Après de longues tergiversations, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et son allié Ennahdha ont décidé de procéder à un remaniement ministériel à un mois et demi de l’adoption de la loi de finances 2019 et à une année de la tenues des prochaines élections générales, le tout sur fond de crises multiformes qui durent depuis des années.
Ce remaniement appelle moult remarques. En voici les trois principales à notre avis.
La première concerne le rejet de la démarche de ce remaniement par le président de la République. Saïda Garrache, porte-parole de la présidence de la République, a déclaré que Béji Caïd Essebsi n’a pas été consulté…
«Il s’agit, a-t-elle dit, d’un remaniement effectué à la hâte et il y a eu une tentative d’imposer le fait accompli. Le chef du gouvernement ne s’est pas concerté avec le président de la République autour du remaniement et sa composition. Il a été juste informé à une heure tardive du remaniement…».
Sur le plan constitutionnel, cette désapprobation n’a pas de conséquences pour deux raisons. La première réside dans le fait que ce remaniement n’a pas touché les deux départements ministériels qui relèvent des prérogatives de la présidence de la République, en l’occurrence la Défense (Abdelkerim Zbidi) et les Affaires étrangères (Khemaies Jhinaoui).
La seconde a trait à la légalité de ce remaniement en ce sens où ce dernier a été fait conformément à l’article 89 de la Constitution qui stipule que «le gouvernement se compose du chef du gouvernement, de ministres et de secrétaires d’État choisis par le chef du gouvernement…».
Les Tunisiens confondent sionisme et judaïsme
La seconde remarque a trait à la nomination d’un Tunisien juif au poste de ministre du Tourisme et de l’Artisanat. Le problème qui se pose ici ce n’est pas la confession juive du nouveau ministre. D’ailleurs, René Trabelsi n’est pas le premier ministre juif qui intègre un gouvernement tunisien. Avant lui, il y a eu Albert Bessis, nommé en 1955 ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme. dans le gouvernement Tahar Ben Ammar, et André Barrouch nommé au même poste en 1957.
Ce qui dérange -certains- dans sa nomination, c’est son timing. Elle aurait pu avoir lieu dans une autre période de stabilité politique. Car, les Tunisiens d’aujourd’hui ne sont pas les Tunisiens des années 50. Beaucoup de choses ont changé. Les guerres israélo-arabes de 1967 et de 1973 et la répression, ces derniers temps, des Palestiniens de la bande de Gaza ont beaucoup marqué les Tunisiens.
Ces derniers, au regard de leur inculture (5 millions d’analphabètes, d’illettrés sur un total de 11 millions dont 3 millions immatures), ne distinguent donc pas entre juifs et sionistes. D’ailleurs les Tunisiens ne s’unissent et ne se regroupent pour descendre spontanément dans la rue que lorsque les Palestiniens sont réprimés par les sionistes israéliens. C’est une donne constante.
C’est la raison pour laquelle que compte tenu de la répression dont sont victimes actuellement les habitants de Gaza et des calculs d’Ennahdha qui veut améliorer son image auprès de la diaspora juive internationale, ceux qui ont pris cette décision (Chahed et Ennahdha) ont en principe choisi définitivement leur suicide politique, estimons-nous.
La société civile contre ce remaniement
La troisième remarque consiste en le rejet de ce remaniement par la société civile, particulièrement trois organisations nationales : la centrale syndicale (UGTT), le patronat (UTICA) et l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP).
Ces organisations, tout comme le reste des Tunisiens, ont toujours demandé avec insistance le départ d’au moins cinq ministres jugés “incompétents”… Malheureusement, ces ministres ont été maintenus à leur poste. Il s’agit entre autres de Omar El Béhi (ministre du Commerce), qui n’a pas pu contenir la cherté de la vie et maîtriser les circuits de distribution, et Samir Bettaieb (ministre de l’Agriculture), qui a montré ses limites à la tête de ce département…
Viennent ensuite deux ministres nahdhaouis maintenus à leur poste en dépit de leur mauvais rendement. Il s’agit de Zied Ladhari (ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale). Certains disent qu’il a transformé son département en “une agence de voyages” pour faire le tour du monde en compagnie d’hommes à lui. Bien qu’il gère le délicat dossier du développement, on l’a rarement vu dans les régions, et lorsqu’il se déplace dans les régions, c’est pour visiter des régions à la tête desquelles les gouverneurs sont des nahdhaouis, l’accuse-t-on.
L’autre ministre nahdhaoui, c’est Anouar Maarouf (ministre des Technologies de la communication et de l’Economie numérique).
Ces deux derniers ministres ont fait l’objet, dernièrement, d’une pétition de députés des blocs démocratiques parlementaires et du Front Populaire dans laquelle les signataires demandent le retrait de confiance à ces deux ministres.
Au final, par delà cette lecture expresse du remaniement, nous sommes tentés de dire que c’est un autre ratage du gouvernement Chahed dont le seul exploit est d’avoir déprécié le dinar et paupérisé les Tunisiens. Et pour reprendre cette réaction à chaud de Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT : «La Tunisie mérite mieux».
Abou SARRA