Ce fut une rencontre strictement technique. Les places bancaires des cinq pays partagent cette volonté commune de se mettre à niveau au plan technologique et de développer la profession. Le marché bancaire maghrébin reste, toutefois, cloisonné.
Ils ont fait vite, les cinq gouverneurs des Banques centrales des pays du Maghreb. Ce faisant, ils envoient un message rassurant. Les priorités et urgences du secteur bancaire sont prises en mains. Il leur a suffi de la seule matinée du samedi 17 courant pour parvenir à s’accorder sur un plan commun. Et ce, même si les travaux préparatifs pour ce Sommet ont démarré en marge des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale tenues le 13 octobre à Bali en Indonésie.
Un secrétariat général permanent
L’accord de ce samedi comprend quatre résolutions. Elles sont soit d’ordre technique, soit d’ordre professionnel. Mais point de démarche d’intégration économique. Celle-ci attendra. Chaque pays agira de son côté. C’est toujours bon à prendre.
S’étant tourné le dos pendant dix ans, les voilà qui rallument la flamme. En se rendant au sommet de Tunis, ils se rendent à l’évidence d’agir ensemble dans le but d’émanciper le secteur bancaire.
Dans la même foulée, ils valident, également, l’idée que le financement bancaire est la clé de la dynamique des économies des cinq pays. Il faut convenir qu’une Banque centrale, c’est la charpente de l’économie dans un pays.
Durant les années de braise, la Banque centrale de Libye a réussi le miracle de continuer à fonctionner. Ainsi, elle a préservé la signature du pays et empêché que le secteur organisé soit englouti par le secteur informel, particulièrement virulent en Libye.
On a le sentiment qu’avec le Sommet de Tunis, ils ont pris un rendez-vous avec l’histoire et un engagement ferme pour l’avenir. Cela semble être une option… sans retour.
En effet, le “Club des Cinq“ major Bankers s’est doté d’un Secrétariat général. Sa présidence a été confiée à Marouane El Abassi, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Sont-ils à l’allure dictée par la vitesse de la marche du siècle ? Ils reconnaissent, de ce point de vue, privilégier le tempo du dromadaire. Celui-ci, pour avancer, commence par poser un pied et s’assure d’abord que le sol est ferme avant de poser son autre pied. C’est prudent, assurément.
Ils sont réalistes, disent-ils, évitant la précipitation. En chœur ils disent qu’il leur faut d’abord repartir du bon pied. Mais pour l’heure, chacun travaille de son côté avec l’engagement, toutefois, d’entretenir une concertation régulière et permanente. C’est tout juste si ça tient la route. Attendons pour voir.
Des résolutions utiles et urgentes, nécessaires mais pas suffisantes
Rattraper le retard et remonter le gap technologique est une priorité indiscutable pour les cinq places financières maghrébines. Cela procède du bon sens, mais également de l’immunité concurrentielle. Tout retard expose à la relégation et au déclassement face aux banques internationales, qui guettent.
Les entreprises maghrébines ont droit à des prestations de premier plan face aux compétiteurs internationaux, et les prestations bancaires règlent l’issue de cette compétition.
De ce point de vue, la mise à niveau des systèmes d’information des banques maghrébines est une urgence. Et c’est l’une des plus grandes priorités du moment.
On peut affirmer que ce chantier décidera de l’avenir de la profession et de la performance des entreprises de la région. Et le partage d’expériences en la matière sera, de toute façon, de grande utilité. Il y a aussi l’inclusion bancaire. Il est vrai que l’accès au financement bancaire et par-delà à l’ensemble des prestations des banques dont la fonction d’épargne doit devenir accessible à la grande majorité des citoyens du Maghreb. C’est une mesure de démocratie économique et il faut y souscrire.
Encore une fois, l’échange d’expériences en la matière est tout à fait recommandé. Faire obstacle au blanchiment d’argent et tarir le financement du terrorisme est une absolue nécessité. Ces résolutions ont été adoptées sans réserve.
A côté on se soucie de l’encadrement de la crypto-monnaie, cela va de soi. Le Bitcoin prend des proportions importantes et son contrôle ainsi que sa supervision deviennent nécessaires.
Donner sa chance à la finance islamique répond à un appel de la part d’une partie des opérateurs de la région. Il faut y satisfaire. Sans compter que cela ouvre la voie à l’émission d’emprunts en sukuk, qui est un affluent de financement qu’il convient d’intégrer sur les différentes places du Maghreb. Cela n’aura pas de répercussions importantes sur les économies de la région, car les statistiques mondiales soutiennent que la part de la finance islamique dans la finance mondiale est d’environ 2%, ce qui est quasiment résiduel. Les cinq veulent aller dans l’air du temps, il faut faire avec.
La priorité aux banques domestiques
Le souci d’efficacité commercial est bien légitime. Quand les gouverneurs des Banques centrales assurent que les opérateurs locaux ont droit au meilleur du système bancaire, ils abondent dans le sens de la performance économique. Il est absolument nécessaire de garantir un marché bancaire concurrentiel. Cela se ressentira à un double niveau. Celui de la qualité des prestations. Et celui de la compétitivité des marges des banques. C’est le ferment de la performance économique, cela ne fait pas de doute.
Par ailleurs, il faut aussi garantir la mobilité bancaire aux entreprises maghrébines. Elles doivent pouvoir migrer d’une banque à l’autre à leur convenance et en fonction de leurs soucis de financement et d’exigence de qualité et de réactivité. Bien vu! C’est assurément une résolution communément partagée, et c’est de bon augure pour le développement de la profession bancaire.
D’un autre côté, les patrons des Banques centrales maghrébines s’engagent à préserver le marché maghrébin contre l’appétit des banques internationales. Celles-ci seront les bienvenues pour des prises de participation dans les banques domestiques. C’est, disent-ils, un facteur de compétitivité. Mais en cas de prise de contrôle, il leur faudra apporter la preuve d’un apport décisif pour la place.
Pareil pour l’implantation de banques internationales, sous leur enseigne propre. L’opération devra se soumettre à la même condition. Ce ne sont là, préviennent-ils, que les usages de réciprocité. A ne pas confondre avec une attitude de protectionnisme.
Un embryon de Maghreb plutôt qu’un non-Maghreb
On a pris l’habitude de se suffire du peu, dans le cas de l’intégration maghrébine. Il reste qu’en l’occurrence on en est à une démarche minimaliste. Les cinq banquiers centraux disent qu’elle est d’abord réaliste. Nous leur laissons la responsabilité de leurs propos.
Leur plan a été muet sur la conformité aux conditions de Bâle. Comment avoir des banques au service de la performance des entreprises si elles ne se conforment pas au référentiel de Bâle, qui est en progression permanente ? Et cela a été occulté.
Dans les circonstances actuelles qui prévalent au Maghreb, lutter contre le blanchiment sans se soucier de l’amnistie de change pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, c’est une lacune. Les ressources colossales de l’informel doivent être intégrées au secteur organisé. C’est un apport précieux de réserves de change. Outre que c’est un moyen important pour mettre l’informel sous contrôle national et réduire le financement du terrorisme.
Le Sommet des Banques centrales du Maghreb est intervenu le lendemain du sommet des Banques centrales de certains pays des deux rives de la Méditerranée qui s’est focalisé sur le développement du commerce entre les deux rives de la Méditerranée. On aurait souhaité que la relance des échanges commerciaux maghrébins soit abordée et réglée. Or pour relancer le commerce, il faut régler certains préalables monétaires. Et, notamment la question du change.
Le Maroc a stoppé les échanges avec la Tunisie pour raison de dumping de change. De notre point de vue, la question d’un système monétaire maghrébin est fondamentale. La stabilité des monnaies est primordiale. Et cela s’obtient avec un système de change concerté. Et cela doit évoluer vers l’émergence d’une unité de compte maghrébine.
La raison veut que l’on ait la responsabilité de sa politique, mais l’urgence historique exige que l’on se donne les moyens de ses ambitions. Le Sommet a un goût d’inachevé.
D’un côté, il confine les Banques centrales dans un rôle de souffleur d’idées. Les cinq conviennent que leur indépendance est une indépendance de suggestion de réformes.
Dans la même foulée, ils éludent leur fonction principale qui est de défendre la valeur de leurs monnaies respectives. Et aucune résolution n’a été évoquée en la matière, pourtant il y a du travail à faire.
Le Sommer se veut comme une première étape sur la voie de la convergence puis de l’intégration. Nous devons à l’honnêteté de dire que cela ne fera pas avancer de manière significative l’intégration des économies maghrébines. Encore une fois, il faudra se contenter du minimum syndical. Avec un relent de déconvenue, on se dit que c’est toujours bon à prendre.