Alexandre Dumas disait : «En politique, mon cher, vous le savez comme moi, il n’y a pas d’hommes, mais des idées ; pas de sentiments, mais des intérêts. En politique, on ne tue pas un homme, on supprime un obstacle, voilà tout».

C’est peut-être cynique mais c’est aussi l’approche la mieux appropriée pour sortir de son marasme une économie en détresse face à un Etat inscrit aux abonnés absents et dont les politiques économiques n’ont pas eu un impact réel sur la réalité socioéconomiques du pays. Les jeunes dirigeants dénonçaient tout récemment le «fossé qui se creuse de plus en plus entre les discours publics d’encouragement à l’investissement et à l’entrepreneuriat et le quotidien vécu par eux”.

Qui peut le leur reprocher ? Le climat d’affaires dans notre pays est de plus en plus délétère et notre gouvernement parle beaucoup sans agir vraiment.

Quelle vision avons-nous mise en place pour transformer en cercle vertueux ce cercle vicieux dans lequel nous nous débattons depuis 2011 ?

L’UTICA aurait une vision et des propositions qui ont été soumises aux décideurs publics, mais elle se positionne avant tout en tant que syndicat soucieux de préserver les intérêts de ses adhérents.

Deuxième partie de l’entretien réalisé avec Hichem Elloumi, vice-président de l’UTICA.

 

WMC : Bien qu’ayant apprécié l’initiative du gouvernement visant à réduire les droits de douane et la TVA sur l’importation des panneaux photovoltaïques, vous revendiquez l’importation d’ascenseurs avec 0% de taxes de pays hors Union européenne. Ne pensez-vous que vous servez ainsi les intérêts des marchés turc et chinois, d’autant plus qu’en Tunisie, il y a des opérateurs qui assurent ?  

Hichem Elloumi: Il y a là deux axes. Les panneaux voltaïques -et je peux vous dire que les importer de Chine lorsque nous exigeons la qualité peut être très rentable, parce que contrairement à ce que l’on pense, en Chine, il y a des produits haut de gamme, c’est l’acheteur qui décide.

Pour ce qui est des ascenseurs, c’est la Chambre nationale qui a estimé qu’il n’y avait pas assez de concurrence sur le marché local et qu’il y a une situation de monopole.

Il est vrai par ailleurs qu’il faut protéger la production tunisienne mais il faut aussi qu’il y ait un bon rapport qualité/prix et que la concurrence joue. Les membres de la Chambre ont donc estimé qu’il fallait ouvrir un peu les vannes et faciliter l’importation d’autant plus qu’une bonne partie des ascenseurs installés en Tunisie viennent de l’extérieur y compris les grandes marques allemandes et européennes fabriquées en Chine.

D’ailleurs, les industriels tunisiens ont intérêt à acheter certains équipements en Chine parce qu’il y a des filières très performantes. Chinois ne veut pas dire mauvaise qualité, donc la qualité dépend plus de l’acheteur qui ne veut pas mettre le prix que du fournisseur.

Vous avez condamné l’article 34 à propos de la possibilité de rompre le secret professionnel en cas de litige ou d’infraction. Pourquoi ? 

Il s’agit de préserver les rapports de confiance entre un prestataire de service et son client.

Quand vous avez un conseiller fiscal, il est sollicité pour procéder aux vérifications nécessaires, analyser la gestion des rapports de son client avec le fisc et lui donner les moyens légaux de rectifier ses erreurs. Le contrôle fiscal sert à détecter les irrégularités.

Si nous faisons appel à un bureau d’études pour qu’il fasse un diagnostic sur notre démarche, c’est pour que cela reste confidentiel. C’est tout à fait comme nos relations avec un avocat, elles relèvent toujours du secret professionnel.

Vous avez également dénoncé la proposition pour la levée du secret professionnel par certains établissements publics dont l’INS. Pourquoi ?

Parce que tout simplement cela peut nuire à des entreprises dont des informations importantes seront à la portée de tout le monde. La transparence est une arme à double tranchant. Il y a des données qu’une entreprise ne peut se permettre de voir publiées sur la place publique pour moult raisons même par rapport à la facilité de leur accessibilité par la concurrence.

Qu’en est-il de l’exigence de fixer un seuil pour le cash en matière de transactions commerciales ? 

C’est notre proposition, et c’est pour lutter contre l’informel. L’usage du cash ne permet pas la traçabilité, donc la transparence des transactions commerciales, et est source de blanchiment d’argent et de financements occultes. Nous demandons expressément au gouvernement de faire aboutir l’initiative et de mettre fin au paiement en espèces des services de l’administration publique telle l’administration fiscale et la douane, et nous appelons à ce que le règlement soit effectué par des moyens de paiement autres que les billets de banque.

Vous pensez que vous pouvez ainsi juguler le phénomène de contrebande et l’accroissement de ceux qui opèrent dans l’économie informelle ?

Nous estimons comme tout le monde d’ailleurs qu’il faut mettre le paquet pour lutter contre la contrebande qui nourrit l’économie informelle sans parler des risques sécuritaires que le pays encourt à cause de sa propagation.

Concernant l’informel, nous appelons à faciliter son intégration dans le secteur formel, à travers plusieurs mesures parmi lesquelles figure l’interdiction du cash dans toutes les transactions comme dit précédemment puisque l’économie informelle ne passe pas par le secteur organisé et les structures bancaires.

Dans la nouvelle loi des finances, nous avons insisté sur la condition decashing y compris les devises, si l’Etat prouve sa volonté à combattre ce phénomène, nous pourrons y parvenir. Il y a des secteurs qui périssent à cause de l’informel. Celui du cuir et chaussures a péri et des usines sont devenues des entrepôts à Sfax. Les industriels menacent de remettre leurs patentes à l’UTICA parce que la volonté de combattre ce phénomène n’a jamais été réelle. Pour eux, c’est le seul moyen de pression. La friperie envahit tous les quartiers, et les chaussures usagées sont vendues à tous les coins de rue.

Mais il se trouve que parmi vos adhérents, il y en a qui font de l’économie informelle et on parle même de contrebandiers ! 

Si jamais ils existent, la loi doit être appliquée. Nous ne défendons pas les contrevenants. Tout ce que nous voulons est l’application stricte et simple de la loi. Les autorités ne font pas assez pour mettre fin à ce chaos et à cette loi du plus fort dans la rue, qui massacre les industries tunisiennes. Pire, le fait de vouloir limiter les importations serait le plus beau cadeau offert aux contrebandiers et à une économie informelle croissante, contrairement à celle formelle qui se bat pour se maintenir à flot.

50% de l’économie est dans l’informel, et nous voulons que les agents du fisc se mobilisent pour les non payeurs «structurels» et surtout pour le secteur informel. Il faut élargir le champ de la fiscalité et du contrôle fiscal, vers les secteurs qui ne paient rien du tout, et l’orienter vers l’ensemble des opérateurs et des patentés.

Le nouveau code de l’investissement n’a pas répondu aux attentes des opérateurs économiques nationaux et internationaux et pourtant vous avez participé à son élaboration. Pourquoi ?

Le nouveau code a réduit beaucoup d’avantages par rapport à l’investissement et nous pensons aujourd’hui qu’il faut le réajuster. Nous ne pouvons pas dire que c’est une loi pour le désinvestissement mais c’est une loi qui doit être revue et corrigée. Nous avions cru que cette loi allait stimuler le climat de l’investissement, mais ce qu’il en est en réalité est différent.

Nous avons un problème fondamental, celui de la longueur et de la complexité des textes de loi, rien que pour cela, ce code est décourageant.

Un nombre infini d’articles est fatiguant pour les investisseurs. J’ai envoyé le code à un confrère étranger, et au bout des 30 pages, «Je n’ai même pas besoin de lire, ce n’est pas sérieux, en Europe une loi sur l’investissement ne dépasse pas une page avec tout juste 5 articles».

Il faut réviser le cadre juridique sur les investissements, 417 articles c’est énorme et rébarbatif. Nous avons tout intérêt à le réduire et le synthétiser parce que voyez par vous-mêmes : presque plus de deux ans après sa parution, les résultats sont décevants.

Quels sont les projets structurants implantés, y-a-t-il de nouveaux constructeurs automobiles ? Pouvons-nous attirer Google, Facebook ou Boeing avec une telle loi ? Les lois sont faites pour avoir un impact sur la réalité et la changer, c’est là où nous réalisons leur efficience.

Avez-vous appelé à changer certains articles ?

Nous avons donné une contreproposition à propos de cette loi, et on l’a mis de côté et ils ont planché une année durant pour sortir une loi nulle. Alors que certaines décisions ne sont pas difficiles à prendre, telles la mise en place d’un régime d’amortissement dérogatoire supplémentaire pour soutenir les investissements productifs ou encore la réévaluation légale des immobilisations pour permettre aux entreprises de corriger la valeur de leurs actifs.

Nombreuses sont les mesures qui pourraient booster réellement l’investissement, encore faut-il aller dans le sens d’une simplification maximale des procédures et de plus de transparence.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali

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