La scène politique tunisienne ressemble, ces jours-ci, à un scénario d’un film Western qui aurait pour titre «Bajbouj tire sur tout ce qui bouge». Dans ce film, le héros trahi par ses alliés et abandonné par les siens parvient dans un effort prométhéen et au moment où tout le monde le croyait fini, à retourner non seulement la situation en sa faveur mais surtout à se venger des traîtres de la pire manière.
Le héros ici est bien évidemment le président de la République, Béji Caïd Essebsi (Bajbouj), tandis que ceux qu’il considérerait comme des “traîtres” sont Ennahdha (qui lui doit sa reconnaissance internationale en tant que parti islamique «démocrate») et son nouvel allié laïc, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, que Bajbouj a promu au sommet de la hiérarchie administrative alors qu’il était inconnu auparavant.
Retour sur un bras de fer meurtrier
Tout a commencé avec l’échec de l’accord de Carthage II, lorsque Ennahdha avait refusé d’adhérer au projet du chef de l’Etat de remplacer Youssef Chahed. Pis, le parti islamiste a été d’un cynisme inégalé. Il l’a carrément lâché pour tisser une nouvelle alliance avec le jeune chef du gouvernement.
Cette nouvelle coalition, adossée à une forte représentativité du parti Ennahdha à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et à un groupe parlementaire de dissidents nidaistes acquis au chef du gouvernement, est parvenue, en quelques mois, à obtenir quelques succès, dont l’obtention du dernier remaniement ministériel de la confiance du Parlement à une majorité confortable.
La riposte du vieux locataire de Carthage
Néanmoins, cette même coalition, grisée par ces quelques victoires, a occulté la roublardise et la capacité de nuisance du vieux locataire du palais de Carthage et surtout de la puissance des armes –politiques cela s’entend- dont il dispose constitutionnellement pour lui porter des coups douloureux, particulièrement, à Ennahdha.
Ces armes sont les prérogatives que lui accorde la Constitution en matière de diplomatie, de défense nationale, du droit de promulguer des lois et de convoquer des conseils des ministres pour les adopter. Il faut reconnaître que la chance a beaucoup joué en sa faveur.
Au plan diplomatique, deux moments forts méritent d’être retenus à l’avantage du président -blessé dans son orgueil.
Le premier consiste en l’adoption, au mois d’août 2018, du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE) et en l’écho favorable qu’a recueilli ce rapport à l’international. Depuis son adoption, le président Béji Caïd Essebsi est plébiscité, en dépit de son âge (92 ans) par les organisations internationales (ONU) et par les puissances occidentales, comme un chef laïc, moderniste et progressiste. Partout où il va en Occident, il est chouchouté et fortement apprécié.
Mention spéciale pour la France. Lors du 17ème sommet de la Francophonie qui s’est tenue en Arménie (11 octobre 2018), le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, a rendu, en ces termes, un vibrant hommage au chef de l’Etat tunisien : «Je voudrais ici souligner le courage du président Essebsi qui, alors que nous vivons la montée des obscurantismes et de celles et ceux qui voudraient enfermer tout un continent dans une lecture déformée d’une religion, s’est dressé avec courage, et a pris, encore ces dernières semaines, des textes fondamentaux pour le droit d’être libre, les droits des femmes, le droit dans le mariage, le droit dans l’héritage».
Le prince héritier saoudien au secours de BCE
Le deuxième moment est intervenu par hasard. Il s’agit de la visite que vient d’effectuer en Tunisie, le 27 novembre 2018, le Prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed Ben Salmane. Outre, la précieuse aide financière multiforme (dons, prêts…) qu’elle a apporté à la Tunisie en cette période de récession économique aiguë, cette visite revêt une dimension géostratégique en ce sens où elle vient équilibrer les relations de la Tunisie avec les pays du Golfe.
Fort de son amitié avec le prince héritier saoudien, le président BCE trouvera, dorénavant, au plan interne dans l’Arabie Saoudite, un puissant allié face à son ennemi juré, l’Etat de Qatar, qui soutient, depuis 2011, sa cinquième colonne en Tunisie, Ennahdha et dérivés.
Cela pour dire qu’il y a un changement géostratégique de première importance qui ne manquera pas d’impacter considérablement les résultats des prochaines élections générales.
Assassinats politiques : Ennahdha risque gros
L’autre dossier que BCE a utilisé, intelligemment, contre ses adversaires, celui des documents qui lui ont été fournis, sur un plateau, par le Comité de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, sur l’appareil secret des nahadhaouis et les soupçons sur les assassinats politiques de 2013.
BCE a non seulement convoqué une réunion du Conseil de sécurité nationale pour examiner cette question. Il en a profité pour recadrer Ennahdha et ses gourous et leur a rappelé que les menaces qu’ils ont proférés -propos menaçants du dirigeant nahdhaoui Abdelhamid Jelassi (28 novembre 2018) sur Shems FM– à son endroit à la veille de cette réunion ne resteront pas sans suite. Il y va, selon certains observateurs, de la survie politique d’Ennahdha.
Et pour lui damer le pion, BCE, toujours dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles, convoque une réunion du conseil des ministres et fait adopter la loi sur l’égalité en matière d’héritage. Compte tenu de la dimension progressiste de cette loi et de l’écho considérable qu’elle a pris à l’échelle internationale, cette loi révolutionnaire dans le monde islamique a toutes les chances d’être adoptée par le Parlement en dépit du veto qu’Ennahdha va brandir à son encontre.
Ainsi, Ennahdha, qui n’aura pas le poids requis pour perturber l’adoption de cette loi risque gros dans les deux cas : soit de l’adoption, soit de la non adoption de cette loi.
Si jamais le mouvement islamiste n’adopta pas cette loi, il perdra, définitivement, la sympathie dont il bénéficié depuis 2011 des chancelleries occidentales et leurs maisons mères. Au cas où il vote contre et ne réussit pas à empêcher l’adoption de cette loi, il perdra une grande partie de son filon électoral qui a tendance, du reste, à rétrécir comme une peau de chagrin. Ce filon serait passé de 1.400.000 en 2011, 1.000.000 en 2014 et à quelque 500.000 lors des dernières municipales.
Quant à Yousef Chahed, BCE lui a flanqué Slim Riahi lequel, avec cette histoire rocambolesque de complot, va le plomber et le marginaliser. Même les députés de la coalition qui le soutiennent actuellement, assoiffés de pouvoir et fidèles à leur penchant pour le nomadisme parlementaire et au retournement de vestes, risquent de le lâcher d’un moment à un autre.
Au final, nous pensons que BCE, blessé, est en train de renverser la vapeur en sa faveur au grand bonheur de ses fans qui n’ont jamais vu d’un bon œil sa compromission, durant quatre ans de son mandat, avec Ennahdha.
Ainsi, il a lui-même trahi son électorat et lui a fait perdre un temps précieux. Espérons que les prochaines élections générales donneront une “gifle démocratique” à tous.
Est-il besoin de rappeler qu’il y a eu beaucoup de Tunisiens qui ont été assassinés par des terroristes et que beaucoup de gens ont été appauvris par leur faute, sans distinction aucune.
A bon entendeur.