Les débats houleux qui ont eu lieu, ces derniers jours, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), à l’occasion de l’examen de la loi de finances 2019, ont prouvé que cette institution a dérivé de sa véritable mission, laquelle consiste à faire et à défaire la loi et à contrôler l’action du gouvernement.
Au regard de la nature lobbyiste des dispositions fiscales qui ont été adoptées, l’ARP est devenue une passerelle pour adopter des lois scélérates qui servent les intérêts de lobbys, en dépit d’une protestation de certains députés de l’opposition.
Le rapport de force est de loin en faveur du tandem Nidaa Tounès-Ennahdha, une coalition que le député Fayçal Tebbini a qualifiée d’alliance entre «contrebandiers et djihadistes».
Désormais, l’opposition ne peut rien
Cette impuissance de l’opposition et sa frustration de ne rien pouvoir faire contre cette mafia politico-financière a amené, lundi 10 décembre 2018, Zouheir Maghzaoui, député et secrétaire général du Mouvement du peuple» à jeter l’éponge. Il a déclaré que les députés de l’opposition sont, désormais, incapables de défendre les intérêts du peuple et son pouvoir d’achat, appelant les Tunisiens à se charger eux-mêmes de cette mission.
Maghzaoui impute la responsabilité de cet état de fait au ministre des Finances et au chef du gouvernement de servir les intérêts de groupes de pression et d’œuvrer à vendre carrément le pays.
Des députés, relais de lobbys
A l’origine de cet abattement, l’adoption de plusieurs dispositions fiscales litigieuses dont trois méritent qu’on s’y attarde.
Le premier concerne l’adoption d’un amendement proposé, à la dernière minute, par le ministre des Finances. En vertu de cet amendement, l’application de l’article portant imposition au taux de 35% sur les résultats des sociétés opérant dans la grande distribution, la concession automobile et la franchise sera reportée au 1er janvier 2020 alors qu’elle était initialement prévue pour le 1er janvier 2019.
Le député du Front populaire, Jilani Hammami, a fortement critiqué cet amendement et y a perçu non seulement une pression des groupes concernés mais également une démarche électoraliste à une année des élections générales de 2019.
Le deuxième concerne la réduction des doits de douane sur l’importation du beurre. Les députés de l’opposition y ont vu le fruit d’une manœuvre machiavélique du gouvernement et d’importateurs mafieux. Celle-ci a consisté à créer la crise dans la filière laitière pour provoquer une pénurie du beurre pour ensuite justifier son importation en devises.
Le troisième a trait à la réduction des droits de douane de 30% à 20% au profit des importateurs de panneaux photovoltaïques de Chine, une mesure qui ne manquera des répercussions sur les unités tunisiennes qui fabriquent ce type de panneaux.
Ceci dit, Hichem Elloumi assure dans une interview qu’il a récemment accordée à WMC, qu’importer les panneaux voltaïques de Chine coûte moins cher que de les fabriquer en Tunisie (Lire ici).
Pour les députés qui se sont opposés en commission et au cours de la séance plénière, cette mesure contredit l’engagement du gouvernement à réduire les sorties de devises du pays, à booster le produit tunisien et à le protéger contre la concurrence déloyale (dumping social et autres…).
Pour la députée Samia Abbou, des lobbies cherchant à servir leurs propres intérêts sont à l’origine de cet article.
Sabotage de l’industrie locale
Le gouvernement a justifié la décision d’abaisser les taxes douanières de 30 à 20% et de la TVA de 19 à 7% par le besoin d’installer 1.000 mégawatts d’énergie photovoltaïque.
Là aussi, la démarche est presque la même. Pour créer le besoin d’importation, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 ont traîné du pied avant d’adopter dans l’urgence la réglementation consacrant la libéralisation de l’investissement dans les énergies vertes et faire en sorte que les capacités proposées soient supérieures à celle de la production nationale.
Pourtant, le Plan solaire tunisien date de 2008 et dont une des composantes prévoit l’impératif pour les Tunisiens d’industrialiser les équipements de cette nouvelle industrie.
Pis, si vraiment la volonté politique était exprimée de manière claire pour développer cette industrie, le gouvernement aurait dû faire comme le Maroc, aujourd’hui un des grands champions du solaire en Afrique. Il s’agit de commencer par former les ressources humaines. Le Maroc a accordé l’intérêt requis à la formation de ressources humaines qualifiées pour accompagner le développement des énergies vertes dans le pays. Pour cela, le pays a mis en place trois instituts de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (IFMEREE) à Oujda, Tanger et Ouarzazate.
Les domaines de formation couverts sont : l’exploitation et la maintenance des parcs éoliens et la maintenance du matériel solaire thermique et photovoltaïque, la maintenance et l’exploitation de l’électricité solaire thermodynamique, l’efficacité énergétique, l’exploitation du gisement du biogaz et d’autres formations connexes.
En Tunisie on ne compte aucun institut de cette dimension.
Cela pour dire que la tendance du gouvernement à enliser le pays dans l’importation avec comme corollaire l’aggravation du déficit commercial et à décourager la production industrielle locale est plus qu’évidente. Le complot, c’est on ne peut plus clair. Espérons que le choix des Tunisiens lors des prochaines élections générales qui devaient avoir lieu en 2019 mettront fin à cette politique apatride et extranationale. Même si rien ne garantit que les prochains gouvernements fassent mieux que les précédents.
Wait and see.