Lundi 22 octobre 2018, le ministre des Technologies de la communication et de l’Economie numérique, Anouar Maârouf, devait répondre à une question de Samia Abbou, députée du Courant démocratique, concernant les raisons et les conditions du limogeage, en mai 2018, de Adel Bouhoula de son poste de directeur général du Centre National d’Informatique (CNI).
La députée a exposé en une trentaine de minutes toutes les anomalies qui auraient caractérisé la manière dont le ministre a géré ce dossier. Du début à la fin.
La première d’entre ces anomalies concerne l’organisation de la passation entre le DG démis et son successeur. En convoquant lui-même cette cérémonie et en l’organisant, de surcroît, au siège du ministère, le ministre a violé la loi qui stipule que le conseil du CNI se réunit à l’invitation de son DG.
La deuxième anomalie concerne les raisons du limogeage de M. Bouhoula invoquées par le ministre. Sans oser traiter l’ancien directeur général du CNI d’incompétent, le ministre l’a laissé entendre en déclarant, en substance, que lorsque on échoue on est démis.
Délais impartis insuffisants…
Ajoutant dans la foulée que Adel Bouhoula n’a pas été en mesure de concrétiser le projet du bulletin de naissance électronique. Ce qui est à la fois vrai et faux.
Vrai, parce qu’effectivement le projet n’a pas vu le jour. Faux, parce que l’ex-directeur général du CNI lui a dit en toute franchise que le service du bulletin de naissance en ligne était impossible à réaliser dans les délais impartis -18 jours. M. Bouhoula n’a d’ailleurs pas hésité à assumer ses responsabilités pour dire au ministre qu’il aurait dû lui en parler avant de s’engager sur ce projet auprès du chef du gouvernement, car il lui aurait proposé une démarche à suivre pour concrétiser l’idée. Remarque qui –on l’imagine fort bien- a fortement déplu à Anouar Maârouf.
N’en déplaise à Monsieur le ministre, les événements ont depuis, comme l’a souligné Mme Abbou, démontré –et de quelle manière- que l’ancien DG du CNI avait raison sur toute la ligne en ce qui concerne la faisabilité du projet.
La preuve : si lui n’a eu que 18 jours pour sortir le bulletin de naissance électronique, son successeur –nommé le 18 mai 2018- a déjà eu dix fois plus de temps -180 jours- et n’a pas pu malgré cela, à ce jour, livrer le service demandé.
Donc, l’argument de l’échec de l’ancien DG du CNI qui aurait motivé son limogeage ne tient pas debout.
Le Japon prouve que Adel Bouhoula est compétent
Et le meilleur démenti aux accusations du ministre vient … du Japon. En effet, University of Tsukuba, une des plus prestigieuses du pays, a adressé à Adel Bouhoula, après son limogeage –comme elle le fait depuis onze ans- une invitation pour donner, pendant neuf jours, des conférences et des cours intensifs dans sa spécialité, la sécurité informatique.
Autre marque de confiance, Adel Bouhoula accueille, depuis quelques années, dans son laboratoire à Sup’Com, des étudiants de la même University. Qui sont tout heureux par la suite de voir leurs papiers, produits sous la houlette de Adel Bouhoula, publiés dans les plus prestigieuses revues spécialisées.
Limogé à cause d’un BNE…
En fait, le Bulletin de naissance électronique (BNE) n’a pas pu voir le jour à cause d’une multitude de problèmes imputables pour la plupart au ministre des Technologies de la communication et de l’Economie numérique.
Le premier d’entre ces problèmes concerne le temps imparti pour réaliser le projet. Le ministre a informé le DG du CNI le 19 mars qu’il devait faire une démonstration au chef du gouvernement le 28 du même mois. Mais trois jours avant, il lui a dit qu’à cette date-là il fallait mettre en ligne le service du bulletin électronique.
Le deuxième problème réside dans le manque de tact –pour ne pas dire autre chose- du ministre. Après la démonstration du 28 mars 2018, Anouar Maârouf a fait une déclaration dans laquelle il s’est attribué à travers son département le mérite de la réussite de l’opération, passant totalement sous silence le rôle –pourtant clef- du CNI. Cet «oubli» a, bien sûr, fortement déplu aux employés du CNI. A qui M. Maârouf avait déjà donné une autre raison d’être en colère et de l’exprimer depuis des mois par d’incessants sit-in.
La création de l’ADN rejetée par les agents du CNI
Le troisième problème –et deuxième raison de cette colère- tient au projet de création de l’Agence de développement numérique (ADN). Les employés du CNI se sont dès le début opposées à ce projet car ce nouvel organisme va à l’avenir –s’il voit le jour- monopoliser le développement des applications –que le Centre fait depuis sa création- et les ravaler au rang de simple hébergeur et exploitant.
Pour toutes ces raisons, les employés du CNI sont entrés dans une forme de résistance et de grève du zèle que le ministre a voulu casser par la force.
En effet, Anouar Maârouf a demandé à M. Bouhoula de sanctionner les meneurs de ce mouvement. Ce que le DG a refusé de faire, notamment pour ne pas compromettre la tenue des élections municipales dans la réussite desquelles le CNI a joué un rôle clef qui lui a valu les félicitations de l’ISIE.
Il y avait, enfin, un problème de sécurité de la base de données de l’état civil (Madania), mais par la démonstration faite en présence du chef du gouvernement, le DG et l’équipe du CNI ont prouvé qu’ils sont capables de le maîtriser.
Maârouf n’a pas répondu aux accusations…
Mais si M. Maârouf a laissé des plumes dans la confrontation avec Samia Abbou, ce n’est pas seulement parce que celle-ci a démontré le caractère fallacieux de l’accusation d’échec que le ministre a cherché à faire coller à M. Bouhoula, mais aussi –surtout ?- parce qu’il n’a pas répondu à au moins deux graves accusations que la députée lui a lancées.
D’abord, le harcèlement auquel il soumet l’ancien DG du CNI. Il l’a en effet empêché d’effectuer une mission au Cameroun qui ne devait rien coûter au ministère et de surcroît pendant les vacances –ce que le ministre n’a pas démenti.
Le vrai ministre c’est Bouhoula…
Ensuite, deuxième reproche de Mme Abbou, le ministre s’est opposé au développement d’une application par le CNI préférant l’acheter à l’étranger par ces temps de vaches maigres que connaît le pays. Là aussi, pas de réponse du ministre. Ce qui a fait dire à Mme Abbou que c’est l’ancien directeur général du CNI qui a agi en ministre –c’est-à-dire quelqu’un soucieux des intérêts du pays- dans cette affaire.
Le ministre saura-t-il tirer les leçons qu’il faut de cet épisode ? Espérons-le pour lui et, surtout, pour le pays. S’il en a le temps et l’occasion. Car –et cela n’a rien d’étonnant-, Anouar Maârouf fait l’objet aujourd’hui d’une pétition de députés de l’ARP demandant son limogeage.