L’égalité dans l’héritage entre l’homme et la femme, c’est une affaire d’éthique sociale et démocratique. L’Association tunisienne des femmes démocrates entend mobiliser toutes les associations de défense des libertés à faire front commun pour valider cette approche. Et défendre le projet de loi sous cet angle de projet sociétal, et par conséquent citoyen.

Elles étaient venues et étaient toutes là, ce samedi 20 courant, aux assises de la société civile. Toutes les associations de défense des libertés se sont mobilisées, à l’unisson, comme les doigts de la main, afin de défendre le projet de loi pour l’égalité dans l’héritage entre l’homme et la femme.

Mais autant elles savent que l’union fait la force, autant elles ne se sont pas présentées à ce meeting les mains vides. Elles ont pris soin d’affûter leur argumentaire avec beaucoup de savoir et de connaissance, mais également en s’appuyant sur les enseignements de la réalité et de la vie en société. Et elles se déclarent prêtes à en débattre dans la sérénité avec tous les sceptiques. Ainsi que ceux qui contestent l’idée. Enfin, tous ceux qui sont contre l’initiative.

C’est que leur cause est juste, de quelque angle qu’on veut bien l’envisager. Et leur plaidoyer est un hymne à la liberté.

D’ailleurs, les assises ont été quelque peu chahutées par des activistes anti-projet. D’où tirent-elles leur force et leur persuasion de gagner ? C’est que leur cause est juste, de quelque angle qu’on veut bien l’envisager. Et leur plaidoyer est un hymne à la liberté.

Auparavant on affirmait, en société avec beaucoup de niaiserie, que ce que femme veut Dieu le veut. Les femmes et les associations de défense des libertés sont résolues à gagner, en rendant compatibles la raison et la foi, un vrai tour de force. Tout en lucidité et en sincérité. Magistral ! Ça ne manque pas de genre, il faut bien le reconnaître.

Leurs adversaires tombent dans le piège du parjure constitutionnel

C’est en des termes clairs et incontestables que la Constitution de 2014 a posé le principe de l’égalité entre les genres. Rien ne s’oppose à pousser cette règle jusqu’au bout. A priori donc rien ne s’oppose à aller jusqu’à l’égalité dans l’héritage entre hommes et femmes.

Toutes les associations font chorus et tiennent bon. Et elles sont prêtes à affronter l’adversité. Les opposants à ce projet objectent l’argument du sacré. La réponse de toutes les associations est cinglante. Si on extrait le principe de l’égalité du champ citoyen tel que défini par le cadre de la Constitution, on tombe dans une situation de parjure constitutionnel.

L’article 2 de la Constitution rappelle bien l’attachement au caractère universel des droits de l’Homme et de l’égalité entre les deux sexes

L’article 2 de la Constitution rappelle bien l’attachement au caractère universel des droits de l’Homme et de l’égalité entre les deux sexes. Et en rien, l’article premier, lequel rappelle que l’Islam est la religion du peuple, ne peut entraver le principe de l’égalité dans une lecture juste et intellectuellement honnête à moins d’une instrumentalisation malveillante.

Le rapport de la COLIBE vient souligner que la dimension citoyenne de l’égalité dans l’héritage prime. Et il construit tout un corpus de légitimation, inattaquable.

“Quand on n’a rien, on n’est rien“… Halte à la ségrégation économique 

Tout contribue à maintenir la femme dans un état de minorité sociale. Les pratiques anciennes, les croyances populaires, tout conspire à ce qu’elle soit privée de la propriété des moyens de production, dont principalement la terre et jusqu’au logement. Cela est vrai en milieu urbain mais c’est encore plus perceptible et contraignant en milieu rural.

Sans l’accès à la propriété des moyens de production, elles sont frustrées du pouvoir de décision économique. Pour faire court, on dira qu’on leur fait subir une violence économique. Il leur est difficile dans ce contexte de s’affranchir et de devenir femme entrepreneure.

La femme subit comme une situation de détournement de patrimoine en faveur du frère. Et quand bien même elle se résout à accepter un partage inégal du patrimoine familial, elle ne peut en disposer librement. Souvent la totalité du patrimoine est sous la tutelle de gestion des frères, au mépris du droit des sœurs.

Dans 85% des cas de partage de l’héritage d’une terre agricole, les femmes sont totalement exclues ou bien elles sont obligées de laisser plein pouvoir à leurs frères

La femme, de ce fait, vit une usurpation permanente. Dans 85% des cas de partage de l’héritage d’une terre agricole, les femmes sont totalement exclues ou bien elles sont obligées de laisser plein pouvoir à leurs frères. L’argument avancé est d’une niaiserie déconcertante. Il s’agit d’empêcher que le patrimoine familial file chez la belle-famille.

Comment, dès lors, la femme peut-elle exister pour vivre ? Comment enlever cette hypothèque qui pèse sur l’autonomie matérielle de la femme ? Car tout le temps que le frère dispose du patrimoine, c’est lui qui décidera pour sa sœur. On en est à un point de rupture. Heureusement que la Constitution a ouvert la voie à la possibilité de règlement de cette injustice.

Elles admettent avec réalisme et beaucoup d’amertume que “Quand on n’a rien, on n’est rien“ étant donné qu’elles le subissent au quotidien

Quand on voit toutes ces femmes paysannes employées sur les champs pour un bol de riz. Quand on voit les conditions de leur transport en pick up sans protection, on s’aperçoit très vite qu’elles sont en quasi servage. La majorité d’entre elles sont résolues à améliorer leur situation. Elles admettent avec réalisme et beaucoup d’amertume que “Quand on n’a rien, on n’est rien“ étant donné qu’elles le subissent au quotidien.

Elles sont prêtes à monter au front et, la plupart, même si elles refusent de manifester car non familiarisées à la contestation dans la rue, annoncent être disposées à signer des pétitions appelant à leur émancipation. Et, naturellement à l’égalité dans l’héritage.

L’absence de reconnaissance sociale

Le modèle social de l’Etat de l’indépendance a instauré le droit à l’égalité dans l’éducation. Cela a ouvert la voie, aux femmes, à l’accès aux postes de commandement et de pouvoir. Et cette validation de compétence a définitivement vaincu la tare de l’incompétence génétique, injustement accolée aux femmes.

Que serait le secteur de la confection et tout le secteur manufacturier sans la gent féminine, soumise à l’exploitation par la discrimination

Dans le même temps qu’elles s’affranchissaient de toutes les contraintes, elles s’impliquaient davantage dans le processus de création de richesses. Etant actives, elles participent à augmenter le PIB du pays. Que serait le secteur de la confection et tout le secteur manufacturier sans la gent féminine, soumise à l’exploitation par la discrimination qui décote leur salaire, de 20 à 30% par rapport à celui de leurs collègues masculins ?

Des études sérieuses montrent qu’elles n’hésitent pas à engager leur épargne, souvent leur part d’héritage, de même que leur revenu dans le budget familial. Elles aident leurs maris à accéder à la propriété du logement familial, dont la propriété va, la plupart du temps, exclusivement au mari. On ne parlera pas du temps consacré à la gestion du foyer. Toutes les études montrent qu’elles leur absorbent près de six heures par jour contre moins d’une demi-heure pour les hommes. Trop, c’est trop.

Responsabilité parentale et pouvoir paternel, rien ne va plus

Les chiffres sont glaçants. A l’heure actuelle, une famille sur cinq a une femme comme cheffe de ménage. Un témoignage poignant est cité. C’est celui d’une jeune femme qui déclarait avoir travaillé pour 100 dinars par mois, en qualité de vendeuse dans une boutique. Elle consacrait son revenu totalement à sa famille, ce qu’elle faisait en toute conviction tout en se lamentant toutefois de n’être pas parvenue à acheter quelque chose pour elle.

Quand une femme travaille et apporte un salaire, le budget du ménage augmente en moyenne de 40%. La contribution des femmes atteint près de 45% des dépenses courantes, 42% des dépenses occasionnelles et saisonnières, et 31,7% pour les dépenses de loisirs.

Près de 55% des femmes entretiennent la maison en puisant dans leurs héritages.

Les femmes contribuent pour 33% environ à l’achat du logement, hors les dépenses d’équipement. Près de 55% des femmes entretiennent la maison en puisant dans leurs héritages. Près de 75% des jeunes femmes aide-ménagères déclarent que leur salaire est négocié et récupéré par leur père.

Tous ces chiffres ont été avancés par l’Association tunisienne des femmes démocrates. Cette même étude nous apprend, également, que dans un système économique qui consacre légalité dans l’héritage, les femmes ont la capacité de contribuer à une augmentation de près de 16% du PIB.

Dans ce qui a précédé, on voit que la femme est embarquée, consentante et consciente, dans une dynamique parentale d’émancipation économique du ménage. Mais en bout de course, la récompense est surtout paternelle, en matière de responsabilité, de jouissance de propriété et d’usufruit. C’est un cas de flagrant d’abus.

La femme, au cœur du projet sociétal

La question de l’égalité dans l’héritage est le test d’authenticité pour la Constitution. Ou l’ARP consacre le principe et on fait un saut de palier qui nous met à parité avec la société scandinave. Ou l’ARP se rebiffe et en l’occurrence le texte constitutionnel révèlera sa vérité chariique.

Les “pro“ ont invoqué l’article 2, qui réfère au caractère universel des libertés et du principe de l’égalité. Les “anti“ ont collé à l’Article premier en en faisant une lecture biaisée, bloquant la voie à l’égalité. Nous approchons de l’heure de vérité. Les adeptes du sacré se retrouvent sans défense face à un plaidoyer qui montre que la ségrégation à l’adresse des femmes n’est pas une prescription religieuse mais bien la volonté de spoliation d’un genre par l’autre.

A travers les âges, la part d’héritage de la femme n’a jamais été une question figée.

Le sexe fort apparaîtrait dans sa posture dégradante de sexe déloyal et spoliateur. A travers les âges, la part d’héritage de la femme n’a jamais été une question figée. Cela doit donc invalider toute tentative de rigidité, en la matière. Cette question s’est accommodée du contexte de l’époque considérée.

Dans la période ante islamique, l’héritage était calqué sur le droit au butin. La femme ne participant pas au combat en était tout simplement privée. A l’ère islamique, sous les califes bien guidés, on a connu une géométrie variable, en fonction des données sociologiques du moment. Jamais, au grand jamais il n’y eu conformité rigide avec le texte.

Par ailleurs, le texte lui-même valide le recours au legs et au testament. Il transgresse sa propre prescription d’inégalité dans l’héritage. N’est-ce pas un signe probant que l’affaire peut se régler à la discrétion des citoyens.

En outre, Tahar Haddad lui-même rappelait que l’égalité n’a pas été formellement prohibée par le texte. De ce fait, elle ne constitue pas un franchissement et n’enfreint pas un commandement divin.

On peut s’interroger sur la finalité de la transition démocratique si elle ne valide pas les libertés individuelles et l’égalité dans l’héritage.

On peut s’interroger sur la finalité de la transition démocratique si elle ne valide pas les libertés individuelles et l’égalité dans l’héritage. Tout ça pour ça, pourrait-on se demander, avec un certain désenchantement.

Des sceptiques ont contesté la révolution. On les a honnis. Si des négationnistes en viennent à bloquer l’égalité, on serait en droit, à notre tour, non pas de mettre en doute mais bien de crier à la trahison démocratique. Il y aura apostasie démocratique.

En août 2011 devant les chefs d’Etat des 7 plus grandes puissances mondiales, BCE –alors Premier ministre- soutenait, haut et fort, que l’Islam est compatible avec la démocratie. Dans cet ordre d’idées, en se tournant vers l’avenir, on peut en effet se demander ce que peut être le sort d’une religion qui refuse l’égalité dans l’héritage. On s’interdit d’envisager cette éventualité. Nous l’accomplissons comme un acte de foi.

L’égalité garantit la pérennité démocratique. L’inverse instaurerait définitivement le patriarcat, première étape sur la trajectoire du Califat.

La subtilité tunisienne est que le projet de loi fait de l’égalité la règle. Et il autorise l’exception chariique. Il ne s’agit pas que d’une simple nuance mais d’une différence de fond. L’égalité garantit la pérennité démocratique. L’inverse instaurerait définitivement le patriarcat, première étape sur la trajectoire du Califat.

L’émancipation de la femme garantit l’immunité démocratique. C’est la mère des victoires.

Ali abdessalam