Elle est née Capitale. Singulier destin. Trajectoire historique majestueuse. Elle était l’empreinte et la matrice d’un projet de civilisation dans un Maghreb à islamiser. En 2009, c’est tout le monde Islamique qui la réintronise, et qui la regarde comme sa ville phare, une dauphine des saintes mosquées et d’Al Qods. L’aura de Kairouan est au zénith, lors de la célébration du Mouled. Elle est le couvoir de la convivialité musulmane.
C’est, à n’en pas douter, une ville bien née. De bonne extraction, Kairouan a su tenir son rang à travers les âges, avec la dignité qu’on lui connaît. Altière, les revers de l’Histoire n’ont pu l’atteindre. Attachée à ses repères de piété et à la lumière de l’enseignement des connaissances, son rayonnement n’a jamais décliné malgré les éclipses imposées par l’Histoire. Et régulièrement, Kairouan, à l’occasion du Mouled, nous rappelle à la composante festive et conviviale du courant sunnite.
Un scénario de pure tradition prophétique
En l’année 666 de notre ère, de son bras «bien guidé», Okba Ibn Naffi, ayant achevé ses repérages sur un site à l’environnement pourtant peu hospitalier, planta sa lance dans le sol, d’une main résolue. A l’endroit précis, ses troupes creusèrent et l’eau jaillit. Ce geste miraculé, de pure tradition prophétique, fut le premier coup de pioche donné par l’illustre fondateur. C’est ce qui décida du lieu de «Karr Awan», un bivouac militaire de circonstance.
Celui-ci a été dicté par l’hostilité des armées de Byzance et des hordes berbères de la Kahéna. Les unes et les autres, bien décidées à barrer la route à Okba, voulaient mettre en échec son entreprise d’islamisation du Maghreb. C’était sans compter le génie guerrier de ce chef charismatique rompu aux techniques du combat. L’emplacement du camp militaire était d’inspiration tactique. En l’état, il faisait de sorte que les troupes byzantines qui arrivaient par la mer se relâchaient en cours de trajet et arrivaient au front en ordre dispersé. Prêtant le flanc, elles étaient donc vulnérables et se laissaient transpercer jusqu’à la reddition.
Dans le même temps, il imposait une guerre de position en face du repaire montagneux des combattants berbères. Ces derniers étaient formés à la guerre par le roulement des assauts intermittents coupés de replis tactiques rapides selon la redoutable technique du désert dénommée «El karr wal Farr». Okba parvint à venir à bout de l’ardeur d’El Kahéna jusqu’à la capitulation.
Capitale à la naissance, La «Médine» du Maghreb
L’épisode militaire ne s’éternisa point. Les troupes d’Okba ont triomphé de la coalition des résistances berbères et byzantines. «L’oasis victorieuse» jaillit du sol en 670 à peine s’est-elle mise debout qu’elle fut déclarée “Capitale des vaillants Aghlabides“.
En dépit du programme d’islamisation du Maghreb, Kairouan échappa à une vocation de base guerrière.
Okba Ibn Naffi, compagnon du Prophète, à l’instar du Messager de Dieu, voyait cette épopée comme son hégire à lui, et il concevait Kairouan comme la Médine du Maghreb, une ville phare, une cité vitrine du génie de la civilisation arabo-musulmane.
Au final, Kairouan ne possède ni caserne ni Kasbah, tout juste un rempart. D’ailleurs, ce rempart fut détruit et reconstitué plusieurs fois au gré des agressions militaires répétées. Toutes n’ont en rien affecté la ville qui est toujours debout, intacte et plus belle que jamais et qui fait de son enceinte de piété sa véritable bulle de sécurité. Son blindage spirituel l’a prémunie contre toutes les atteintes du temps.
Il faut rappeler que Kairouan a été initiée en même temps que Koufa, Foustat et Bassorah. Force est de constater que Kairouan a su se donner des atours de majesté à nuls autres pareils. Kairouan a d’abord été une métropole de culte et d’enseignement des connaissances.
Une Médina féerique
L’édifice majeur à Kairouan est sa majestueuse mosquée, édifice prestigieux, qui fit de la ville le quatrième lieu saint de l’Islam. Cette mosquée contient une salle de prière de dimensions imposantes (70 mètres sur 40). Elle compte dix-sept nefs structurées par des rangées de colonnes du plus beau marbre prélevées sur les vestiges de Carthage et de Sousse.
La nef centrale se termine par le Mihrab, un joyau de décoration céramique orné de calligraphies somptueuses. Le minaret haut de 35 mètres de forme carrée selon le rite sunnite est structuré en trois étages surmontés d’un dôme imposant. Le plan de masse est légèrement décliné de sorte à recueillir les eaux de pluies si rares dans des citernes sous-terraines afin de pourvoir aux besoins des fidèles pour leurs ablutions.
Autre monument célébrissime, la mosquée d’Abou Zoummaat El Balaoui, compagnon du Prophète dit “Le barbier“ -qui avait constamment sur lui trois poils de la barbe du prophète, ce qui lui a valu son surnom.
La médina est incrustée de trois cents autres mosquées et mihrabs (mosquée sans minaret). Cela fait que le Kairouanais peut accomplir ses prières chaque jour de l’année en un lieu différent.
Ces sites ne sont pas que lieu de culte mais aussi d’enseignement du savoir. Kairouan a donné naissance à d’illustres figures savantes, tels Assad Ibn Al Furat et Imam Sahnoun, grands juristes théologiens, ainsi qu’à Ibn Al Jazzar, médecin de renom.
La Médina de Kairouan est une superbe mosaïque d’échoppes et de métiers qui entretiennent des pratiques professionnelles traditionnelles avec respect et jalousie.
Kairouan, carrefour marchand, est une zone de prospérité économique et manufacturière. Le point de Kairouan pour le tapis de sol est célèbre de par le monde et le tapis kairouanais rivalise avec celui de Boukhara ou Tachkent.
L’apogée
Les Aghlabides au temps de la splendeur et de la gloire de leur règne eurent la merveilleuse idée de donner à la ville une extension urbanistique. Kairouan s’est ainsi prolongée par de nombreuses coquettes agglomérations dont Rakkada, où Ibrahim II au Xème siècle élit résidence. Son château est une splendeur architecturale. Il l’a voulu à l’image de Taief, station balnéaire de la Mer rouge et lieu de retraite des Califes abbassides.
La dissidence
Kairouan, même quand elle a perdu son rôle de prima donna après la scission des Fatimides, n’a pas connu à proprement parler une décadence. Elle sut se préserver des retours de l’Histoire. D’ailleurs, elle éloigna les Fatimides vers une ville du littoral, Mahdia, laquelle eut sa période de gloire. Et une fois qu’ils seront éloignés, ils porteront en eux le sens de l’urbanité kairouanaise et ont fondé cette cité célèbre du Caire.
La ville éternelle
Cette ville a poussé par défi et s’est maintenue, treize siècles durant, comme un challenge de l’histoire de l’aire maghrébine où elle a transposé ses empreintes à Fez au Maroc, avec la mosquée des Karaouyines. Ses traces remonteraient jusqu’en Andalousie à Cordoue (Espagne). Kairouan est inscrite au patrimoine universel de l’UNESCO. Ses admirateurs spéculent en permanence sur l’éventuel impact de Kairouan sur l’imaginaire d’Al Farabi, auteur de la «Cité Idéale».
Cette lecture capricieuse de l’histoire donne de l’aplomb à l’épopée d’Okba.
La joie de vivre et le bonheur d’exister
Périodiquement, Kairouan revient au-devant de la scène musulmane à l’échelle internationale. Ce fut le cas en 2009, quand elle a été élue “capitale culturelle du monde musulman“. Cependant, elle est régulièrement restée comme zone de confluence festive du monde musulman à l’occasion du Mouled. Il faut déguster cette foison de délices de la pâtisserie. C’est une reproduction à grande échelle de “Chef pâtissier“, cette émission fétiche de concours de pâtissiers.
Kairouan est également haut lieu du bon goût et des plaisirs de la table. Les plaisirs de la terre sont un cadeau du ciel, ne nous en privons pas. Des délégations internationales y affluent régulièrement partageant l’engouement collectif de faire la fête et du vivre ensemble. Le sunnisme y est célébré comme le bonheur d’exister. Il faut le voir pour le croire, car le faste que la ville déploie à cette occasion rehausse l’aura de cette métropole qui s’emploie, depuis 14 siècles, à entretenir l’hymne à la joie de vivre.