Nous vous avions vu Mme la maire tenant un balai et nettoyant les rues de Tunis lors de votre campagne électorale. Nous vous avions entendu promettre monts et merveilles après votre élection à la tête de la première mairie de Tunisie, celle dans laquelle ont siégé les plus grands depuis l’indépendance. Mais rien n’a changé depuis que vous êtes aux commandes !
Nous pensions qu’étant la première femme à être élue maire de la ville de Tunis, vous alliez vous investir corps et âme dans votre ville, nous le reconnaissons, pas aisée : celle de rendre à Tunis son âme et sa classe. Mais nous n’avons rien vu ou presque à ce jour.
Nous vous pensions loin des allégeances partisanes, même en tant qu’élue d’Ennahda, et peu soumise aux ordres venus d’en haut, vous dont l’apparente civilité sert surtout à faire passer un parti rétrograde et obscurantiste pour un parti ouvert et tolérant. Mais vous avez, très tôt, annoncé la couleur. Et le jour même de votre élection en tant que maire, la première photo de la victoire, vous l’avez prise avec les membres du Conseil de la Choura qui attendaient sagement dans votre bureau -il l’était déjà avant votre élection (sic)- le résultat des votes bien entendu en votre faveur pour savourer avec vous le fruit de leur conquête.
Quoi de plus normal de vous voir maire de Tunis à partir du moment où votre parti a remporté la victoire de la capitale ? Ce poste vous revenait de droit, sauf que nous pensions qu’une fois élue, vous vous attelleriez à la tâche de jour comme de nuit non pour dispatcher les commissions et les arrondissements, dont les plus importants sont revenus bien évidemment à votre parti dont les élus du reste sont omniprésents, mais pour servir au mieux les intérêts des habitants de Tunis qui en avaient ras-le-bol de voir leur ville tomber en lambeaux.
Nous pensions que vos actions dépasseraient celle de balayer les rues pour enclencher, dès votre prise de fonction, le processus de réparation et de rénovation d’une voierie détruite et vétuste.
Madame, savez-vous qu’une grande partie des accidents de la route est due à la qualité du réseau routier désastreux dans votre ville ?
Savez-vous que rénover la voierie permet à l’Etat de faire des économies non négligeables et de préserver les bus et véhicules du transport public ou appartenant à l’Etat ?
Savez-vous que la dégradation du réseau routier entraîne des étranglements pour le transport routier ?
Quand comptez-vous lancer le chantier de réparation des routes, Mme ?
Devons-nous attendre que des opérateurs turcs gagnent un appel d’offres ou viennent nous offrir leurs services ? Car Mme, nous ne pouvons oublier la visite d’une délégation d’investisseurs turcs à votre honorable mairie conduite par Mme H.A, membre du Conseil de la Choura…
Mais il n’y a pas que la voierie, Mme, il y a la propreté, et celle-ci laisse à désirer car trop approximative. Une dame qui vient de rentrer de Turquie, justement votre plus grand allié, oh pardon, celui de votre parti, m’a dit : «lorsqu’on se promène à la place Takcim, on a honte d’y faire tomber ne serait-ce qu’une allumette tant elle est propre et tant toute la ville d’Istanbul respire la propreté».
Pourquoi pas Tunis, Mme, qui figure parmi les villes les plus anciennes de la Méditerranée ?
Pourquoi autant d’étals anarchiques ? Pourquoi n’arrivons-nous pas ou n’arrivez-vous pas à mettre de l’ordre dans tous ces souks et ces marchés municipaux qui ont occupé les rues à tel point que les voitures ne peuvent même plus y circuler ? Par peur ? Par souci de conserver la sympathie de vos élus ou par souci de préserver les voix qui pourraient servir votre cause lors des prochaines élections ?
Et les débordements des cafés sur les trottoirs et les espaces publics et ces kiosques à journaux, ces pépinières qui ont fusé de partout et de manière illégale depuis 2012 ? Et les dépassements de certains individus qui ne comprennent rien au civisme et à la propreté et qui occupent trottoirs et espaces publics par leurs déchets et saletés ?
Qu’avez-vous fait pour sévir, Mme ? Et ne nous dites surtout pas qu’il s’agit de procédures ou de lois car à l’Ariana et à La Marsa, nous avons vu les mairies à l’œuvre.
Face à votre inertie, d’autres maires travaillent. A l’Ariana, le conseil sous la présidence de Fadhel Moussa a commencé très tôt à rétablir ordre, propreté et loi. Fadhel Moussa, qui a décidé de reverser ses salaires dans la caisse de la ville, instaurant une tradition qui fut suivie par d’autres maires. Avec son équipe d’élus, ils ont récupéré des chaussées occupées par des cafetiers et ont procédé au traçage des limites à ne pas dépasser par ces derniers. Autour du Marché municipal de l’Ariana, toute une campagne a permis la récupération des rues pour assurer aux conducteurs une circulation plus fluide et mettre fin au diktat et au chaos des occupants vendeurs de légumes, de fruits et de friperies.
Slim Maherzi s’est, pour sa part, engagé à La Marsa dans une guerre sans merci contre les constructions anarchiques bravant même l’autorité du gouverneur de Tunis, à cause d’un immeuble construit de manière illégale.
Ces deux maires ont affiché la couleur et surtout sont décidés à asseoir leur autorité en tant que maire pour faire respecter la loi et améliorer la qualité et le cadre de vie de leurs concitoyens.
Et vous, quand est-ce que vous oserez, madame ?
Ou est-ce que les actions au sein de la mairie de Tunis se limiteront à utiliser les districts dont les chefs sont d’obédience nahdhaoui aux actions caritatives comme offrir de la viande ou des moutons aux nécessiteux à l’occasion des fêtes religieuses ou la fourniture scolaire à la rentrée et au nom du parti ? Où est l’éthique, Mme ?
Mme, nous espérions voir notre ville reprendre ses couleurs et récupérer ses espaces. Nous pensions que vous alliez la rendre plus attrayante et plus propre dans le respect de la mission pour laquelle vous avez été mandatée. Devons-nous vous rappeler votre rôle, Mme ? Celui de veiller sur l’amélioration du cadre urbanistique de la ville de Tunis, d’intervenir dans l’action économique au profil des nationaux, d’agir dans tout ce qui est hygiène et santé, d’engager des actions sociales et culturelles, d’améliorer l’environnement et de permettre à Tunis de se repositionner en tant que ville phare de toute la Tunisie.
Entre discours et réalité, il y a une différence de taille, et comme le dit Jean-François Rial, le leadership est le produit d’une personnalité attachante associée à une force de conviction permettant d’entraîner les autres sur des projets ambitieux.
En êtes-vous capable, Mme ? Etes-vous capable de métamorphoser l’image et le visage de Tunis en mieux ?
Amel Belhadj Ali