«La partie tunisienne est prête à finaliser les accords de ciel ouvert (open sky)». C’est ce qu’a déclaré le chef du gouvernement, Youssef Chahed, à l’occasion de la visite en Tunisie du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, les 26 et 27 octobre 2018.
Mais ce propos du chef du gouvernement a surpris plus d’un professionnel du secteur du tourisme en Tunisie, en ce sens où il va à l’encontre des intérêts tunisiens bien identifiés et bien compris dans le cadre de cette convention sur l’Open sky paraphée le 11 décembre 2017 entre l’Union européenne et la Tunisie.
En vertu de cette convention, la Tunisie va ouvrir, dans le cadre de la déréglementation aérienne internationale, son ciel aux compagnies aériennes étrangères. Le pavillon tunisien, Tunisair, bien qu’il en soit exempté pour une période 5 ans après la mise en application de cet accord, craint l’Open sky.
Le principe est simple : Tunisair ne peut pas accepter, selon ses responsables, d’intégrer un monde concurrentiel avec des armes de loin inférieures à celles de compagnies concurrentes qui ont d’énormes possibilités.
Tunisair peut adhérer à l’Open Sky sous certaines conditions
Le PDG de la compagnie nationale, Ilyès Mnakbi, reste toutefois plus nuancé sur ce sujet. Dans une interview accordée au magazine L’Economiste maghrébin, il estime que Tunisair «ne craint pas outre mesure l’Open Sky pour peu que l’Union européenne accepte de nous mettre à niveau comme elle l’a fait, en 1995, pour les industries manufacturières tunisiennes lors de la conclusion de l’Accord de libre-échange pour les produits manufacturés».
En clair, elle demande à l’Union européenne de lui permettre de se mettre à niveau, moyennant une enveloppe de 1,4 milliard de dinars ; montant qui sera utilisé pour mener trois réformes.
La première réforme consiste à se délester de l’effectif pléthorique de la compagnie (265 personnes par avion contre une norme internationale de 160), et ce en libérant et en indemnisant 1.400 employés excédentaires.
La deuxième action vise à moderniser tout le matériel du handling (logistique aéroportuaire).
La troisième consisterait à renouveler la flotte vieillissante de la compagnie aérienne nationale, Tunisair (la moyenne d’âge de ses avions est estimée à 16 ans et demi).
La Tunisie est-elle préparée pour l’Open sky ?
Par-delà les craintes du transporteur national et des conditions qu’il pose pour accepter l’Open sky, et abstraction faite des prévisions optimistes de la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV) laquelle prévoit une croissance de deux points par l’effet de cette ouverture du ciel, certains professionnels du pays évoquent trois bonnes raison pour ne pas accepter l’Open sky.
En premier lieu, objectivement parlant, la Tunisie n’a vraiment pas besoin de l’ouverture de son ciel en ce sens où ce ciel est déjà largement ouvert. Pour preuve, les compagnies aériennes tunisiennes, y compris le transporteur national Tunisair, à défaut de moyens financiers et logistiques conséquents, ne sont jamais parvenues à exploiter totalement les 50% de part du marché qui leur revenait de droit. Elles sont actuellement à hauteur de 35%, laissant les 65% (15% + 50%) de part du marché aux pavillons étrangers.
En second lieu, dans leur intérêt, les compagnies tunisiennes, confrontées constamment à un problème de remplissage de sièges (70% seulement) auraient dû penser plus à remédier à cette lacune qu’à ouvrir le ciel à des concurrents plus puissants financièrement, mieux nantis et mieux équipés pour occuper le terrain et imposer des prix compétitifs.
En troisième lieu, les risques que fait courir l’Open sky à certains corps de métier, à l’instar des agences de voyage, notamment celles qui travaillent dans le domaine de la billetterie. Celles-ci pourraient être sérieusement gênées par ce mécanisme, sachant que les compagnies low cost travaillent sans passer par les agences. Pour ne citer qu’un chiffre: 90% des activités de ces compagnies sont effectuées à travers internet et 10% via les centres d’appels.
Cela pour dire que les compagnies tunisiennes, déjà handicapées par des coûts de production élevés et par des personnels pléthoriques, notamment pour national Tunisair, risquent de pâtir de cette concurrence.
Silence, on négocie pour vous
La question qui se pose dès lors est de se demander sur les motifs qui ont amené le chef du gouvernement, Youssef Chahed, à déclarer que la Tunisie est fin prête pour l’Open sky, alors que cela ne semble être le cas.
Certains vont jusqu’à soupçonner des négociations secrètes entre Chahed et la Commission européenne sur le dos des forces politiques et économiques du pays. Silence, on négocie pour vous.
Si ce scénario se vérifiait, il viendrait confirmer une récente déclaration du porte-parole de la centrale syndicale (UGTT), Sami Taheri, qui, sans être affirmatif, avait souligné que «Youssef Chahed est en train de négocier, seul, avec les Européens, sans concertation aucune, l’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA)».
Espérons que ce n’est pas le cas car les enjeux de cet accord sont énormes pour le pays.