Prévue depuis 2011, la révision du code des hydrocarbures n’aura lieu que prochainement. C’est du moins ce qu’a fait savoir Mohamed Ali Khelil, directeur général stratégies au département (apparemment d’énergie) au ministère de l’industrie puisque le ministère de l’Energie et des Mines a été purement et simplement supprimé par le chef du gouvernement, Youssef Chahed pour présomptions de corruption.
Ce responsable a été autorisé à fournir cette information stratégique en marge d’une banale manifestation d’affaires, la huitième édition de la Journée tuniso-allemande de l’énergie (29 novembre 2018). Alors qu’au regard de l’importance d’une telle législation qui va régir un secteur capital comme l’énergie devait être, en principe, présentée par le ministre de l’Industrie en personne au cours d’une conférence de presse.
Pour cajoler l’ego des Tunisiens, ce responsable a indiqué qu’en partenariat avec la Banque mondiale, l’étude du nouveau code des hydrocarbures a été confiée à un bureau d’études américain.
Le plus important c’est la crédibilité du commanditaire
Ce responsable a omis que le plus important dans ce genre de dossier ce n’est pas la nationalité du bureau d’études, car la légistique (ensemble des méthodes et conventions de rédaction des textes normatifs) n’est aucunement l’apanage des Américains.
Le plus important par contre c’est la qualité de gouvernance du commanditaire de l’étude, ici, le gouvernement tunisien et des directives que ce dernier va donner au bureau d’études en question.
En plus clair encore, le plus important était non pas de connaître la nationalité de ce bureau d’études mais les orientations énergétiques sur la base desquelles va travailler ce cabinet.
A titre indicatif, nous serions fort intéressés de savoir si le gouvernement tunisien a demandé à ce bureau d’études de donner l’avantage aux énergies fossiles ou aux énergies renouvelables, si les avantages fiscaux et financiers à instituer seront dédiés à l’énergie fossile ou aux énergies vertes, si le nouveau code va prévoir un chapitre pour les ressources non conventionnelles dont le gaz de schiste…
L’essentiel c’est la migration vers les énergies propres
L’essentiel pour les Tunisiens est de savoir si les directives données sont conformes à la transition énergétique irréversible vers les énergies propres et à l’article 13 de la Constitution qui stipule que : «Les ressources naturelles appartiennent au peuple tunisien. L’État y exerce sa souveraineté en son nom. Les accords d’investissement relatifs à ces ressources sont soumis à la commission spéciale de l’Assemblée des représentants du peuple. Les conventions y afférentes sont soumises à l’approbation de l’Assemblée». Malheureusement, aucune de ces informations capitales n’a été fournie par ledit responsable.
Comble de la maladresse, Mohamed Ali Khelil a fait abstractions de tous ces éléments d’informations et a cru indispensable de nous informer que les représentants de ce bureau d’études américain effectueront une visite en Tunisie, la semaine prochaine, «en vue de présenter les bonnes pratiques et d’analyser les défaillances et les ambiguïtés du code des hydrocarbures actuel».
«Monsieur stratégies» au ministère de l’Industrie a omis que les carences du code actuel ont été identifiés par au moins trois audits crédibles.
Les défaillances du code actuel sont connues
Effectivement, trois prestigieuses institutions de contrôle de l’Etat se sont penchées sur les abus commis dans le secteur des hydrocarbures et ont publié des rapports forts instructifs sur ce sujet.
Le premier rapport a été établi au lendemain du soulèvement du 14 janvier 2011, par une institution révolutionnaire, en l’occurrence la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation du défunt Abdelfatah Amor.
Le second a été concocté et publié en 2012, par une institution républicaine, la Cour des comptes.
Le troisième est récent, il a été élaboré en 2015 à la demande du Fonds monétaire international, par la direction du Contrôle général des finances (CGF) en collaboration avec le Contrôle général des services publics (CGSP) et le Contrôle général des domaines de l’Etat et des affaires foncières (CGDEAF).
Ces trois rapports ont fait état de défaillances criminelles au quadruple plan de la gouvernance, de la négociation des contrats, de la production et de l’exportation, autant de facteurs que le code des hydrocarbures actuel devait en principe couvrir.
Au nombre de celles-ci figurent:
– l’absence, à tous les niveaux, de stratégies cohérentes pour le développement du secteur,
– l’absence de coordination entre les structures chargées de la gestion du secteur (Office des mines, direction générale de l’énergie, ETAP, STEG, STIR…),
– l’absence de répertoire des contrats et conventions conclues avec les opérateurs étrangers,
– l’absence d’un système d’information fiable accessible à tous et dissuadant toute manipulation mal intentionnée,
– l’absence de contrôle a posteriori.
Ces rapports ont également mis le doigt sur la faible capacité de négociation des acteurs publics évoluant dans le secteur.
La plupart des contrats conclus jusque-là ont profité aux opérateurs étrangers. L’ETAP, qui porte tantôt la casquette de partenaire, tantôt de représentant de l’Etat, ne participe bizarrement qu’aux gisements à faible rentabilité et à faible revenu. Et la liste des insuffisances énumérées par ses rapports est loin d’être finie.
In fine, au regard de la sinistre image dont jouit le secteur de l’énergie depuis le soulèvement du 14 janvier 2011 et de la campagne de 2015 «Winou El pétrole» (Où est le pétrole ?), nous estimons que le ministère de l’Industrie qui gère actuellement le département de l’Energie a intérêt à communiquer davantage sur l’étude de ce nouveau code qui va non seulement engager l’avenir du secteur énergétique pour une dizaine d’années au moins mais surtout réduire de manière significative la dépendance énergétique du pays de l’extérieur. Il y a va de notre souveraineté.