Après des années de vaches maigres en matière de croissance économique, la Tunisie entre actuellement dans une nouvelle phase de son développement où elle se tourne vers un modèle économique basé sur l’exportation au lieu d’un modèle fondé sur la consommation intérieure. L’économiste et président de l’Association tunisienne de gouvernance (ATG), Moez Joudi, qui plaide pour une approche sociale-libérale, insiste, dans une interview accordée, à l’agence TAP, sur l’activation des moteurs de la croissance qui sont l’investissement, la consommation et le commerce extérieur.
Quelles doivent être les grandes lignes à adopter par la Tunisie en cette nouvelle phase de développement auquel elle aspire, surtout après le remaniement ministériel qui a touché dix portefeuilles économiques ?
La croissance économique ne se décrète pas par une baguette magique ! Il faut des efforts et un travail de fond afin d’activer les moteurs de la croissance qui sont l’investissement, la consommation et le commerce extérieur. Ces moteurs nécessitent à leur tour des révisions et des interventions techniques pour qu’ils carburent à nouveau.
Concernant l’investissement, nous ne pouvons que saluer les efforts du gouvernement en matière d’assainissement et de développement du climat des affaires.
La nouvelle loi sur l’investissement, les différentes mesures incitatives, les forums de l’investissement et des partenariats, les commissions mixtes, les déplacements extérieurs officiels, l’allègement des procédures et des formalités…sont autant d’outils et de mécanismes visant l’amélioration du cadre légal et pratique pour une meilleure attractivité de la Tunisie et un développement de l’investissement.
Cela dit, beaucoup reste à faire en matière d’infrastructure, de lutte contre l’économie parallèle, de réforme fiscale, de lourdeur administrative et de stabilité politique et sociale. Concernant les moteurs de la consommation et du commerce extérieur, c’est là où le bât blesse !
L’inflation galopante impacte le pouvoir d’achat des Tunisiens (7,6% de taux d’inflation prévu par la BCT pour le dernier trimestre 2018) et le déficit commercial qui a atteint les 16 milliards de dinars à fin octobre 2018 (15,985 milliards de dinars exactement) altère le commerce extérieur et plombe la balance des paiements.
Le dernier remaniement doit aboutir à une nouvelle feuille de route pour le gouvernement incluant entre autres la nécessité de booster l’investissement, améliorer le pouvoir d’achat des Tunisiens et réduire le déficit commercial, ça devient vraiment urgent et alarmant !
Faut-il se réjouir de la volonté du gouvernement de faire évoluer son économie vers un modèle plus “harmonieux” ?
Oui ! Il est pertinent pour le gouvernement de tracer une vision et d’adopter un plan d’action stratégique en matière économique. La navigation à vue est à bannir !
Ce faisant, il faut s’inscrire dans le cadre d’un modèle de développement économique qui doit prendre en considération les spécificités locales et les évolutions à l’échelle internationale. Il est important donc de travailler sur la cohérence et l’harmonie de ce nouveau modèle pour qu’il puisse coller à la réalité et réussir.
Ainsi, les aspects sociaux et inclusifs deviennent essentiels dans un modèle qui se veut juste et durable.
Dans ce même ordre d’idées, je suis pour une approche sociale-libérale.
Autrement dit, un modèle de développement qui libère l’investissement, l’initiative privée et la création de richesses, tout en assurant une équité fiscale et une répartition judicieuse des richesses créées.
Dans la pratique et à travers le monde, c’est bien ce modèle qui a le plus réussi et qui a garantit la prospérité de nombre de nations.
Quelles conséquences du passage d’un modèle de croissance fondé sur la consommation intérieure vers une économie centrée sur les exportations ?
C’est bien ce qu’il faut ! Les exportations et le commerce extérieur sont des axes majeurs dans tout modèle de développement économique performant. Avec le cumul actuel des déficits et la chute des cours de change du dinar tunisien, il devient prioritaire de se concentrer sur les exportations et leur fournir les conditions favorables à leur essor.
Et il ne faut surtout pas se suffire de la dépréciation du dinar pour espérer une augmentation du volume des exportations, il est important, aussi, de travailler sur la compétitivité et les questions logistiques qui impactent le commerce extérieur et conditionnent son développement.
Le port de Radès est ainsi la clé de voûte dans cette équation. Il devient urgent de résoudre les problèmes récurrents de ce port qui est considéré comme le poumon de l’économie nationale. Je suis clairement pour une privatisation des services et des activités d’aconage et de manutention. L’Etat qui gère encore les ” dockers ” des ports, c’est vraiment révolu et contreproductif !
La productivité doit s’améliorer aussi dans les entreprises tunisiennes et un nouveau contrat social doit voir le jour avec un engagement mutuel entre l’entreprise et le salarié en termes d’optimisation du rendement et une amélioration conséquente des conditions de travail.
Quels sont les mécanismes et les réformes à mettre en oeuvre pour traverser sans encombre cette phase de transition ?
Quand la volonté politique est là, tout peut évoluer ! Aujourd’hui, ce qui entrave l’économie nationale, c’est l’instabilité politique et les conflits permanents qui enveniment le climat des affaires.
Il faut séparer le politique de l’économique et avancer sur les réformes et les mesures correctrices. Cinq réformes sont essentielles : la réforme fiscale, la réforme de la fonction publique, la réforme des entreprises publiques, la réforme de la caisse de compensation et celle des caisses sociales.
Il faut absolument achever ces réformes, ce sont les principaux outils et mécanismes devant assurer la réussite de cette transition afin de stopper l’hémorragie des déficits, relancer la confiance et donner plus d’efficience aux rôles de l’Etat dans l’économie nationale.
Comment les principaux partenaires économiques de la Tunisie s’adapteront-ils à cette nouvelle donne? Quelles opportunités cette transition offre-t-elle aux entreprises étrangères installées en Tunisie ?
La confiance est la clé de voûte en matière économique ! S’il n’y a pas de confiance, il ne peut y avoir ni investissement, ni croissance ni développement.
Les entreprises étrangères ont besoin surtout de confiance laquelle ne peut venir que de la stabilité politique et sécuritaire ainsi que de la volonté des gouvernants du pays et leur capacité à faire prévaloir la loi.
La primauté de la loi est la meilleure opportunité à offrir aux entreprises et aux investisseurs extérieurs en plus de la stabilité politique et sécuritaire.
Singapour a bâti la performance de son économie sur la transparence et la bonne gouvernance. Dans ce petit pays qui a la superficie de Djerba mais qui affiche un PIB huit fois supérieur à celui de la Tunisie, la loi est appliquée sur tout le monde sans exception, ce qui rassure l’investisseur et le motive dans ses projets de développement. Une Tunisie juste, transparente et efficiente ne peut être qu’une Tunisie positive tournée vers le progrès et la prospérité !