Des lois à la carte pour amuser la galerie ou pour tout juste montrer à ceux que l’on considère comme une “populace” que l’on défend leurs intérêts, d’autres pour montrer aux magnats que nous sommes les plus forts sur la place et que nous pouvons protéger leurs intérêts à charge de revanche ! Mais où est le peuple, le vrai dans tout cela ? Nulle part !
A l’ARP, les députés, dans leur grande majorité, planchent sur leurs affaires beaucoup plus que sur celles de la nation. Il en est ainsi de la proposition de loi relative au report de la majoration de l’IS sur la grande distribution de 2019 à 2020. Un report qui n’impactera, d’ailleurs, nullement les finances de l’Etat. Contrairement à ce que tout le monde pensait, il s’agit de seulement 5 millions de dinars de moins que prévu. Parions que c’est de loin moins important que les pots-de-vin que l’on offre gracieusement à certains décideurs politiques à l’ARP ou ailleurs. La Chambre des Grandes surfaces à l’UTICA a d’ailleurs appelé à ce qu’à l’instar d’autres secteurs d’activités, on réduise l’IS sur la grande distribution à 13,5% à partir de 2020.
Ce qui s’est passé à l’ARP était donc une tempête dans un verre d’eau ! Qui en a profité en termes d’image ? Qui est le parti qui a tiré son épingle du jeu ? Ennahdha, à coup sûr, qui aurait, selon des témoins, menacé de faire tomber la loi des finances si cet article ne passait pas. Le ministre des Finances, quoique désapprouvant le report de la majoration, a pour sa part respecté la volonté de la majorité, mais en exigeant tout de même d’en exclure les franchises et les concessionnaires automobiles.
Il n’a pas reçu d’instructions de la part du chef de l’Exécutif comme l’aurait laissé penser les images passées à la télé mais recevait les messages des leaders de la majorité parlementaire qui négociaient pour faire adopter l’article de loi proposé en plénière et revu et corrigé à maintes reprises. Il l’a d’ailleurs spécifié dans son intervention en déclarant respecter la logique démocratique qui fait que le Parlement décide des lois, les vote et les adopte.
Il faut dire que le régime parlementaire tunisien est l’un des rares où nous avons la nette impression que le pouvoir exécutif est aux ordres du législatif sans autre forme de procès.
L’aberration du 1% du chiffre d’affaires à prélever aux institutions bancaires !
Mais il n’y a pas que l’article sur les grandes surfaces qui a soulevé un tollé ! Un autre encore plus absurde, celui de prélever 1% du chiffre d’affaires des institutions financières pour prétendument renflouer les caisses sociales. Conséquence immédiate de cette suggestion non réfléchie de l’opposition et adoptée par le reste des députés par méconnaissance, ignorance ou nonchalance : la chute du cours boursier dans les deux jours qui ont suivi.
Le pire dans cette proposition irréaliste, c’est que tant sur la forme que sur le fond, elle ne peut être concrétisée. Sur la forme, parce que l’écriture même de l’article de loi dénote des limites des connaissances juridiques et financières des rédacteurs qui n’ont pas spécifié de quel chiffre d’affaires (lire l’article de Walid Ben Salah) il s’agit.
Dans le fond, parce qu’il ne revient pas, comme l’a signifié l’APTBEF (Association professionnelle tunisienne des banques et établissements financiers), à certains opérateurs plus que d’autres de redresser les caisses sociales en grandes difficultés, mais il faut commencer par adopter le projet de loi mis sur la table de l’ARP et qui comprend un plan national pour la réforme structurelle et en profondeur de ces caisses. En fait, il ne s’agit pas de faire du surplace mais plutôt de procéder à des réformes structurelles.
Et pour terminer, cet article de loi, qui a fait chuter la Bourse de Tunis, ne devait pas passer car les présidents de blocs parlementaires en avaient auparavant discuté et avaient décidé de ne pas l’adopter. Pourtant, il a été voté ! Etaient-ils distraits ? Fatigués ? A voir ce qui se passe à l’ARP, nous avons l’impression d’avoir affaire, sauf notre respect pour les députés instruits, cultivés, patriotes et responsables, à des incultes parachutés dans un haut lieu de la législation et où l’avenir du pays se décide.
Dans le régime parlementaire made in Tunisia, loin de servir leurs électeurs et le pays, les députés s’acharnent systématiquement sur un gouvernement, issu pourtant d’une majorité, le menaçant à chaque fois, et parce qu’il est politiquement responsable devant eux, de le renverser, d’où un “exécutif otage“ de députés intéressés, vénaux et dont la ruse dépasse de loin l’intelligence.
L’article de loi du 1% fut fort heureusement renvoyé pour discussion à 2020. Une année pour les députés de le re-réfléchir et de prendre conscience de l’impact de pareille proposition. Dans l’attente, certains d’entre eux, poussant le cynisme jusqu’au bout, auraient reconnu avoir proposé cet article de loi tout juste pour satisfaire aux attentes du peuple qui oubliera toute la loi des finances suite à l’épisode de l’acteur syrien sorti tout nu dans une pièce théâtrale présentée à l’occasion des JCC.
Voilà où mène le populisme profond ! Au mépris d’un peuple qui n’a pas su choisir ses élus !
Les avocats se soulèvent contre la levée du secret professionnel
Un autre article de la loi des finances a suscité le courroux d’une profession hautement considérée en Tunisie. Il s’agit de l’article 34 qui impose la levée du secret professionnel en cas d’implication d’un acteur économique dans des malversations ou des transactions frauduleuses.
Pour les avocats dont le lobby est l’un des plus forts dans notre pays, il n’est pas question d’appliquer cet article. Il touche à la sacralité des relations avocats/clients et à la confiance qui doit les régenter. Un point de vue logique, d’autant plus que les avocats ont pour vocation de défendre même les diables, et des diables, il y en a beaucoup dans notre pays. Ils se sont même reproduits à un rythme insoutenable depuis 2011.
Mais si ce secret professionnel, qui implique la préservation des intérêts des clients au mépris de l’éthique, de la loi ou encore des hauts intérêts de la nation, se transformait en une arme de destruction massive minant notre économie ? Les avocats et leur ordre n’en démordent pas, le secret professionnel ne peut être dévoilé quelqu’en soit les raisons. Pourtant, beaucoup d’avocats députés ont voté la loi contestée.
Le bâtonnier de l’Ordre des Avocats, crie d’ailleurs sur tous les toits que le secret professionnel est une ligne rouge à ne pas franchir. Que de lignes rouges dans ce pays!
Et nombreux sont les avocats qui gagnent au change grâce à la sacralité du secret professionnel. Certains dont les clients sont des contrebandiers milliardaires sont très grassement payés. Ces derniers peuvent, de par la loi, assurer toutes les transactions acquisitions de leurs clients. Pourquoi risquer la levée du secret professionnel dans ce cas ? Ils sont approuvés en cela par l’UTPL (Union tunisiennes des professions libérales) qui a poussé le verbe et la verve jusqu’à dire que «c’est une application anarchique des diktats étrangers» (sic).
Mais supposons que le secret professionnel de l’expert-comptable ou de l’avocat fondamental pour le respect de la confidentialité de leurs relations avec leurs clients nuise à l’intérêt public, ce qui est fréquent de nos jours, dans notre sphère et dans notre ère, que devons-nous faire ?
Supposons que l’avocat soit lui-même partie prenante dans une infraction avec son client, les pouvoirs publics n’auraient donc aucun pouvoir sur lui ?
Dans les réglementations européennes, et s’agissant de la question du blanchiment des capitaux et du terrorisme, on impose aux avocats une double obligation : d’une part, celle de la déclaration de soupçon qui les accule à déclarer spontanément les faits pouvant constituer l’indice d’un blanchiment, et celle de répondre aux demandes d’informations adressées par la cellule «Tracfin», l’organisme chargé du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.
Supposons que le Tracfin tunisien est les services de contrôle du ministère des Finances ou ceux de la BCT, pourquoi être aussi réticents s’agissant de faits graves ?
En fait, les avocats et autres professions libérales figurent bien parmi les enfants gâtés de la Tunisie. Ils jouissent d’une immunité presque semblable à celle des députés, ils ne déclarent pas leurs biens et intérêts à l’INLUCC comme les autres catégories socioprofessionnelles, ils sont protégés par un ordre d’un corporatisme à la limite du supportable et gèrent leurs intérêts au gré d’élections presque semblables à celle d’une Assemblée nationale. C’est dire leur poids dans l’espace public national.
L’article de loi concernant la levée du secret professionnel a-t-il été, comme dénoncé par l’UTICA, ambigu ? Peut-être ! Toujours est-il qu’à partir du moment où nous devons choisir entre les intérêts du pays et ceux d’un individu en infraction avec la loi et mettant en danger la sécurité économique ou la sécurité tout court du pays, les avocats devraient, peut-être, à l’européenne prouver «par leurs actes -de déclaration- qu’ils défendront toujours diligemment leurs clients sans jamais devenir leurs complices».
Dans l’attente, le souk des lois des marchands de sable à l’ARP continue.
Amel Belhadj Ali