Redevenu un président «normal», BCE peut encore revenir dans le jeu politique, retrouver une partie de ses moyens et un rôle qui semble aujourd’hui hors d’atteinte. Et pour le faire, il a le choix entre deux méthodes : consensuelle ou disruptive. Il semble avoir la seconde.
En Tunisie, il y a un avant et un après 12 novembre 2018. Ce jour-là, une page de la vie politique tunisienne a été tournée. Une configuration de la scène nationale s’est estampée et une autre s’est imposée, après le vote de confiance des députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) aux nouveaux ministres et secrétaires d’Etat nommés par Youssef Chahed. Vote qui s’est fait contre la volonté du président Béji Caïd Essebsi et de son parti, Nidaa Tounes.
Avant cette date, le chef du gouvernement, supposé, d’après la Constitution du 13 janvier 2014, être la plus importante et puissante des deux têtes de l’exécutif, avait été, tout comme son prédécesseur Habib Essid, rabaissé par le chef de l’Etat au rang de Premier ministre, c’est-à-dire de comparse dans le jeu institutionnel et politique. Après, le locataire de La Kasbah a repris les prérogatives qui lui reviennent de droit et s’est libéré de l’ombre tutélaire du «Vieux».
Dans cet après, l’hôte du Palais de Carthage n’aura plus, quoiqu’il veuille, dise ou fasse, le même pouvoir. Et il l’a lui-même admis, d’une certaine façon, lors de la conférence de presse du 8 novembre 2018.
Bien sûr, le président de la République n’a jamais admis avoir le pouvoir qu’il a fini par conquérir au fil des quatre ans écoulés et des manœuvres par lesquelles il a progressivement contourné la Constitution de 2014 pour sortir du cadre étroit qu’elle lui impose. Bien au contraire, pour mieux occulter le fait qu’il était devenu petit-à-petit un hyper président, il a continué –et continue à ce jour- à clamer haut et fort que ses prérogatives sont limitées.
Rares sont les acteurs et les observateurs politiques qui en doutent encore : désormais, BCE n’a plus la capacité de peser sur le jeu politique, du moins pas autant qu’il le pouvait il y a encore quelques mois. Du moins pas de manière agréée, comme avant les élections et au début de son mandat, par une large frange de la classe politique et de l’opinion publique.
BCE cesse d’être l’hyper président et (re)devient un président «normal». Avec une bonne partie de l’adhésion et du respect passés perdus.
Bien qu’affaibli, BCE pouvait encore revenir dans le jeu politique, retrouver une partie de ses moyens et un rôle qui semble aujourd’hui hors d’atteinte. Et pour le faire, il avait le choix entre deux méthodes : consensuelle ou disruptive.
Pour retrouver l’adhésion sinon de tous les Tunisiens, du moins d’une bonne partie d’entre eux, le chef de l’Etat doit se remettre en question, et renoncer à la vision, à la méthode et aux objectifs qui ont été les siens depuis son accession à la magistrature suprême. Les «qualités» de BCE II doivent absolument être aux antipodes de celles de BCE I. Le nouveau doit rompre complètement avec l’ancien et en gommer tous les défauts et travers.
La seconde manière pour retrouver –en fait imposer- un rôle et s’imposer consiste à recourir à la force. Et les développements des derniers jours et les initiatives prêtées au président –instrumentalisation de l’UGTT et du Comité de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi dans la guerre contre Youssef Chahed et Ennahdha- ou effectivement prises par lui –réactivation du dossier de la branche secrète d’Ennahdha et de l’assassinat de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi et sa remontée au Conseil national de sécurité- donnent à penser qu’il a choisi cette deuxième stratégie.
Que le président devenu «normal» malgré lui entend passer en force et prendre sa revanche à la fois sur Youssef Chahed et Ennahdha.
Moncef Mahroug