Comme un oiseau migrateur, l’écrivain n’a pas de patrie stable. Une vision que l’écrivain- journaliste arabophone Safi Said embrasse dans ses valses romanesques et narratives.
Aucune terre ne le retient, il est dans une logique pragmatique d’un créateur habité par le voyage dans ce vaste univers fait de “plusieurs parties, réelles et virtuelles ou imaginaires”. Il est souvent porté par cette envie de vivre dans plus qu’une cité en même temps, plus qu’une époque…
Après Beyrouth, cette ville arabe cosmopolite qui l’avait accueilli comme d’autres villes avant, il était de retour en Tunisie après 2011. Toute nouvelles cité est une expérience enrichissante pour ce voyageur éternel depuis près de 25 ans.
Dans le cadre d’une rencontre sur “Le roman politique”, Safi Saïd était l’invité jeudi soir de la Maison du Roman à la Cité de la culture qui accueillait l’écrivain pour la première fois.
L’agence TAP l’a rencontré, une rencontre assez agréable qui combine connaissances et humour intelligent de l’écrivain face à une large audience de ses lecteurs faite notamment de jeunes écrivains.
L’auteur refuse de tout abord cette catégorisation du roman qu’on a tendance à le confiner dans un secteur assez réduit qu’il soit historique, politique, social ou autre. “Lorsque j’écris, je ne classifié jamais mon roman car le roman est un tout, une pièce vivante et mobile de la vie..”.
Il demeure cet auteur habité par son personnage qu’il confectionne au fil des événements fictionnels mais qui trouvent leurs ramifications dans le réel qu’il décrypte dans les moindres détails dans des publications comme “Kitsch 2011”, “Fièvre 42..” “Les années prostate..” ou même dans des livres biographiques sur Gueddafi et Bourguiba.
Pour Safi Said, accéder à ce domaine de l’écriture s’était fait depuis ses premières années de jeunesse. L’exercice de l’écriture l’avait accompagné depuis ses études universitaires en journalisme à Alger et ses rencontres enrichissantes avec des étudiants de diverses nationalités et de grands conférenciers.
Autour de la création, son avis est que “nul n’est né poète ou écrivain, être écrivain est un don à forger soit même, un cumul de lectures et d’observations. Il est aussi toujours important d’adopter un mode de pensée assez singulier qui sort de l’ordinaire”.
Il insiste sur sa vocation d’écrivain journaliste, car “c’est le journalisme qui t’apprend à écrire le roman, te fait voyager dans le monde, rencontrer des personnalités importantes, couvrir de grands événements, enrichir tes connaissances en continu..”. Ce genre de journalisme habilite la personne à acquérir “un style de romancier et une narrative d’un écrivain qui sait faire la lecture des gens, des événements et le réseautage..”, renchérit l’écrivain.
Safi Saif est parmi les rares qui se distinguent par un style d’écriture et une narrative assez particulière. Son esthétique vocabulaire d’un écrivain arabophone est assez élégante et simplifiée. Cest ce qu’il confirme en parlant de son style d’écriture “dominé par cette tendance narrative que j’ai acquise de mon écriture pour la presse et mon style de storytelling pour mes différents reportages..”.
Il se déplace aisément entre l’écriture journalistique et les sciences politiques et celle romanesque. Son discours pluridisciplinaire ouvre sur divers secteurs de connaissance.
Des atouts qui font sa notoriété dans le milieu livresque d’un écrivain qui reconnaît le talent des écrivains tunisiens, notamment dans les secteurs de la philosophie. Pour l’écriture littéraire, romanesque ou même journalistique dans le pays, son constat est qu’elle n’a généralement pas suivi la vague révolutionnaire dans le pays.
Pour Safi Said, certains romans -qui généralement ne sont pas visibles ailleurs, commercialisés sur le marché ne peuvent être classés dans le genre du roman. Ici, se pose la question d’un secteur d’édition régi par “une édition aléatoire pour des maisons d’édition qui pour le plus souvent ne disposent même pas d’une commission de lecture”.
Un constat général sur “une écriture stéréotypée” chez certains romanciers à cela s’ajoute une mise en page de mauvaise qualité.
Tout comme notre écrivain, un bon lecteur serait celui qui adopterait un certain pragmatisme. C’est ce que Safi Saïd appelle une lecture qui dépend du livre à lire.
Entre celui qu’on se doit de lire, l’autre duquel on à lire que quelques pages ou chapitres ou bien le livre qui nous séduit à le relire plus qu’une fois.
Ses lectures sont assez variées pour des documents de référence mais aussi pour prendre connaissance et se mettre au diapason des dernières nouveautés dans le secteur du livre ou tout autre domaine d’intérêt pour lui.
Chaque type d’écriture, en poésie, au théâtre, roman, convergent dans une forme d’expression pour arriver à formuler une idée ou une étape quelconque. Il cite là l’exemple de”La Guerre et la Paix”, un roman de l’écrivain russe Léon Tolstoï dans lequel le lecteur est comme s’il était en train de lire un épisode de l’histoire.
Il constate que “depuis la révolution, le bon roman politique ou non politique en Tunisie demeure quasi inexistant”. Safi Saïd est un écrivain qui avoue ne pas apprécier cette course pour les compétitions littéraires. Dans le monde arabe, il parle de prix plutôt politiques, globalement “empestés”. La seule compétition qu’il reconnaît est celle du prix Nobel, admettant une distinction qu’on décerne à travers le choix en commission de la personne à récompenser.
Il admet l’existence d’une écriture romanesque et d’excellents romans, en Irak, en Egypte, en Arabie Saoudite où une nouvelle génération est en train de se positionner sur le marché du livre.
Clamant fort son autonomie vis à vis des clichés de la vie et tout ce qui puisse le coincer dans un cadre assez restreint.”Je suis un amateur qui valse continuellement entre politique et Amour et n’adhère à aucune forme d’endoctrinement politique.”
Son adhésion au politique remonte à son adolescence alors à Gafsa et une période marquée par la censure de tout document écrit en arabe se rappelle-t-il.
Il met en garde contre la persistance d’une période actuelle en Tunisie assez catastrophique où tout est pris à la légère, à partir de laquelle se dessinent les contours d’un avenir incertain pour tout un mode de vie et de pensée.
Safi Saïd regrette une réalité dans le pays où “il n’y a pas plus abusif pour un être humain que de vivre dans la peau de plusieurs personnages et à plusieurs facettes”.