Comment activer la fluidité de la chaîne logistique ? C’est par-là que pourrait rebondir la compétitivité du secteur exportateur. Et peut-être même l’amorce du nouveau modèle économique.
Mardi 18 décembre, sur invitation de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (CTFCI), Hichem Ben Ahmed, le ministre du Transport, a débattu avec les opérateurs internationaux en rapport avec les transport maritime, aérien et multimodal.
La chaîne logistique tunisienne est à la peine. La question est ancienne, certes. Et à l’heure actuelle elle se trouve au cœur d’une double problématique. Au vu de l’état d’obsolescence avancée de l’infrastructure, elle étouffe l’économie, lésant les opérateurs à l’import comme à l’export.
Par ailleurs, la modernisation de la chaîne logistique pourrait amorcer un regain de compétitivité et relancer le système. Ce serait d’un bon effet de dynamisme et de transformation de l’économie.
A titre d’exemple, l’économie marocaine a tiré un énorme avantage de l’entrée en service du port en eaux profondes de Tanger. Ce dernier a confirmé le Maroc dans son statut de “Dragon du Maghreb“.
L’enjeu de modernisation de la chaîne logistique est donc vital pour le positionnement de la Tunisie dans la dynamique régionale et continentale.
Sur le mode “café économique“
Ce fut une réunion d’un genre nouveau. Le concept initié par le service de communication de la CTFCI s’identifie à un “café économique“.
Les invités se tiennent debout, et ce face-à-face facilite le contact. Ainsi que le déroulement du débat car les échanges se passent de manière décontractée avec parfois quelques coups d’éclat. Et le ministre et Foued Lakhoua (président de la Chambre), en tandem, se sont comportés en régisseur de la partie, assurant, en jargon de football total, un coulissage des couloirs. Ce format est bénéfique pour tous. Et les opérateurs se sont bien prêtés au jeu.
On a commencé par un récit de divers audits du transport maritime, avec un diagnostic objectif, des ports de Radès et de La Goulette. C’en était suivi d’un constat équivalent pour le transport aérien. Enfin, est venu le tour du multimodal et du TIR (transport international routier).
Ce récap’ a permis de recenser les goulots d’étranglement qui empêchent la fluidité de la chaîne logistique tunisienne. Avec habileté, Hichem Ben Ahmed est revenu dans la partie en annonçant une série de projets de chantiers en rapport avec les problèmes identifiés par les opérateurs. Et cela a donné une certaine visibilité.
Le ministre n’a pas manqué d’associer les directeurs généraux du département qui mettaient les réformes en perspective. Ce fut un bel exercice de coaching. Cela présage d’un renouveau du corps de la haute administration, longtemps embourbée dans l’archaïsme.
Comment alors doper la chaîne logistique ?
Une infrastructure portuaire et aérienne obsolète
Le port de Radès est censé être le poumon de l’économie tunisienne, car par lui transitent plus de 70% des flux d’export/import. Il se trouve que ce port est vétuste.
Conçu pour accueillir le vrac, type phosphates, ou semi-remorques dits RO-RO (Roll on, Roll Off), il attend d’être reconfiguré pour les containers. Son infrastructure n’est donc pas en phase avec le mode de transport dominant. Ajouter à cela les problèmes de chargement/déchargement.
Il arrive que les grues de la STAM soient en panne, étant elles-mêmes largement amorties. Cela fait que les bateaux peuvent rester en rade jusqu’à 21 jours pour pouvoir enfin charger ou décharger. Le surcoût engendré par ce retard pénalise les opérateurs et affecte la compétitivité du site Tunisie.
On a pu trouver dans le cadre du PDE (Programme de développement des exportations) certaines astuces d’amélioration de la gestion du fret et du trafic bateaux. Cependant, cela relève du dépannage. Ces solutions de fortune sont provisoires.
Pour sa part, le port de La Goulette est en pire état. Il est congestionné et souffre d’un manque de gare de stockage. Outre que c’est devenu un fief pour les passagers clandestins.
La situation pour le TIR, parfois assuré par des enseignes internationales, souffre également de certaines dissonances avec les pratiques douanières et de police routière. Et le dernier kilomètre, c’est-à-dire la transposition du fret des TIR vers les transporteurs locaux, manque de fluidité, également. Par conséquent, ce défaut de bon fonctionnement de l’intermodalité occasionne des ruptures de charges et donc des surcoûts indus.
L’état du transport aérien n’est guère plus réjouissant. L’aéroport de Tunis-Carthage, dimensionné à l’origine pour un trafic de 4 millions de passagers, en accueille, à l’heure actuelle, six millions. Cet accroissement fait que les passagers perdent beaucoup de temps aux guichets de police des frontières. Outre qu’ils attendent trop longtemps leurs bagages. Tunisair handling, mal équipée, en sureffectif et en monopole, délivre une prestation insatisfaisante.
L’accumulation de toutes ces contreperformances pénalise un secteur qui emploie 10.000 personnes en direct et 20.000 en indirect. Le taux de régularité des vols est de 42%, cela fait que 2 avions sur 3 accusent un retard. Il est vrai que le transporteur national arrête un plan de charge pour 35 appareils alors que sa flotte n’en compte que 22 en service. Cela se ressent sur la régularité du trafic. On mesure le gâchis, en termes d’efficacité, pour l’économie. Sans compter que cela ne sert pas l’image de marque du pays.
Le retour de flamme de la transition démocratique
Depuis le 14 janvier 2011, l’économie fut logée en stand-by et, entre autres, le secteur portuaire et logistique en a subi les conséquences.
A cette éclipse de l’économie du champ des priorités nationales vient se surajouter les cafouillages administratifs. Le sort des quais 8 et 9 en a pâti, soutient le ministre. Longtemps on a tergiversé pour déterminer qui doit gérer les quais 8 et 9. Le ministre annonce qu’enfin une solution est trouvée et que la question sera tranchée au mois de janvier 2019 et qu’un appel d’offres sera enfin émis. Les délais d’exécution seront d’environ 18 mois.
Le port d’Enfidha, pour sa part, est mis en perspective. La société de gestion a été constituée, le vendredi 7 décembre. Un PDG a été nommé et bientôt le Conseil d’administration sera mis en place. Au mois de janvier 2019, il sera tiré une short list à partir du groupe des 7 concurrents qui ont soumissionné.
Entre les mois de mars et de juin 2019, les termes de l’appel d’offres seront définitivement arrêtés et le premier coup de pioche aura lieu, par conséquent, avant la fin de l’année 2019.
La question des ports secs, c’est-à-dire apprêtés pour recevoir les porte-containers, est restée dans le pipe pendant quinze ans, dit le ministre, faute de décision politique.
Enfin, les travaux de la zone de 50 ha en face du port seront bientôt entamés. Le port de La Goulette va être agrandi d’une nouvelle gare maritime avec un programme de mise à niveau, entre autres sécuritaire.
Dans l’attente de choix forts
Hichem Ben Ahmed a occupé la fonction de secrétaire d’Etat au Commerce. Il est de ce fait très sensible aux divers impacts de la vétusté de l’infrastructure maritime, aérienne et routière, sur la compétitivité de l’économie.
Il a, durant sa carrière, transité par le privé et il connaît la valeur du temps, des coûts de prestations et de la réactivité. Il a contribué à fouetter les pratiques administratives dans son département. Ce faisant, il a aidé à booster les plans de réforme et c’est tout à son actif.
Mieux administrer les ports et fluidifier les trafics de passager et le la gestion du fret, ce sera du meilleur effet sur l’économie nationale. Il reste qu’il propose des solutions d’ordre pratique et managérial. Il n’a pas abordé les questions politiques qui appellent des choix forts.
Améliorer le taux de régularité des vols, de Tunisair, n’apportera pas une solution définitive à la crise que vit la compagnie. Et il faudrait que le dossier soit traité en toute transparence sous le regard de l’opinion.
Pareil pour la STAM et Tunisair handling. Ainsi que de la délocalisation de l’aéroport de Tunis-Carthage. Là encore il faudra de la transparence et beaucoup d’ingéniosité réformatrice. Ces questions débordaient le cadre de la réunion de la CTFCI, mais le ministre sera attendu sur ces dossiers dont la solution a trop tardé.
Ali Abdessalam