Une étude réalisée entre juin et décembre 2018 par l’association Aswat Nissa démontre que le patriarcat, les charges familiales et l’insécurité dans les moyens de transport publics, notamment pendant la nuit, sont parmi les principaux freins qui empêchent la femme de réussir sa carrière politique.
Présentant, mardi 18 décembre à Tunis, les résultats de l’enquête sur “Les bonnes pratiques en matière de l’intégration du genre dans les partis politiques”, le sociologue Sofiane Bouhdiba a souligné que l’étude a été élaborée en se basant sur une recherche documentaire suivie d’une collecte de données quantitatives et qualitatives à travers un questionnaire auprès de 40 jeunes femmes âgées de 20 à 43 ans, engagées à des degrés divers sur la scène politique et un focus groupe.
L’intervenant a signalé que 82% des jeunes femmes politiciennes interrogées dans le cadre de l’enquête ont déclaré que pour mener avec succès une carrière politique en Tunisie, les hommes ont plus de chance de réussite que les femmes.
En Tunisie, 66% de l’ensemble des diplômés du supérieur sont des femmes. Pourtant, elles représentent à peine 26% de la population active. Par ailleurs, parmi les chefs d’entreprises, 11,7% seulement sont des femmes, et elles ne sont que 37% à pouvoir siéger aux conseils d’administration. “Cela pourrait également être perçu comme un signe inquiétant de la non-reconnaissance sociale et culturelle de l’élite féminine en Tunisie”, a souligné le sociologue.
En outre, les femmes représentent seulement 5,3% des directeurs généraux, et 12,3% des directeurs et seuls 0,3% des secrétaires généraux sont des femmes.
Sur les député(e)s de l’Assemblée des représentants du peuple, seulement 68 sont des femmes, ce qui représente moins du tiers du total des députés (217).
“Il n’existe pas non plus de groupes parlementaires féminins, qui pourraient renforcer l’action féministe, et rééquilibrer quelque peu les forces d’un parlement à grande majorité masculine”, a-t-il ajouté.
En effet, Sofiane Bouhdiba indique que les femmes politiciennes se heurtent à de nombreux obstacles qui freinent leur participation politique. “Certains de ces freins sont à caractère macrosocial, spécifiques à la culture arabo-musulmane ; d’autres sont plutôt de nature intrinsèque, davantage liées aux caractéristiques individuelles des femmes”, a-t-il souligné.
Parmi ces freins, le sociologue cite le patriarcat de la société indiquant que les réponses aux questionnaires ont clairement fait ressortir que cette forme d’organisation sociale et juridique, fondée sur la détention exclusive de l’autorité par les hommes, est de nature à favoriser leur succès en politique, au détriment des femmes.
” Certes, les grands partis politiques soutiennent des femmes, mais il s’agit le plus souvent d’artifices largement médiatisés, car il est bon d’afficher une image moderne et pro-féminine “, estime le sociologue.
L’intervenant cite, en outre, les charges familiales comme frein précisant que de nombreuses femmes interrogées ont déclaré que leur activité politique était sérieusement freinée par le cumul des charges familiales et domestiques.
” En effet, si l’exercice d’un emploi peut aller plus ou moins de pair avec l’entretien d’un foyer, en revanche une activité politique soutenue est plus difficilement conciliable avec le statut d’épouse et de mère : les réunions au sein du parti politique se font après le travail, les grands meetings se tiennent le dimanche, les jours fériés nécessitent une présence sur le terrain “, a-t-il expliqué.
Et d’ajouter : “de ce point de vue, deux catégories de femmes semblent détenir un certain avantage : celles qui, encore jeunes, ne sont pas en union ; et surtout les femmes mariées mûres, dont les enfants sont suffisamment âgés pour être autonomes. Ces femmes, libérées des charges familiales, auront de surcroît cumulé une certaine expérience, qui leur permettra d’être particulièrement compétitives par rapport aux hommes, sur la scène politique”.
L’étude révèle aussi que les femmes sont parfois elles-mêmes réticentes à accepter des postes politiques à haute responsabilité, car cela implique des déplacements fréquents, des missions à l’étranger, des déjeuners officiels, autant de contraintes difficilement compatibles avec une vie familiale.
D’après la même source, l’enquête a fait ressortir l’existence d’une logistique inadaptée aux besoins des femmes.
“La moindre mobilité des femmes est un frein majeur à sa carrière politique puisque les réseaux de transport publics tunisiens sont moins accessibles aux femmes la nuit, pour des raisons de sécurité. Ces moyens de transport publics ne desservent pas les régions désenclavées, et il faut recourir aux réseaux de transport privés locaux, qui sont coûteux. De ce fait, les meetings politiques organisés au plus près des citoyens dans les petites villes, voire dans les villages, deviennent donc particulièrement problématiques pour les femmes”, souligne Sofiane Bouhdiba
Le sociologue cite également le manque d’expérience des femmes politiciennes et le manque de médiatisation de leurs actions.
Pour sa part, Hari Begluk, chargé des programmes d’Aswat Nissa, dira que l’étude s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale d’appui à l’émergence d’une nouvelle génération de femmes politiques leaders, qui œuvreraient avec efficience en vue de la promotion des droits des femmes en Tunisie.
“L’objectif premier est d’identifier les bonnes pratiques pour intégrer la dimension genre dans l’action des partis politiques”, a-t-il dit faisant remarquer que le rapport propose une série de recommandations réalistes qui devraient contribuer à favoriser une meilleure participation politique des femmes, ainsi que l’intégration systématique et pérenne d’une approche genre dans la politique.
Parmi les recommandations à court terme, Begluk cite le renforcement de la formation des femmes politiciennes, la facilitation de leur mobilité et la promotion de leur image dans les médias.
Selon lui, une action à plus long terme semble également envisageable et consiste à renforcer la confiance des femmes politiciennes en leurs propres capacités outre l’implication plus franche des hommes dans le processus d’intégration du genre dans les partis politiques.
Le responsable associatif a ajouté qu’une plus grande autonomisation des femmes politiciennes est devenue une nécessité aujourd’hui surtout que l’implication des femmes en politique est une condition sine qua non pour la consécration d’une démocratie égalitaire en Tunisie.