Le Fonds monétaire international pourrait être moins flexible concernant le déblocage des tranches du prêt accordé à la Tunisie, prévues pour 2019, en raison des dernières augmentations des salaires décidées dans le secteur public, et celles prévues pour la fonction publique.
C’est en tout cas ce que pense l’expert-comptable, Walid Ben Salah, dans une interview accordée à l’agence TAP. Selon lui, FMI n’a cessé de demander le gel des salaires dans la fonction publique, depuis la signature, en mai 2016, de l’accord relatif au prêt de 2,8 milliards de dollars accordé à la Tunisie au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC).
Le pays a déjà bénéficié de 5 tranches d’une valeur globale de 1,4 milliard de dollars, rappelle-t-il
“Il aurait fallu parler franchement, avec le Fonds monétaire international, de la situation économique et sociale difficile du pays, marquée par la détérioration du pouvoir d’achat, la montée de l’inflation et la faiblesse de la croissance, pour bénéficier d’une meilleure flexibilité, concernant la question des salaires”.
L’expert-comptable juge par ailleurs précipité l’engagement pris par le gouvernement auprès du FMI de geler la masse salariale, au demeurant l’une des plus élevées au monde, et de ne pas augmenter les salaires, d’autant plus que le gouvernement a signé un accord avec l’UGTT, le 22 octobre 2018, pour augmenter les salaires dans le secteur public.
“Cette contradiction est de nature à saper la crédibilité du gouvernement et reflète une absence de vision concernant les réformes qui doivent être engagées, ce qui contraint le gouvernement à opter, à chaque fois, pour des mesures artificielles, à l’instar du mécanisme du crédit d’impôt, retenu pour réduire la masse salariale. Lequel mécanisme n’est pas à même de solutionner un problème structurel et non comptable”, affirme-t-il.
Ben Salah admet cependant que “… les augmentations salariales qui concernent le secteur public (établissements et entreprises publics) sont compréhensibles, vu la détérioration du pouvoir d’achat des citoyens”.
Il va plus loin pour dire que les dernières augmentations dans le secteur public et celles attendues dans la fonction publique sont justifiées, en ce sens que l’année 2018 s’est caractérisée par une amplification des taxes et impôts, dont la hausse des impôts indirects et les retenues sur salaires.
En même temps, le taux d’inflation a atteint les 7,4% à fin septembre 2018, y compris dans le secteur de l’énergie.
Il s’agit d’autant de facteurs qui ont sensiblement impacté le pouvoir d’achat des citoyens, et particulièrement des salariés.
Le PLF 2019 n’a pas pris en compte les dernières augmentations
En ce qui concerne l’impact des augmentations salariales dans le secteur public et celles prévues dans la fonction publique, sur les équilibres budgétaires, Ben Salah précise que la masse salariale inscrite dans le projet de budget de l’Etat 2019 est estimée à 16,5 milliards de dinars, soit 14,1% du PIB.
Cette masse représente plus de 40% du total du budget, mais n’inclut pas les récentes augmentations et celles à venir.
Il pense que le gouvernement pourrait avoir recours, une nouvelle fois, à des solutions provisoires, dont la réduction d’autres budgets tels que celui du développement, pour préserver les équilibres globaux.
“Les dernières augmentations salariales dans le secteur public, qui concernent les établissements et entreprises publics augmenteront les déficits de ces derniers, surtout qu’elles ont été décidées après la fixation de leurs budgets, d’où la nécessité de leur révision”.
Amplification du déficit des entreprises et établissements publics
Pour l’expert-comptable, le déficit enregistré dans les entreprises et établissements publics va rendre plus difficile leur situation financière. Ainsi, il y aura recours au budget de l’Etat pour les aider de nouveau, ou à l’endettement ou encore à l’augmentation de leurs ressources propres, par l’augmentation de certaines tarifs (électricité, gaz, hydrocarbures, billets d’avion de Tunisair et du transport public…).
“L’exercice 2019 en sera grevé, étant donné que les augmentations salariales seront débloquées en janvier 2019, avec un effet rétroactif, à compter de mai 2018. D’ailleurs, le projet du budget 2019 comporte des transferts financiers programmés au profit des entreprises et établissements publics d’une valeur de 1,672 milliard de dinars, dont 958 millions de dinars au titre des salaires. Cette somme sera revue à la hausse, compte tenu de dernières augmentations salariales”.
Il indique que le recours aux recrutements anarchiques dans la fonction publique et dans le secteur public au cours des années 2011, 2012 et 2013, pour assurer la paix et la stabilité sociales, n’a pas donné de résultats, étant donné la persistance de la problématique du chômage (plus de 15%).
D’ailleurs, les mouvements de protestation, les sit-in et le blocage de la production pour revendiquer des droits sociaux se poursuivent encore.
Ben Salah réitère son appel à “une redistribution des agents et fonctionnaires au sein de l’appareil de l’Etat, pour renforcer les structures de contrôle, tels que le contrôle fiscal et économique, la Cour des comptes et les structures de contrôle public et de recouvrement, sur la base de programmes de formation et de mise à niveau adéquats, tout en veillant à la numérisation de l’administration”.
Ces mesures, a-t-il dit, sont à même de permettre à l’Etat, de mobiliser de dizaines des millions de dinars et d’assurer le recouvrement des dettes classées, sans recourir à de nouveaux recrutements ou augmenter la masse salariale.