Tout commence par une séquence dans sa maison parisienne, Béatrice Slama, née Saada, âgée de plus de 95 ans, se déplace aisément dans les différents recoins de son salon. Dans un lieu plein de lumières, cette femme de Lettres a toujours le souvenir de sa vie de jeune fille à Tunis alors sous occupation et puis fraîchement indépendante.
Il s’agit d’une longue vie pleine de savoir et d’expériences tumultueuses d’une juive tunisienne, intellectuelle, communiste et féministe dans l’âme, née et morte tunisienne malgré l’exil. Les célèbres citations des écrits de Simone de Beauvoir ornaient encore sa mémoire fraîche, son esprit et son âme malgré le temps qui passe.
A la Cinémathèque tunisienne a eu lieu, dans la soirée du samedi 21 décembre, la première mondiale de “Béatrice, un siècle” un documentaire biographique réalisé par la tuniso-canadienne Hajer Charfi et un portrait sur le parcours assez important de Béatrice Slama. C’est un hommage posthume à la mémoire de cette grande Dame qui avait enseigné la littérature à l’université de Tunis décédée en septembre dernier. La projection s’est faite en présence de la réalisatrice, les enfants et petits-enfants de Béatrice et de sa soeur.
A l’issue de la présentation et la projection du film (1h30), plusieurs témoignages ont été donnés par les amis et sympathisants sur cette femme dont ceux des universitaires Habib Kazdaghli et Latifa Lakhdar.
Dans le film, le souvenir de Béatrice est braqué sur son enfance. “Quand j’étais fillette, je me souviens de ce croissant quotidien pour lequel on me donnait tous les jours 50 centimes, que je n’achetais jamais, et à la fin de la semaine j’avais assez d’argent pour m’acheter un livre de la collection Wilson.Enfant, adolescente, lire était ma principale occupation…”.
La lecture était son monde à travers lequel elle s’était alignée aux idées communistes de l’époque pour cette native de 1923 à Tunis alors sous protectorat français.
Le journal des jeunes filles “L’échos des lycéens” qu’elle avait fondé à l’âge de 12 ans avec des camarades du collège, ses parents, ses amours, ses amis de Tunis et son départ de son pays, elle s’en souvient des moindres détails.
Très tôt, elle avait pris conscience des ravages du colonialisme et embrassé la lutte au sein du parti communiste tunisien pour l’indépendance de la Tunisie. Elle cite “un parti majoritairement arabe..qui avait initié en 1943 une coexistence unique de Tunisie plurielle” qui réunissait arabes musulmans et juifs ainsi que des adhérents de toutes les classes sociales.
Au parti, elle avait pris conscience de son appartenance et “de me sentir tunisienne qui appartient sans doute à ce pays et de me battre pour son indépendance.
Dans son témoignage, elle évoque le discours de Bourguiba à l’aube de l’indépendance pour “une nouvelle Tunisie plus juste et démocratique…”.
Puis elle parle d’un départ devenu éminent pour ces communistes juifs qui avaient fini par se sentir “victimes et complices à la fois” évoquant leurs références et liens avec les communistes français…”
Elle avait quitté son pays dans lequel elle avait dû se sentir “vivre en touriste”, ce qui avait engendré une souffrance et une peine inférieure qui ne l’avait jamais quitté.
Le bruit des vagues à Sidi Bousaid déferlait encore dans sa mémoire et ne l’avait jamais quitté dans sa nouvelle vie Parisienne où elle avait connu le sentiment d’exil durant les 3 premières années. “Fin 1968, c’était le début de mon adhésion à la France”, dit-elle. A Nanterre où elle enseignait à l’université, elle était confrontée à constater ” les vestiges du colonialisme dans les bidons villes peuplés de maghrébins”.
Elle s’engage à nouveau “passionnément” et commence à revivre ce qu’elle appelle aussi “une nouvelle utopie”, dans un environnement ouvert aux libertés d’expression,.
C’était l’époque des révoltes idéologiques et une grande dynamique sous les murs des universités qui avait balisé pour mai 1968, ce mouvement largement mixte qui était l’un des plus gros bouleversements de l’époque moderne qu’est la libération des femmes.
Les idées, les aspirations et le combat des féministes se faisaient en parallèle de l’un des premiers mots d’ordre de l’époque qui était la vie privée politique.
C’était pour elle “comme une sorte de renaissance, de renouveau” avec cette impression de “revivre enfin comme militante et de sortir enfin de l’exil…”.