose six catégories, dont certaines sans aucune définition. Ceci laisse la porte ouverte aux interprétations de l’administration et peut induire un effet d’éviction, des effets de seuil et donc des tentatives d’évitement.
Réduire le taux d’imposition sur les sociétés de 25% à 13,5%, notamment dans le secteur des industries manufacturières, c’est bien, mais on aurait également dû aller dans le sens d’une simplification de procédures”.
A la question sur les hypothèses fixées par le gouvernement dans le cadre de cette loi vous, le PDG de CAP Bank semble moins pessimiste: “Ce qui est positif cette année, c’est qu’il y a un retour en grâce de l’idée de budget économique qui reflète en quelque sorte les orientations retenues par le gouvernement, même si on peut ne pas être d’accord sur les hypothèses et les objectifs fixés”.
Mais, déplore-t-il, “se fixer un objectif de croissance de 3,1% ne me semble pas réaliste, dans les conditions actuelles. On aurait dû annoncer un objectif un peu plus réduit qui correspondrait à la réalité pour ne pas tomber dans les travers anciens d’annoncer des chiffres pour les réajuster après.
Idem pour l’endettement. L’objectif de réduire son taux à moins de 70% me semble trop optimiste. Je pense que ce serait une performance si on stabilisait le taux actuel autour de 72-73%.
Le taux affiché en matière de déficit budgétaire me semble également trop ambitieux”.
Et Karaouli de s’étonner: “Je ne comprends pas cette volonté d’afficher des résultats aussi ambitieux pour ne pas les atteindre après. Il faut habituer l’opinion publique à afficher des objectifs qui puissent paraître modestes mais qui sont réalisables”.
Enfin, le PDG de CAP Bank est d’accord pour dire que “… les marges de manœuvres du gouvernement sont extrêmement réduites avec plus de 80% du budget contraints par une masse salariale de l’ordre de 40%, un niveau élevé de remboursement de la dette d’environ 25%. Mais, j’attribuerais plutôt cette incohérence à une absence de vision derrière ce projet de loi.
Il y a aussi une autre considération à ne pas écarter. Partout dans le monde, les lois de finances qui se font à la veille d’échéances électorales importantes comportent fatalement des mesures électoralistes. Je mettrais sur le compte de cette qualification, les mesures touchant aux voitures populaires, à l’abaissement du taux de TVA sur les abonnements Internet, même si cette dernière mesure est très positive, bien qu’elle ait manqué d’audace. Il aurait fallu aller jusqu’au bout, vers 0% de TVA, si vraiment l’intention est d’aller dans le sens d’une véritable digitalisation de l’économie et de la société.
J’aurais également souhaité voir un saut qualitatif et quantitatif important sur le titre 2 du budget, conformément à l’intention affichée de relancer l’investissement. Car, l’enveloppe actuelle allouée à ce chapitre ne couvre que de l’infrastructure et reste nettement insuffisante pour que l’Etat puisse jouer son rôle de locomotive pour l’investissement aussi bien public que privé.
A ce titre, remettre sur le tapis cette idée de Banque des régions est, à mon avis, une totale hérésie et en porte-à-faux de tous les enseignements qu’on a pu tirer concernant le paysage bancaire tunisien. La Tunisie n’a pas besoin d’une banque supplémentaire quelque soit la qualification et la mission qu’on lui donne.
La Tunisie a besoin de peu de banques mais qui soient performantes et suffisamment outillées en termes de ressources financières et humaines pour pouvoir contribuer efficacement au financement de l’investissement privé où qu’il se trouve et durant tout le cycle de vie de l’entreprise.
J’aurais personnellement préféré que les 400 millions de dinars consacrée à cette banque, avec les 150 MDT réservés pour soutenir l’emploi, soient mis dans un fonds d’investissement souverain dédié à financer les projets et les entreprises qui se situeraient dans des zones de développement régional prioritaires, l’innovation et les énergies renouvelables.
La banque des régions mettra au moins trois ans pour entrer en activité, avec le risque de se retrouver, dans 5 ans, dans la même situation où se trouve actuellement la BFPME, parce qu’elle aurait concentré trop de risques dans des segments fortement risqués.
Loin d’être un exercice comptable, une loi de finances devrait reposer, à mon avis, sur une vision et un arbitrage savant entre le court terme et le long terme”.